COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE
N° 00MA00317
SOCIETE CIMEMA G. LAMIC SARL
Mme Bonmati
Président
M. Francoz
Rapporteur
M. Louis
Commissaire du gouvernement
Arrêt du 28 juin 2004
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE
Vu, enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 15 février 2000 sous le n° 00MA00317, la requête présentée pour la SOCIETE CIMEMA G. LAMIC SARL dûment représentée par son représentant légal, dont le siège est situé Route de Saint-André à Embrun (05200), par la SCP d’avocats Rosenfeld ;
La SOCIETE CIMEMA G. LAMIC SARL demande à la Cour :
1°/ d’annuler le jugement en date du 21 décembre 1999 par lequel le Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune d’Embrun à lui verser la somme de 2.082.977,56 F en réparation des préjudices résultant du non-versement de subventions allouées pour la réhabilitation de la salle de cinéma qu’elle exploite sur le territoire de la commune, avec intérêts légaux à compter du 24 mai 1994 ;
2°/ de condamner ladite commune à lui payer la somme précitée ainsi qu’une somme de 20.000 F sur le fondement de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Elle soutient :
que par délibération du conseil municipal du 18 octobre 1990, la commune d’Embrun a décidé de subventionner à hauteur de 500.000 F la rénovation du cinéma géré par la société ;
que le Conseil général des Hautes-Alpes participait également en complément à hauteur de 300.000 F et le Conseil régional de PACA pour 400.000 F ;
que le projet ayant été mené à terme, la commune a remis en cause le versement de toutes ces sommes en s’abstenant de verser sa propre part de subvention ;
que la commune ne peut exciper pour justifier son attitude de l’absence de création de l’association de gestion prévue puisque c’est elle qui a refusé d’en approuver les statuts pour lui substituer une société d’économie mixte locale, non mentionnée dans la délibération du 18 octobre 1990 ;
que l’association de gestion a été créée et ses statuts déposés le 9 novembre 1993 en préfecture des Hautes-Alpes ;
que la carence de la commune est à l’origine des préjudices suivants qu’il lui appartient de compenser : les subventions dues pour 1.200.000 F ; les pertes d’exploitation pour 532.976 F ; les frais financiers pour 92.872 F ; les nouvelles études de réalisation pour 157.129 F ; le préjudice moral pour 100.000 F ; soit au total la somme de 2.082.977 F ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu, enregistré au greffe de la cour administrative d’appel de Marseille le 6 juin 2000, le mémoire en défense présenté par la commune d’Embrun représentée par son maire en exercice dûment habilité, laquelle conclut :
1°/ au rejet de la requête ;
2°/ à la condamnation de la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL, d’une part, à lui rembourser les sommes engagées à l’occasion du partenariat public-privé et, d’autre part, à lui verser une somme de 20.000 F sur le fondement de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
3°/ à la réalisation d’une expertise comptable en vue de déterminer et de chiffrer les préjudices réellement subis par la requérante ;
Elle fait valoir :
que la commune avait pris l’engagement de subventionner à hauteur de 500.000 F un projet d’extension des locaux et des activités exploités par la société à Embrun, sous réserve de la création d’une association de la loi de 1901 assurant un partenariat public et privé ;
qu’elle a cependant envisagé dans l’intervalle de créer une société d’économie mixte qui, depuis a vu le jour ;
qu’elle a dans ce cadre-ci proposé à la SOCIETE G. LAMIC SARL une convention conformément aux textes législatifs intervenus entre-temps alors même que le différend opposant les parties avait déjà pris une dimension contentieuse ;
qu’elle a conservé les subventions dues dans l’attente d’une adhésion de la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL à la SEML SETEL créée par ses soins, le 9 juillet 1992 ;
que dès lors que la condition résolutoire mise à son aide financière n’a pas été levée, sa responsabilité ne saurait être engagée ;
Vu, enregistré le 23 avril 2004 au greffe de la Cour, le mémoire par lequel la commune d’Embrun conclut aux mêmes fins, par les mêmes moyens ;
Vu, enregistré le 27 avril 2004 au greffe de la Cour, l’envoi complémentaire de pièces effectué pour la commune d’Embrun ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 mai 2004 :
le rapport de M. Francoz, premier conseiller ;
les observations de Maître Himbaut de la SCP Rosenfeld pour la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL ;
les observations de Maître Elsa Bruschi substituant Maître Jean-Daniel Bruschi pour la commune d’Embrun ;
et les conclusions de M. Louis, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant que, par délibération du 18 octobre 1990, le conseil municipal d’Embrun a décidé d’accorder, dans le cadre d’un plan de financement prévoyant également une participation complémentaire de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour 400.000 F et du département des Hautes-Alpes pour 300.000 F, à la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL une aide de 500.000 F en vue de la réalisation d’un projet de réhabilitation d’une salle de cinéma dont l’initiative était également appuyée et partiellement financée par le conseil national de la cinématographie ; que ladite délibération subordonnait toutefois expressément le versement de la subvention à la constitution d’une structure associative, loi du 1er juillet 1901, destinée à formaliser un partenariat des collectivités publiques avec l’exploitant privé ;
Considérant qu’une décision attributive de subvention, dès lors qu’elle est prise sous condition, ne crée de droit au profit de son bénéficiaire que dès lors que celui-ci est, au moment où il demande le versement de la subvention allouée, en mesure de justifier que la condition posée se trouve remplie ; que si tel est le cas, la décision ayant ainsi créé un droit, le refus de versement est de nature à constituer pour la collectivité publique, une faute susceptible d’engager sa responsabilité à l’égard du bénéficiaire ;
Considérant, en l’espèce, qu’il résulte de l’instruction que la condition posée par la délibération était bien, afin de formaliser le partenariat public / privé, de constituer une structure de nature associative ; que les statuts de cette association ont très rapidement été proposés par la société requérante à la commune d’Embrun, même s’ils n’ont fait l’objet d’un dépôt en préfecture que le 9 novembre 1993 d’ailleurs à la seule initiative de la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL, ce retard étant dû aux divers atermoiements de la commune et notamment à la création, en juillet 1992, de la société d’économie mixte SETEL destinée à se substituer à l’association initialement requise ; qu’ainsi, contrairement à ce qu’à soutenu la commune d’Embrun, la condition unique exigée par la délibération susvisée était remplie ; que la circonstance qu’au bénéfice d’une réflexion plus large et des modifications intervenues dans la législation régissant la matière, la commune d’Embrun ait estimé devoir reprendre le projet pour l’englober dans un programme plus vaste de pôle culturel, touristique et de congrès, dont la gestion serait confiée, dans le cadre précisément d’un partenariat public / privé, à la société d’économie mixte sus évoquée, n’était de nature à lui permettre légalement ni de rapporter sa décision attributive de subvention devenue définitive et créatrice de droits ni de renoncer unilatéralement à tenir à l’égard de la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL les engagements pris à cette occasion desquels dépendaient également les aides financières complémentaires du département et de la région ; qu’il s’ensuit que la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL est fondée à soutenir que, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, la commune d’Embrun a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son égard ; qu’il résulte en outre de l’instruction que, compte tenu de la nature profondément différente, notamment au regard de ses conditions patrimoniales, de la structure de partenariat proposée par la commune d’Embrun à la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL, la commune ne saurait utilement se prévaloir de la faute qu’aurait commise la société requérante en n’en acceptant pas les modalités ;
Sur le préjudice :
Considérant que la société requérante est en droit de demander l’indemnisation du préjudice correspondant d’une part, au montant de la subvention qu’elle n’a pas reçue de la commune et d’autre part, à la perte d’une chance sérieuse de recevoir les participations complémentaires du département et de la région ; qu’il en sera fait une juste appréciation en évaluant l’ensemble à la somme de 135.000 euros ; que la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL est également en droit de demander l’indemnisation des frais financiers qu’elle a dû supporter du fait de l’obligation dans laquelle elle s’est trouvée de financer elle-même ses travaux et dont elle justifie suffisamment ainsi que la réparation du préjudice moral qui a résulté pour elle de la défaillance de la commune d’Embrun et, par voie de conséquence, des autres collectivités ; qu’il en sera fait une juste appréciation en évaluant ces chefs de préjudice à la somme globale de 25.000 euros ; qu’il y a lieu, en conséquence, et sans qu’il soit besoin de prescrire aucune mesure d’expertise, de condamner la commune d’Embrun à payer à la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL la somme totale de 160.000 euros ;
Sur les intérêts :
Considérant que la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 160.000 euros à compter du 24 mai 1994, date de réception de sa demande préalable par la commune d’Embrun ;
Sur les conclusions d’appel incident de la commune d’Embrun :
Considérant que si la commune d’Embrun demande à la Cour de condamner la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL à lui rembourser les sommes qu’elle a dû exposer en raison du conflit né à l’occasion de la substitution d’une société d’économie mixte à la structure associative de partenariat public/ privé initialement prévue et dans laquelle la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL s’est refusée à entrer, elle soulève ce faisant un litige distinct et, en outre, ne précise nullement la nature et le fondement de ses prétentions ; que les conclusions sus analysées ne peuvent, en conséquence et en tout état de cause, qu’être rejetées ;
Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL n’étant pas, dans la présente instance, partie perdante, les dispositions susvisées font obstacle à ce qu’elle soit condamnée à payer à la commune d’Embrun la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Considérant, en revanche, qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’affaire, de condamner la commune d’Embrun à payer à la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL la somme de 1.200 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement susvisé du Tribunal administratif de Marseille en date du 21 décembre 1999 est annulé.
Article 2 : La commune d’Embrun est condamnée à payer à la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL :
la somme de 160.000 euros à titre de réparation du préjudice subi. Ladite somme portera intérêts au taux légal à compter du 24 mai 1994 ;
la somme de 1.200 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL et les conclusions de la commune d’Embrun sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE CINEMA G. LAMIC SARL et à la commune d’Embrun.