CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 284828
COMMUNE D’ATUR
M. Xavier Domino
Rapporteur
M. Emmanuel Glaser
Commissaire du gouvernement
Séance du 24 septembre 2008
Lecture du 27 octobre 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés le 6 septembre 2005 et le 6 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COMMUNE D’ATUR (24750), représentée par son maire dûment habilité par une délibération du conseil municipal du 7 octobre 2005 ; la COMMUNE D’ATUR demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 5 juillet 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel qu’elle a interjeté du jugement du 9 octobre 2001 du tribunal administratif de Bordeaux rejetant sa demande tendant à l’annulation des décisions par lesquelles le préfet de la Dordogne a implicitement rejeté ses demandes en date des 19 octobre et 28 décembre 1998 tendant au bénéfice d’une attribution du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel et d’enjoindre au préfet de la Dordogne de lui accorder l’attribution litigieuse ou, subsidiairement, de statuer à nouveau sur sa demande dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision du Conseil d’Etat sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Xavier Domino, Auditeur,
les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la COMMUNE D’ATUR,
les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel alors en vigueur : "Les délais de recours contre une décision déférée au tribunal administratif ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision" ; que ces dispositions étaient applicables même dans le cas où la formation d’un recours administratif contre une décision établissait que l’auteur du recours avait eu connaissance de la décision au plus tard à la date à laquelle il avait formé ce recours ;
Considérant qu’il ressort des pièces versées au dossier soumis aux juges du fond que le maire d’ATUR a formé, par une lettre en date du 19 octobre 1998 adressée au préfet de la Dordogne, un "recours amiable", selon les termes utilisés dans cette lettre, aux fins du réexamen par le préfet, à la lumière d’une décision que venait de rendre le Conseil d’Etat statuant au contentieux, de la " position prise par (ses) services " de rejet d’une demande d’attribution du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée qu’il avait sollicitée au titre de dépenses d’investissement engagées pour la construction, au cours des années 1991 à 1995, de vingt-six logements sociaux ; que les termes de ce recours administratif ont été réitérés dans une seconde lettre en date du 22 octobre 1998 qui se réfère expressément aux décisions antérieures de rejet opposées par le préfet en 1993 et 1996 ; qu’en jugeant irrecevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision implicite par laquelle le préfet a rejeté les demandes en date des 19 et 22 octobre 1998 par le motif qu’il avait été enregistré au greffe du tribunal administratif de Bordeaux plus de deux mois après l’intervention de la décision implicite de rejet attaquée sans rechercher si les décisions initiales de refus d’une attribution du fonds mentionnaient les délais et voies de recours, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que, dès lors, l’arrêt attaqué doit être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que les décisions implicites de rejet attaquées sont nées du silence du préfet de la Dordogne sur les réclamations formées les 19 et 22 octobre 1998 par la COMMUNE D’ATUR contre des décisions du préfet du 23 mars 1993 et du 14 octobre 1996 dont il ressort des pièces du dossier qu’elles ne mentionnaient pas les voies et délais de recours ; qu’ainsi, faute de cette mention, il résulte des dispositions précitées que le ministre n’est pas fondé à opposer une fin de non recevoir, au motif qu’elle serait tardive, à la demande que la commune a présentée au tribunal administratif de Bordeaux ;
Considérant qu’en vertu des dispositions, alors applicables, du III de l’article 42 de la loi du 29 décembre 1988 portant loi de finances rectificative pour 1988 et de l’article 49 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 1993, ultérieurement reprises à l’article L. 1615-7 du code général des collectivités territoriales, une immobilisation ne peut ouvrir droit à une attribution du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée si elle est mise à disposition au profit d’un tiers ne figurant pas au nombre des collectivités ou établissements bénéficiaires de ce fonds ; qu’il ressort tant des travaux préparatoires que des circonstances qui ont présidé à l’adoption du III de l’article 42 de la loi du 29 décembre 1988 que par " mise à disposition au profit d’un tiers ", le législateur a entendu viser les seuls cas où les conditions dans lesquelles une immobilisation est remise ou confiée par la collectivité ou l’établissement qui l’a réalisée à un tiers, non bénéficiaire du fonds de compensation, font apparaître que l’investissement a principalement eu pour objet ou pour effet d’avantager ce tiers ; que la notion de " mise à disposition au profit d’un tiers " a conservé, lors de l’entrée en vigueur de l’article 49 de la loi du 30 décembre 1993, qui a prévu des exceptions temporaires au principe de non-éligibilité des immobilisations cédées ou mises à disposition, la portée qui lui avait été donnée initialement par le législateur ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la COMMUNE D’ATUR a donné en location vingt-six logements sociaux dont la construction par cette collectivité a été partiellement financée par l’aide personnalisée au logement conformément aux dispositions de l’article L. 351-2 du code de la construction et de l’habitation ; que la COMMUNE D’ATUR s’est engagée, aux termes d’une convention passée avec l’Etat, à plafonner les loyers consentis aux locataires et à réserver une partie des logements à des familles ou à des occupants sortant d’habitat insalubre ; que, dans ces conditions, la location de ces logements ne peut être regardée comme une mise à disposition au profit d’un tiers au sens des dispositions précitées ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " sont prescrites, au profit de l’Etat (.) toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis " et qu’aux termes de l’article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance (.) " ;
Considérant, d’une part, que dès lors que les dépenses réelles d’investissement des collectivités territoriales à prendre en considération pour la répartition au titre d’une année déterminée sont celles afférentes à la pénultième année, le droit à une attribution du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée ne naît qu’au cours de la deuxième année suivant la réalisation des dépenses d’investissement ; que les dépenses d’investissement en cause ayant été exposées par la COMMUNE D’ATUR au cours des années 1991 à 1995, il en résulte que le fait générateur des attributions demandées par cette collectivité est intervenu respectivement en 1993, 1994, 1995, 1996 et 1997 ; qu’il ressort des pièces du dossier que la COMMUNE D’ATUR a présenté au préfet de la Dordogne des demandes d’attribution qu’il a rejetées en 1993 et 1996 et deux nouvelles demandes en date des 19 et 22 octobre 1998 qu’il a implicitement rejetées ; que la prescription a été interrompue dans les conditions prévues par l’article 2 précité de la loi du 31 décembre 1968 en ce qui concerne les droits à attribution afférents aux dépenses d’investissement engagées en 1992, 1993, 1994 et 1995 ; que par suite, le ministre n’est fondé à opposer la prescription que pour ce qui concerne les droits à attribution afférents aux dépenses d’investissement engagées en 1991 ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la COMMUNE D’ATUR est seulement fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que le préfet de la Dordogne a rejeté à bon droit ses demandes tendant à des attributions du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée afférentes aux dépenses d’investissement engagées en 1992, 1993, 1994 et 1995 ; qu’il y a donc lieu, dans cette mesure, d’annuler ce jugement et les décisions implicites de rejet émanant du préfet de la Dordogne ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution " ; que l’article L. 911-2 du même code dispose que : " lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé " ;
Considérant que l’exécution de la présente décision implique seulement que la demande de la COMMUNE D’ATUR soit réexaminée en ce qui concerne les droits à attribution afférents aux dépenses d’investissement engagées en 1992, 1993, 1994 et 1995 ; qu’il y a lieu, par suite, d’enjoindre au préfet de la Dordogne de procéder à ce réexamen dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision ; que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction de l’astreinte demandée par la commune ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il ya lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la COMMUNE D’ATUR et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 5 juillet 2005 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 9 octobre 2001 et les décisions implicites par lesquelles le préfet de la Dordogne a implicitement rejeté les demandes d’attributions du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée présentées par la COMMUNE D’ATUR sont annulés en tant qu’ils concernent les droits à attribution afférents aux dépenses d’investissement engagées en 1992, 1993, 1994 et 1995.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Dordogne de procéder au réexamen de la demande de la COMMUNE D’ATUR en ce qui concerne ses droits à attribution afférents aux dépenses d’investissement engagées en 1992, 1993, 1994 et 1995 dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la COMMUNE D’ATUR est rejeté.
Article 5 : L’Etat versera à la COMMUNE D’ATUR une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE D’ATUR et au ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.