CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 238315
SCI LA FONTAINE DE VILLIERS
M. Keller
Rapporteur
M. Guyomar
Commissaire du gouvernement
Séance du 9 janvier 2004
Lecture du 2 février 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-section réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 septembre 2001 et 11 décembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SCI "LA FONTAINE DE VILLIERS", dont le siège est 88 rue de Villiers à Levallois-Perret (92532) ; la SCI "LA FONTAINE DE VILLIERS" demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 14 juin 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, après avoir annulé le jugement du 17 novembre 1998 du tribunal administratif de Versailles, a annulé le permis de construire qui lui avait été délivré le 16 janvier 1998 par le maire de Villiers-le-Bâcle (91190) ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu la loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque ;
Vu le décret n° 86-192 du 5 février 1986 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Keller, Maître des Requêtes,
les observations de Me Odent, avocat de la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS,
les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif dès lors que celui-ci assure les respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l’exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises ; que les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-38-4 du code de l’urbanisme : "Lorsque la construction est située dans le champ de visibilité d’un édifice classé ou inscrit, le permis de construire ne peut être délivré qu’avec l’accord de l’architecte des Bâtiments de France (...)" ; qu’aux termes de l’article R. 421-38-5 du même code : "Lorsque la construction se trouve dans un site inscrit, (...) le permis de construire est délivré après consultation de l’architecte des Bâtiments de France" ; qu’il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet de construction présenté par la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS est situé dans le site inscrit de la vallée de Chevreuse et dans le champ de visibilité de la maison atelier du peintre Foujita, inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques ; que si l’architecte des bâtiments de France n’a pas été consulté sur ces deux questions avant que le maire de Villiers-le-Bâcle (Essonne) n’accorde, par un arrêté du 16 janvier 1998, un permis de construire à la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS, il a en revanche donné son accord, au vu de l’ensemble du dossier, au projet autorisé par le permis modificatif accordé le 30 octobre suivant à la même société ; que la légalité du permis ainsi délivré à la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS doit être appréciée en tenant compte des modifications apportées à l’arrêté du 16 janvier 1998 par l’arrêté du 30 octobre 1998 ; qu’il en résulte que la cour administrative d’appel, saisie d’une demande d’annulation du permis délivré le 16 janvier 1998, a fait une erreur de droit en jugeant que ce permis était illégal en raison de l’absence de consultation de l’architecte des Bâtiments de France ; que, dès lors, son arrêt doit être annulé ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de statuer au fond ;
Considérant que, dans un mémoire enregistré le 27 octobre 1998 au greffe du tribunal administratif de Versailles, les requérants de première instance ont soulevé le moyen tiré de ce que l’avis émis le 30 juin 1998 par l’architecte des bâtiments de France était irrégulier au motif qu’il ne se prononçait pas sur le choix des couleurs de certaines parties de la construction projetée ; que les requérants ont aussi, dans un mémoire enregistré le 30 octobre 1998 au greffe du tribunal administratif de Versailles, soulevé le moyen tiré de ce que l’arrêté du 30 octobre 1998 délivrant un permis de construire modificatif à la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS n’avait pu légalement prévoir, en son article 4, qu’il était "exécutoire à compter de sa réception" ; que le tribunal administratif n’a pas répondu à ces moyens ; qu’il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler son jugement ;
Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. Lecoquierre Duboys de la Vigerie ;
Sur les interventions :
Considérant que l’association "Villages d’Ile-de-France" a intérêt à l’annulation du permis de construire attaqué ; que son intervention est, par suite, recevable ;
Considérant en revanche que l’association des habitants de Villiers-le-Bâcle, dont l’objet social est de "promouvoir l’animation sociale, culturelle et économique et de défendre les intérêts matériels et moraux de tout ou partie des habitants de Villiers-le-Bâcle" ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour intervenir à l’appui du recours pour excès de pouvoir ; que son intervention n’est, dès lors, pas recevable ;
Sur la légalité externe du permis de construire attaqué :
Considérant qu’à la date du dépôt de la demande de permis de construire, la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS était titulaire d’une promesse de vente des terrains d’assiette du projet ; qu’elle justifiait ainsi d’un titre l’habilitant à construire sur ces parcelles ;
Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les terrains d’assiette du projet comprendraient des vestiges archéologiques ; qu’il s’ensuit que le directeur des antiquités n’avait pas à être consulté en application de l’article 1er du décret du 5 février 1986 ;
Considérant qu’en indiquant que les matériaux apparents en façade seront de couleur "ton pierre divers", le dossier joint à la demande de permis satisfait aux prescriptions de l’article L. 421-2 du code de l’urbanisme qui prévoit que le projet de construction doit notamment définir le choix des couleurs ; que la notice permettant d’apprécier l’impact visuel du projet, exigée par le 7° de l’article R. 421-2 du code de l’urbanisme, figurait au dossier joint à la demande de permis de construire déposée le 18 novembre 1997 ; que si tous les documents graphiques exigés par le 6° du même article ne figuraient pas à ce dossier, ils ont été joints à la demande de permis modificatif déposée le 29 mai 1998 ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la consultation de l’architecte des bâtiments de France préalablement à la délivrance du permis modificatif accordé le 30 octobre 1998 a eu pour effet de régulariser le permis initial qui n’avait pas été précédé de cette consultation ; qu’il ressort des pièces du dossier que l’architecte s’est prononcé sur les aspects essentiels de la construction envisagée et notamment, contrairement à ce que soutiennent les requérants, sur les couleurs des parties extérieures des bâtiments ; qu’en indiquant que "le projet envisagé dans ses dispositions actuelles est de nature à porter atteinte au caractère historique de l’immeuble dans le champ de visibilité duquel il se trouve" tout en délivrant un avis favorable, l’architecte n’a entaché son avis d’aucune contradiction dès lors que l’avis favorable n’a été délivré que sous réserve de l’observations des prescriptions qu’il prévoit ;
Sur la légalité interne du permis de construire attaqué :
Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’emprise des bâtiments projetés serait contraire aux dispositions du "secteur de plan masse" auxquelles ils sont soumis en application de l’article UA 7 du règlement du plan d’occupation des sols ; que le moyen tiré de ce que la construction projetée porterait atteinte aux caractère des lieux avoisinants et des deux édifices classés dans le champ de visibilité desquels elle est située n’est assorti d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé ;
Considérant si les arrêtés du maire de Villiers-le-Bâcle délivrant à la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS un permis de construire et deux permis modificatifs, qui prévoient leur transmission au préfet, prévoient également qu’ils sont exécutoires à compter de leur notification, conformément d’ailleurs à l’article L. 421-2-4 du code de l’urbanisme, ces dispositions n’ont en aucun cas pour effet de dispenser le constructeur des obligations qui résultent de l’article 4 de la loi du 2 mai 1930, en ce qui concerne les travaux dans un site classé ; qu’ils ne sont dès lors pas, sur ce point, entachés d’illégalité ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que de M. Lecoquierre Duboys de la Vigerie n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté attaqué ;
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de cet article et de condamner M. Lecoquierre Duboys de la Vigerie à verser une somme de 1 500 euros à la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS et la même somme à la commune de Villiers-le-Bâcle ; que les mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par M. Lecoquierre Duboys de la Vigerie, qui est en la présente instance la partie perdante ;
Considérant que l’association "Villages d’Ile-de-France", intervenante, n’est pas partie à l’instance ; que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce que cette association soit condamnée à verser à la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS et à la commune de Villiers-le-Bâcle les sommes que celles-ci demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; que les dispositions du même article font également, et en tout état de cause, obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la même association ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 14 juin 2001 de la cour administrative d’appel de Paris est annulé.
Article 2 : Le jugement du 17 novembre 1998 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 3 : L’intervention de l’association "Villages d’Ile-de-France" est admise.
Article 4 : L’intervention de l’association des habitants de Villiers-le-Bâcle n’est pas admise.
Article 5 : La demande présentée devant le tribunal administratif par l’association "Villages d’Ile-de-France" et M. Lecoquierre Duboys de la Vigerie et ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de la justice administrative sont rejetées.
Article 6 : M. Yves Lecoquierre Duboys de la Vigerie versera une somme de 1 500 euros à la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS et la même somme à la commune de Villiers-le-Bâcle en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions présentées par la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS et par la commune de Villiers-le Bâcle est rejeté.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à la SCI LA FONTAINE DE VILLIERS, à l’association "Villages d’Ile-de-France", à la commune de Villiers-le-Bâcle, et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.