CONSEIL D’ETAT
Statuant au Contentieux
N°s 219286 219413
Fédération nationale des transports FO et Fédération générale des transports de l’équipement CFDT
M. Vallée, Rapporteur
Mme Mignon, Commissaire du gouvernement
Séance du 26 octobre 2001
Lecture du 30 novembre 2001
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°), sous le n° 219286, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, présentés pour la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE demandant au Conseil d’Etat d’annuler le décret n° 2000-69 du 27 janvier 2000, modifiant le décret n° 83-40 du 26 janvier 1983, modifié, relatif aux modalités d’application des dispositions du code du travail concernant la durée du travail dans les entreprises de transport routier ;
Vu, 2°) sous le n° 219413, la requête sommaire et le mémoire complémentaire présentés pour la FEDERATION GENERALE DES TRANSPORTS DE L’EQUIPEMENT demandant au Conseil d’Etat d’annuler le décret n° 2000-69 du 27 janvier 2000, modifiant le décret n° 83-40 du 26 janvier 1983, modifié, relatif aux modalités d’application des dispositions du code du travail concernant la durée du travail dans les entreprises de transport routier ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 ;
Vu la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 ;
Vu le décret n° 83-40 du 26 janvier 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Vallée, Auditeur,
les observations de la SCP Bouzidi, avocat de la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE et de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de la FEDERATION GENERALE DES TRANSPORTS DE L’EQUIPEMENT CFDT
les conclusions de Mme Mignon, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE et de la FEDERATION DES TRANSPORTS DE L’EQUIPEMENT CFDT sont dirigées contre le décret pris en conseil des ministres n° 2000-69 du 27 janvier 2000 modifiant le décret susvisé du 26 janvier 1983 relatif aux modalités d’application des dispositions du code du travail concernant la durée du travail dans les entreprises de transport routier ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-2 du code du travail dans sa rédaction en vigueur à la date du décret attaqué : "Des décrets en conseil des ministres déterminent les modalités d’application de l’article L. 212-1 pour l’ensemble des branches d’activité ou des professions ou pour une branche ou une profession particulière. Les décrets fixent notamment l’aménagement et la répartition des horaires de travail, les périodes de repos, les conditions de recours aux astreintes, les dérogations permanentes ou temporaires applicables dans certains cas et pour certains emplois, les modalités de récupération des heures de travail perdues et les mesures de contrôle de ces diverses dispositions. / Ces décrets sont pris et révisés après consultation des organisations d’employeurs et de salariés intéressées et au vu, le cas échéant, des résultats des négociations intervenues entre ces dernières..." ;
Considérant que la FEDERATION GENERALE DES TRANSPORTS ET DE L’EQUIPEMENT CFDT soutient que le décret attaqué a été pris en violation du deuxième alinéa de l’article L. 212-2 du code du travail en vertu duquel les organisations d’employeurs et de salariés intéressées sont obligatoirement consultées préalablement à l’intervention des décrets en conseil des ministres, au nombre desquels figure le décret attaqué, déterminant les modalités d’application des dispositions de ce code limitant la durée hebdomadaire et la durée quotidienne du travail ; que le ministre de l’équipement, des transports et du logement soutient toutefois, sans être contredit, que les organisations d’employeurs et de salariés intéressées ont été consultées lors de deux réunions au cours du mois de janvier 2000 et produit la copie des lettres par lesquelles il a invité lesdites organisations à présenter leurs observations antérieurement à l’intervention du décret attaqué ; que si la FEDERATION GENERALE DES TRANSPORTS ET DE L’EQUIPEMENT CFDT fait valoir que l’ensemble des organisations concernées n’ont pas été consultées, elle ne conteste pas l’avoir elle-même été et ne désigne pas celles de ces organisations qui n’auraient pas été mises en mesure d’exprimer leur avis sur le projet de décret ; que si elle soutient en outre que, postérieurement à la consultation des organisations intéressées, le ministre aurait apporté à son projet de décret des modifications substantielles, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces modifications ont porté sur des questions nouvelles qui n’avaient pas été soumises à la consultation desdites organisations ; que, dès lors, la FEDERATION GENERALE DES TRANSPORTS ET DE L’EQUIPEMENT CFDT n’est pas fondée à soutenir que le décret attaqué a été pris sur une procédure irrégulière ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable en l’espèce : "La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. / La durée du travail ci-dessus fixée s’entend du travail effectif à l’exclusion du temps nécessaire à l’habillage et au casse-croûte ainsi que des périodes d’inaction dans les industries et commerces déterminés par décret. Ces temps pourront toutefois être rémunérés conformément aux usages et aux conventions ou accords collectifs de travail" ;
Considérant que l’article 1er du décret attaqué remplace l’article 5 du décret du 26 janvier 1983 par un nouvel article 5 dont le 3° fixe, à compter du 1er février 2000, la durée hebdomadaire du travail des personnels roulants marchandises "grands routiers" ou "longue distance" à 39 heures et celle des autres personnels roulants marchandises à 37 heures ;
Considérant que les fédérations requérantes entendent se prévaloir, à l’appui de leurs conclusions, des dispositions de l’article L. 212-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi susvisée du 19 janvier 2000, en vertu desquelles une durée équivalente à la durée légale du travail peut être instituée dans les professions et pour des emplois déterminés comportant des périodes d’inaction soit par décret, pris après conclusion d’une convention ou d’un accord de branche, soit par décret en Conseil d’Etat ; que, toutefois, l’article 37 de la loi du 19 janvier 2000, publiée au Journal officiel de la République française le 20 janvier 2000, dispose que "La présente loi est, sauf disposition contraire, applicable au 1er janvier 2000 ou au premier jour du mois suivant sa publication si celle-ci est postérieure au 1er janvier 2000" ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris en méconnaissance des dispositions susmentionnées de l’article L. 212-4 du code du travail, entrées en vigueur postérieurement à la date de la signature du décret litigieux, est inopérant ; que, pour les mêmes raisons, les autres moyens soulevés par les fédérations requérantes et fondés sur la violation par le décret litigieux de dispositions du code du travail dans leur rédaction issue de la loi du 19 janvier 2000, lorsque ladite loi n’a pas explicitement fixé, pour ces dispositions, une date d’effet antérieure au 27 janvier 2000, sont inopérants ;
Considérant que l’auteur du décret attaqué, intervenu sur le fondement des dispositions des articles L. 212-2 et L. 212-4 du code du travail précitées en vigueur à la date de sa signature, n’a pas excédé les limites de sa compétence en fixant, au 3° de l’article 5 tel qu’il résulte du décret attaqué, pour tenir compte de périodes autres que celles du travail effectif, pour les personnels roulants marchandises, une durée équivalente à la durée légale du travail, plus élevée que celle-ci ;
Considérant qu’aux termes du troisième alinéa du 1° du nouvel article 5 du décret du 26 janvier 1983 issu de l’article 1er du décret attaqué : "Les modalités selon lesquelles les temps de coupure et les temps de restauration sont considérés comme du temps de travail effectif en application des dispositions de l’article L. 212-4 du code du travail peuvent être déterminées, pour la branche, par accord collectif de branche ou, pour l’entreprise ou l’établissement, par accord d’entreprise ou d’établissement. Les accords conclus à l’issue des négociations engagées dans le cadre du présent alinéa peuvent également déterminer les contreparties qui sont le cas échéant attribuées aux personnels roulants pour ces temps de coupure ou de restauration, auxquels ces salariés sont assujettis, et que ces accords ne considéreraient pas comme du temps de travail effectif" ; que, contrairement à ce que soutient la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE, ces dispositions, qui prévoient que des conventions ou accords collectifs peuvent assimiler le temps de coupure et le temps de restauration à un temps de travail effectif par des stipulations, qui, en l’absence d’habilitation législative ne peuvent qu’être plus favorables aux salariés que les dispositions de l’article L.212-4 précitées du code du travail, ne méconnaissent pas ledit article ; qu’elles ne violent pas davantage le même article en prévoyant que les mêmes conventions ou accords pourront rémunérer les temps de coupure et les temps de restauration lorsqu’ils ne sont pas assimilés à du temps de travail effectif, ni le principe selon lequel les conventions et accords collectifs ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public des lois et règlements mais seulement comporter des dispositions plus favorables aux salariés ;
Considérant que si l’article L. 212-2 du code du travail donne compétence au pouvoir réglementaire pour déterminer les modalités d’application de l’article L. 212-1 du même code relatif à la durée hebdomadaire du travail et à la durée maximale de travail quotidien dans les entreprises de transport routier de marchandises, ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne l’habilitent à fixer, pour des branches d’activité ou des professions, un régime de rémunération des heures supplémentaires et un mode de calcul du repos compensateur spécifiques ; que, par suite, l’auteur du décret attaqué n’a pu, sans excéder les limites de sa compétence, déterminer des conditions de rémunération des heures supplémentaires effectuées par les personnels roulants marchandises et des durées de repos compensateur dont ces personnels peuvent bénéficier lorsqu’ils ont accompli des heures supplémentaires distinctes de celles fixées aux articles L. 212-5 et L. 212-5-1 du code du travail ; que la circonstance que ces dispositions ont fait l’objet d’une négociation est, à cet égard, sans influence ; que, dès lors, les fédérations requérantes sont fondées à demander l’annulation des dispositions des paragraphes 4°, 5° et 6° de l’article 5 du décret du 26 janvier 1983 résultant de l’article 1er du décret attaqué, qui ne sont pas indivisibles des autres dispositions dudit décret ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-7 du code du travail, dans sa rédaction applicable en l’espèce : "La durée moyenne hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-six heures. Au cours d’une même semaine, la durée du travail ne peut dépasser quarante-huit heures." ;
Considérant que le décret attaqué ne pouvait légalement fixer, pour les personnels roulants marchandises, des durées maximales hebdomadaires de travail supérieures à celles qui résultent de l’article L. 212-7 du code du travail augmentées des heures d’équivalence qu’il a déterminées ; que, dès lors, les fédérations requérantes sont seulement fondées à demander l’annulation du 7° du nouvel article 5 du décret du 26 janvier 1983 créé par le décret attaqué en tant qu’il fixe, pour les personnels roulants marchandises "grands routiers" ou "longue distance", la durée maximale de travail hebdomadaire à 56 heures au cours d’une même semaine, alors que cette dernière ne pouvait excéder 52 heures ;
Considérant qu’en vertu du premier alinéa de l’article L. 212-8 du code du travail dans sa rédaction applicable en l’espèce, une convention ou un accord collectif étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut prévoir que la durée hebdomadaire du travail peut varier sur tout ou partie de l’année à condition que sur un an cette durée n’excède pas la durée hebdomadaire légale par semaine travaillée ; que le gouvernement tenait des dispositions de l’article L. 212-2 du code du travail précité le pouvoir de retenir, pour l’application de l’article L. 212-1 du même code, une durée supérieure à la semaine pour le calcul de la durée hebdomadaire de travail ; qu’il suit de là que le décret attaqué a pu légalement, par son article 2 modifiant l’article 4 du décret du 26 janvier 1983, prévoir qu’à défaut d’accord conclu sur le fondement de l’article L. 212-8, la durée hebdomadaire du travail peut, pour les personnels roulants marchandises, être calculée sur une durée supérieure à la semaine, et pouvant être égale à deux semaines consécutives, trois semaines consécutives ou au plus un mois ;
Considérant que le détournement de procédure allégué n’est pas établi ;
D E C I D E :
Article 1er :Les paragraphes 4°, 5° et 6° et le paragraphe 7°, en tant qu’il fixe, pour les personnels roulants marchandises "grands routiers" ou "longue distance", la durée maximale de travail hebdomadaire à 56 heures au cours d’une même semaine, de l’article 5 du décret du 26 janvier 1983 dans sa rédaction issue de l’article 1er du décret n° 2000-69 du 27 janvier 2000 sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes de la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE et de la FEDERATION GENERALE DES TRANSPORTS DE L’EQUIPEMENT CFDT est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE, à la FEDERATION GENERALE DES TRANSPORTS DE L’EQUIPEMENT CFDT, au Premier ministre et au ministre de l’équipement, des transports et du logement.