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La déductibilité des frais supplémentaires de repas des professions non salariées (BNC) : les nouvelles règles du jeu à connaître

Par Patrick LINGIBÉ
Avocat au Barreau de la Guyane, Chargé de Cours à l’Institut d’Études Supérieures de la Guyane

A la suite d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris en date du 28 juin 2000, une instruction fiscale du 7 juin 2001 vient de tirer une conclusion définitive sur la position du juge administratif et reconnaît ainsi la déductibilité des frais supplémentaires de repas.

A la suite d’un important arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris rendu le 28 Juin 2000 [|CAA Paris, 28 juin 2000, n° 98PA00672, M. LUXEY, inédit]], une instruction fiscale du 7 juin 2001 [1] vient de tirer une conclusion définitive sur la position du juge administratif et de reconnaître ainsi la déductibilité des frais supplémentaires de repas.

Cette nouvelle orientation imposée par une jurisprudence libérale (II) met donc fin à une lecture administrative restrictive refusant le principe même de toute déductibilité de tels frais (I).

L’apport novateur de l’arrêt précité, à l’origine de la modification de la doctrine administrative, réside surtout dans le fait que le juge administratif a fixé des critères objectifs pour déterminer la déductibilité des frais supplémentaires de repas, celle-ci étant soumise à des conditions précises (III).

I – LA DOCTRINE ADMINISTRATIVE TRADITIONNELLE : UNE OPPOSITION A TOUTE DEDUCTIBILITÉ DES FRAIS DE REPAS.

Aux termes de l’article 93-1 du code général des impôts, le bénéfice des professions non commerciales est constitué par l’excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l’exercice de la profession.

L’administration fiscale a toujours fait une lecture restrictive de cet article.

Ainsi, une instruction du 10 mai 1988 [2] avait posé le principe de la non déductibilité des frais de repas exposés régulièrement sur le lieu de travail.

Cette position sera confirmée par le ministre du Budget, notamment dans une réponse du 24 avril 1997 à Monsieur le sénateur Germain AUTHIÉ [3], cela nonobstant certaines décisions juridictionnelles infirmant ce principe.

Enfin, en dernier lieu, cette règle traditionnelle de la non déductibilité des frais de repas sur le lieu de travail sera reprise à la doctrine administrative récente (confer DB 5 G 2311 n° 3, édition à jour au 15 septembre 2000) [4].

En effet, l’administration fiscale considérait de tels frais comme des dépenses d’ordre personnel et donc par conséquent n’ayant pas à être pris en compte pour la détermination du bénéfice imposable.

Pour elle, de tels frais ne se rattachaient pas directement à l’exercice de la profession.

Cette position était très critiquable, cela pour deux raisons.

La première, venait du fait que la doctrine administrative reconnaissait par ailleurs le principe de la déduction par le professionnel des frais de restaurant exposés pour des repas d’affaires ou des repas pris dans le cadre de voyages professionnels, tels que congrès, séminaires (confer notamment pour les BNC DB 5 G 2356, n° 1 et 2).

La deuxième, résultait de l’article 83-3° du code général des impôts applicable pour les traitements et salaires, lequel prévoit la déductibilité des « frais inhérents à la fonction ou à l’emploi », dont les frais de repas. Or, lorsque que l’on rapproche cette formulation à celle de l’article 93-1 du même code applicable aux titulaires de bénéfices non commerciaux qui parle de « dépenses nécessitées par l’exercice de la profession », force est de constater qu’il n’existe sur le plan juridique aucune différence réelle et pertinente qui justifiait un traitement fiscal différent (déductibilité pour l’un, non déductibilité pour l’autre).

C’est donc la jurisprudence qui va s’opposer, par une interprétation libérale, à cette analyse restrictive de l’administration fiscale et contraindre celle-ci à modifier sa position.

II – UN COURANT JURISPRUDENTIEL FAVORABLE A UNE DÉDUCTIBILITÉ.

Ce courant jurisprudentiel libéral va se manifester à travers trois arrêts [5], dont le dernier est novateur en ce qu’il fixera des critères objectifs permettant d’établir de manière uniforme la déductibilité des frais supplémentaires de repas.

Le premier arrêt a été rendu par la Cour administrative d’appel de Paris le 2 février 1995, dans une affaire BIGOT.

Dans cette décision, cette juridiction a considéré dans les circonstances de l’espèce que « les frais de repas exposés quotidiennement par le titulaire de bénéfices industriels et commerciaux qui ne démontre pas que ces dépenses résultent de l’exercice normal de sa profession » ne revêtent pas le caractère de dépenses nécessitées par l’exercice de la profession.

Il convient de relever que la déductibilité aurait pu être admise si le requérant avait établi la relation entre ses frais de repas quotidiens et les nécessités de l’exercice normal de son activité professionnelle, ce qui n’était pas le cas.

Le deuxième apport jurisprudentiel, proviendra d’un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nancy du 6 juillet 1995, dans l’affaire ministre du Budget c./ Floriot [6].

Dans cette décision, cette juridiction, précise très clairement que « les frais supplémentaires de repas qu’exposent les contribuables à l’occasion des déplacements entre le domicile et leur lieu de travail sont, en règle générale, nécessités par l’exercice de la profession et doivent donc, à ce titre, être admis en déduction …/…lorsque leur réalité est établie. »

Enfin le troisième arrêt a été rendu par l’assemblée plénière de la Cour administrative d’appel de Paris le 28 juin 2000, affaire Michel LUXEY, sous les très intéressantes conclusions du commissaire du gouvernement Daniel MORTELECQ [7].

Cette décision, outre la qualité de la formation qui l’a rendue (assemblée plénière), confirme la jurisprudence libérale précitée et est novatrice par le critère objectif retenu pour calculer le seuil plancher et surtout le seuil plafond pour la déductibilité des frais supplémentaires de repas.

Ce sont ces règles que l’instruction fiscale du 7 Juin 2001 a intégré après avoir reconnu le principe de la déductibilité des frais supplémentaires de repas.

III – LA DEDUCTIBILITE EST SOUMISE A DES CONDITIONS TRES PRECISES.

La déductibilité des frais supplémentaires n’est possible que si trois conditions de fond sont réunies.

1°)- La distance entre le lieu de travail et le domicile du professionnel doit avoir un caractère pertinent et non anormal.

Comme le mentionne la nouvelle instruction fiscale, les dépenses exposées doivent résulter de l’exercice normal de la profession et non de convenances personnelles.

Pour apprécier si les frais supplémentaires de repas peuvent être considérés comme étant des dépenses liées à l’exercice de la profession, il y a lieu de tenir compte de la distance entre les lieux où s’exerce l’activité professionnelle et le domicile du contribuable.

Pour apprécier le caractère normal ou non de la distance, l’administration fiscale précise de tenir compte notamment « de l’étendue et de la configuration de l’agglomération où se trouve le domicile du contribuable et les lieux d’exercice de l’activité ainsi que de la nature même de l’activité exercée (activité obligeant à des fréquentes interventions sur le terrain ou dans les entreprises par exemple) et de l’implantation de la clientèle, lesquels peuvent nécessiter des déplacements au-delà des limites de l’agglomération où se situe le domicile ».

Autrement dit, ce caractère devra s’appliquer in concreto, en fonction des données de l’espèce.

L’analyse de la jurisprudence permet néanmoins d’établir des règles quant au caractère normal ou anormal de la distance.

Ainsi, dans la décision Floriot du 6 juillet 1995, la Cour administrative d’appel de Nancy a considéré que la distance de 10 kilomètres séparant le lieu de travail du requérant de son domicile ne présente pas un caractère anormal.

De même, dans sa décision Luxey du 28 Juin 2000, la même juridiction a considéré que la distance de 50 kilomètres ne présente pas non plus de caractère anormal.

La distance doit être acceptable, selon le contexte et les circonstances de l’espèce : elle ne doit être ni trop faible ni trop importante.

En effet, si la distance séparant le domicile et le lieu de travail est trop faible, l’administration fiscale serait fondée à considérer que le contribuable aurait pu légitimement retourner déjeuner à son domicile.

De même, si la distance séparant le domicile et le lieu de travail est trop importante, l’administration fiscale considérerait que le choix dudit domicile relève uniquement de convenances personnelles.

Dans ces deux cas, les frais de repas supplémentaires ne sont donc pas déductibles et revêtent la nature d’une dépense personnelle.

Les contribuables concernés devront donc être très vigilants sur ce point.

2°)- Les dépenses exposées devront être justifiées.

Les frais supplémentaires de repas exposés par le professionnel doivent être réels et justifiés.

En conséquence, le contribuable doit être en mesure de produire toutes les pièces justificatives permettant d’attester de la nature ainsi que du montant de ces dépenses.

Il conviendra donc sur ce point d’être vigilant sur la nature des frais exposés (caractère lié à la profession).

Attention, à défaut pour le professionnel d’apporter les pièces justificatives prouvant la réalité des frais exposés, aucune déduction, même forfaitaire, ne peut être appliquée.

Sur ce dernier point, il convient de relever que l’instruction précise que la solution admise en matière de traitements et salaires, laquelle permet au salarié qui ne peut justifier avec suffisamment de précision du montant de ses frais de repas, d’évaluer la dépense supplémentaire, par repas, à une fois et demie le montant du minimum horaire garanti, ne s’applique pas dans cette situation.

3°)- Les dépenses exposées ne doivent pas dépasser un montant maximum.

a)- Le seuil plancher est fixé à 1,5 du minimum garanti.

Il convient de rappeler que seuls les frais supplémentaires de repas sont réputés nécessités par l’exercice de la profession.

En conséquence, la partie de la dépense correspondant aux frais que le professionnel aurait engagés s’il avait pris son repas à son domicile constitue une dépense d’ordre personnel ne devant à ce titre pas être prise en compte pour la détermination du bénéfice imposable.

L’instruction du 7 juin 2001, suivant en cela la décision rendue le 28 juin 2000 par la Cour administrative d’appel de Paris, a déterminé le montant de la fraction non déductible (dépense d’ordre personnel) en lui affectant un coefficient de 1,5.

Ce coefficient s’inspire de la méthode d’évaluation des avantages en nature retenue pour les salariés en matière de nourriture qui se réfère au montant du minimum garanti prévu à l’article L. 141-8 du code du travail.

En conséquence, le prix d’un repas pris à domicile doit être réputé égal à une fois et demie le minimum garanti, lequel s’élève à 19,11 francs (2,91 €) depuis le 1er juillet 2001. [8] [9]

Ainsi donc, depuis le 1er juillet dernier, le prix du repas pris à domicile est évalué à 28,66 francs (4,37 €).

A titre d’exemple, un avocat qui lors d’un déplacement par exemple pour une réunion d’expertise qui se tient dans une commune distante de 60 kilomètres, expose à cette occasion des frais de restaurant individuels d’un montant de 90 francs, ne peut déduire que la somme de 61,34 francs (9,35 €), correspondant à l’opération suivante : 90,00 francs (frais de repas exposés ) – 28,66 francs (seuil plancher du repas pris à domicile).

b)- Le seuil maximum déductible est limité à 5 fois le minimum garanti.

Le montant du repas exposé en dehors du domicile ne doit pas être anormalement élevé.

A défaut, la dépense présenterait un caractère exagéré et non déductible.

La Cour administrative d’appel de Paris a, dans sa décision du 28 juin 2000, sur la proposition de son commissaire du gouvernement, fixé la limite maximale du montant déductible des frais supplémentaires de repas à 5 fois le minimum garanti.

L’instruction du 7 juin 2001 retient donc ce critère objectif marquant le seuil maximum de déductibilité.

En conséquence, il convient de considérer comme normaux les frais supplémentaires de repas lorsque la dépense payée n’excède pas un montant équivalent à cinq fois le minimum garanti, soit 95,55 francs (14,57 €) depuis le 1er juillet 2001.

En cas de dépassement de ce seuil (95,55 francs), le contribuable doit être en mesure pour pouvoir déduire la totalité de ses frais supplémentaires de repas, de justifier de circonstances exceptionnelles, notamment, indique l’instruction fiscale précitée, au regard des nécessités de son activité et des possibilités de restauration offertes à proximité de son lieu d’activité, justifiant l’engagement d’une dépense plus élevée.

A défaut de justifier de telles circonstances exceptionnelles, la différence constatée entre la dépense payée et une somme égale à 5 fois le minimum garanti (95,55 francs) constitue, au même titre que la valeur du repas pris à domicile (28,66 francs), une dépense d’ordre personnel qui ne peut être admise en déduction pour la détermination du bénéfice imposable.

Ainsi, un architecte qui, fin juillet 2001, visite un chantier sur une commune distante de 50 kilomètres de son domicile et de son lieu de travail, et expose à cette occasion des frais de restaurant individuels d’un montant de 100,00 francs, ne pourra déduire que la somme de 66,89 francs (10,20 €), correspondant à l’opération suivante : 95,55 francs (seuil maximal de déductibilité des frais supplémentaires de repas) – 28,66 francs (seuil plancher du repas pris à domicile).

A moins de démontrer des circonstances particulières, le professionnel devra trouver dans son périmètre d’intervention le restaurant pouvant lui offrir le déjeuner le moins coûteux.

En effet, seule la somme comprise en le plancher (1,5 fois le minimum garanti : 28,66 francs) et le plafond (5 fois le minimum garanti : 95,55 francs) est déductible, c’est-à-dire en pratique une somme équivalente à 3,5 fois le minimum garanti, soit 66,89 francs valeur au 1er juillet 2001.

Pour terminer, il convient de noter que les dispositions de l’instruction fiscale du 7 juin 2001 s’appliquent à compter de l’imposition des revenus de l’année 2000 ainsi que pour le règlement des litiges en cours.


[1] Instruction 5 G-3-01 du 7 juin 2001, BOI n° 107 du 15 juin 2001.

[2] Instruction 5 G-7-88 du 10 mai 1988, BOI du 25 mai 1988.

[3] Réponse du ministre du Budget à la question écrite n° 18147 du 17 octobre 1996 posée par Monsieur Germain AUTHIÉ, publiée dans JO Sénat du 24 avril 1997, page 1282.

[4] Il en est de même pour les contribuables relevant des bénéfices industriels et commerciaux et de l’impôt sur les sociétés. En effet, interrogé sur le cas d’un artisan coiffeur pour dames qui, compte tenu des horaires d’ouverture de son salon ouvert en continue, est dans l’obligation de prendre ses repas plusieurs fois par semaine dans un restaurant proche de son lieu de travail, son domicile étant trop éloigné, le ministre de l’Economie, des Finances et du Budget a précisé que de telles dépenses, qu’il s’agisse des frais de restaurant de l’exploitant ou de son conjoint qui participe à l’exploitation sans être rémunéré, revêtent le caractère de dépenses d’ordre personnel (RM n° 41949 à Monsieur Christian BERGELIN, député, JO, débats AN du 9 avril 1984, p. 1663) (mentionné à la documentation administrative 4 C 112, n° 2).

[5] Il y a lieu d’indiquer s’agissant des titulaires de BIC-IS un jugement rendu par le Tribunal administratif de Rennes du 8 avril 1999, n° 93-3149, lequel a considéré que les frais de repas exposés par un associé (non salarié) d’une SNC qui est amené à participer aux chantiers réalisés par la société et à déjeuner à leur proximité lorsqu’ils sont éloignés de son domicile, constituent des dépenses exposées dans l’intérêt de la société, déductibles de son résultat imposable (mentionné dans le Dictionnaire Permanent Fiscal, Editions Législatives, fascicule BIC-IS, n° 349e)

[6] CAA Nancy, 6 juillet 1995, n° 93NC01169, ministre du Budget c/ Floriot, inédit.

[7] Conclusions du commissaire du gouvernement Daniel MORTELECQ, publiées au BDCF 11/00, n° 126.

[8] Décret n° 2001-554 du 28 juin 2001 portant relèvement du salaire minimum de croissance, article 2, publié au Journal Officiel du 29 juin 2001.

[9] Pour information, le minimum garanti était au 1er juillet 1999 de 18,46 francs et au 1er juillet

© - Tous droits réservés - Patrick LINGIBÉ - 27 décembre 2001

 


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