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Conseil d’Etat, Assemblée, 19 mai 2004, n° 236470, Consorts B.

Les dispositions de l’article 61 du code civil ne subordonnent pas le relèvement d’un nom en voie d’extinction à la condition que le demandeur soit le plus proche descendant ou le plus proche collatéral de la personne dont il demande à relever le nom ou, si tel n’est pas le cas, que les plus proches descendants ou collatéraux aient donné leur accord à ce changement. C’est seulement lorsqu’elle est saisie de demandes concurrentes, ou d’oppositions au changement demandé que l’autorité administrative peut, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, prendre en compte un tel critère pour accorder ou refuser le relèvement demandé.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 236470

CONSORTS B.

Mme Jodeau-Grymberg
Rapporteur

Mme de Silva
Commissaire du gouvernement

Séance du 7 mai 2004 Lecture du 19 mai 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 23 juillet et le 16 novembre 2001, présentés pour MM. Pierre, Christian et Patrick B. ; les consorts B. demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 5 juin 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté leur requête tendant à l’annulation du jugement du 16 octobre 1997 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l’annulation des décisions du 15 décembre 1995 du garde des sceaux, ministre de la justice, rejetant leur demande de changement de nom ainsi que de la décision du 7 mai 1996 rejetant leur recours gracieux contre ces décisions ;

2°) d’annuler ce jugement et ces décisions ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi du 6 fructidor an VI ;

Vu le code civil, notamment son article 61 ;

Vu le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Jodeau-Grymberg, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat des consorts B.,
- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par décisions en date du 15 décembre 1995, confirmées le 7 mai 1996, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté les demandes des consorts B. tendant à être autorisés à ajouter à leur patronyme le nom "d’Ingrande", porté par une aïeule, aux motifs, d’une part, que les intéressés n’établissaient pas leur priorité à relever ce nom non plus que l’extinction de celui-ci, d’autre part, que le relèvement revendiqué ne portait que sur une partie du patronyme de leur aïeule ; que, par un jugement du 16 octobre 1997, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l’annulation de ces décisions ; que les consorts B. se pourvoient contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris qui a rejeté leur appel contre ce jugement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’aux termes de l’article 61 du code civil : "Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom./ La demande de changement de nom peut avoir pour objet d’éviter l’extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré./ Le changement de nom est autorisé par décret" ; que ces dispositions ne subordonnent pas le relèvement d’un nom en voie d’extinction à la condition que le demandeur soit le plus proche descendant ou le plus proche collatéral de la personne dont il demande à relever le nom ou, si tel n’est pas le cas, que les plus proches descendants ou collatéraux aient donné leur accord à ce changement ; que c’est seulement lorsqu’elle est saisie de demandes concurrentes, ou d’oppositions au changement demandé que l’autorité administrative peut, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, prendre en compte un tel critère pour accorder ou refuser le relèvement demandé ; qu’ainsi, en retenant que le garde des sceaux, ministre de la justice, avait pu légalement se fonder, alors qu’il n’était saisi d’aucune demande concurrente ni d’aucune opposition au changement sollicité, sur ce que les consorts B. n’établissaient pas leur priorité à relever le nom "d’Ingrande" pour rejeter leurs demandes, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ; que les consorts B. sont, par suite, fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Sur la légalité externe des décisions attaquées :

Considérant qu’aux termes de l’article 6 du décret du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom : "Le refus de changement de nom est motivé" ; que, pour rejeter les demandes des requérants, le garde des sceaux, ministre de la justice, s’est fondé, d’une part, sur ce que ces derniers n’établissaient ni leur priorité à relever le nom "d’Ingrande" ni l’extinction de ce nom, d’autre part, sur ce que le nom revendiqué n’était qu’une partie du patronyme de l’ascendant des requérants ; que les décisions attaquées sont ainsi suffisamment motivées ;

Considérant que, si les dispositions de l’article 2 du décret du 20 janvier 1994 fixent la liste des pièces qui doivent être jointes à une demande de changement de nom pour que celle-ci soit déclarée recevable et fasse l’objet d’un examen par l’administration, ces dispositions ne dispensent pas le demandeur de produire les pièces de nature à justifier le bien-fondé des motifs qu’il invoque à l’appui de sa demande ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, aucune disposition de nature législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n’impose à l’administration, avant de statuer sur une demande, d’inviter le pétitionnaire à produire les pièces qu’elle estime nécessaires pour établir le bien-fondé de ses prétentions ; qu’ainsi, le garde des sceaux, ministre de la justice, n’a pas commis d’irrégularité en rejetant les demandes des consorts B. sans avoir, au préalable, invité ces derniers à produire les pièces qu’il jugeait nécessaires pour pouvoir faire droit à leurs demandes ;

Sur la légalité interne des décisions attaquées :

Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le motif tiré de ce que les consorts B. n’établissaient pas leur priorité à relever le nom demandé est entaché d’erreur de droit ;

Mais considérant que le garde des sceaux s’est également fondé, pour rejeter la demande des consorts B., sur deux autres motifs ;

Considérant, en premier lieu, que le relèvement de nom, qui a pour objet d’éviter l’extinction d’un patronyme, doit, en principe, porter sur l’intégralité du patronyme ; qu’il n’en va autrement, à titre exceptionnel, que si le demandeur justifie d’un intérêt légitime suffisamment caractérisé à n’adjoindre à son nom qu’une partie du patronyme demandé ; qu’ainsi, les consorts B., qui n’invoquaient aucun intérêt de cette nature, ne sont pas fondés à soutenir que le garde des sceaux, ministre de la justice, a commis une erreur de droit en rejetant leurs demandes au motif que le relèvement qu’ils demandaient ne portait que sur une partie du patronyme de leur aïeule ;

Considérant, en second lieu, qu’il ressort des pièces du dossier qu’en retenant que les consorts B. n’établissaient pas que le nom qu’ils revendiquaient était éteint, le garde des sceaux, ministre de la justice, n’a commis ni erreur de droit ni erreur manifeste d’appréciation ;

Et considérant qu’il résulte de l’instruction que le garde des sceaux, ministre de la justice aurait pris les mêmes décisions s’il s’était fondé seulement sur ces deux motifs, ou sur l’un ou l’autre d’entre eux ;

Considérant enfin que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les consorts B. ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l’annulation des décisions du 15 décembre 1995 par lesquelles le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté leurs demandes de changement de nom, ainsi que de la décision du 7 mai 1996 rejetant leur recours gracieux contre ces décisions ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 5 juin 2001 est annulé.

Article 2 : La requête des consorts B. devant la cour administrative d’appel de Paris est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre B., à M. Christian B., à M. Patrick B. et au garde des sceaux, ministre de la justice.

 


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