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Conseil d’Etat, 19 novembre 2003, n° 241391, Mme Annie G.

Ainsi, et alors même que les médecins ayant pratiqué la ponction n’auraient commis aucune faute médicale, le fait qu’une gangrène gazeuse se soit déclarée révèle une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Brest.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 241391

Mme G.

M. Aladjidi
Rapporteur

M. Olson
Commissaire du gouvernement

Séance du 15 octobre 2003
Lecture du 19 novembre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 décembre 2001 et 26 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Annie G. ; Mme G. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 28 février 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes, après avoir annulé le jugement du 30 octobre 1996 du tribunal administratif de Rennes, a limité à la somme de 60 627 F l’indemnité que le centre hospitalier universitaire de Brest a été condamné à lui verser en réparation du préjudice résultant pour elle et pour sa fille des conséquences de l’amputation de la jambe gauche de son mari, Jean-Luc G., aujourd’hui décédé ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Brest à verser à Me Blondel la somme de 3 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aladjidi, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Blondel, avocat de Mme G. et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Brest,
- les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. G., a été hospitalisé, le 3 janvier 1991, au centre hospitalier universitaire de Brest pour y subir une ponction-biopsie osseuse ; qu’à la suite de cet examen, il a ressenti une douleur persistante qui a justifié le 5 janvier suivant sa réhospitalisation dans cet établissement où une nouvelle intervention, pratiquée le 8 janvier, a permis de diagnostiquer une gangrène nécessitant l’amputation de la jambe gauche après désarticulation de la hanche ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme G. qui, à la suite du décès de son époux intervenu le 5 janvier 1999, a repris, agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité d’héritière et de représentante légale de sa fille Sara, l’instance qu’il avait engagée devant la cour, soutenait que la complication infectieuse consécutive à la biopsie a été prise en compte avec un retard qui révèle une faute dans le fonctionnement du service hospitalier ; que la cour a omis de répondre à ce moyen qui n’était pas inopérant ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;

Considérant qu’en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise ordonnée par les premiers juges, que la gangrène dont M. G. a été victime et qui a conduit à l’amputation de sa jambe gauche s’est déclarée dans les heures qui ont suivi la ponction-biopsie réalisée le 3 janvier 1991 au centre hospitalier de Brest et trouve son origine au point même de la ponction ; que si le centre hospitalier soutient que la gangrène de M. G. aurait eu pour cause la leucémie myéloïde dont celui-ci était atteint, il n’apporte pas d’élément, et notamment aucune analyse bactériologique, de nature à démentir l’attestation versée au dossier par le chirurgien qui a procédé à l’amputation et selon laquelle la gangrène constatée était une gangrène gazeuse, provoquée par l’introduction d’un germe infectieux extérieur à l’organisme du patient ; qu’ainsi, et alors même que les médecins ayant pratiqué la ponction n’auraient commis aucune faute médicale, le fait qu’une gangrène gazeuse se soit déclarée révèle une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Brest ; que, par suite, Mme G. est fondée à demander pour ce motif l’annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 30 octobre 1996 qui a rejeté la demande de réparation présentée par son mari ;

Sur le préjudice :

Considérant qu’il résulte de l’instruction que les frais médicaux, pharmaceutiques et d’hospitalisation résultant directement des conséquences dommageables de l’hospitalisation de M. G. s’élèvent à 801 866,99 F soit 122 243,83 euros ; que les indemnités journalières qui lui ont été servies s’élèvent à un montant de 9 038,71 F soit 1 377,94 euros ; que le taux d’incapacité résultant de l’amputation de la jambe gauche subie par M. G. peut être évalué, dans les circonstances de l’espèce, à 75 % ; que les troubles de toute nature qui en ont résulté pour l’intéressé doivent être évalués, compte tenu de son décès survenu en janvier 1999 et dont il n’est pas allégué qu’il soit en rapport avec l’amputation subie en janvier 1991, à la somme de 48 000 euros incluant notamment divers frais matériels non pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie du Finistère mais non les frais de déplacement pour lesquels aucun justificatif n’a été produit ; qu’enfin, il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques endurées et du préjudice esthétique subi en les fixant, respectivement à 9 000 euros et 3 000 euros ; qu’il y a lieu, par suite, de fixer le préjudice global subi par M. G. à la somme de 183 621,77 euros ;

Sur les droits de la caisse primaire d’assurance maladie du Finistère :

Considérant que la caisse primaire d’assurance maladie justifie avoir exposé des frais pour son assuré social d’un montant de 123 621,77 euros ; qu’il y a lieu, en application de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, de condamner le centre hospitalier universitaire de Brest à lui verser cette somme ;

Sur les droits de Mme G. et de la fille de M. G. :

Considérant que si Mme G. a demandé réparation du préjudice résultant pour elle et pour la fille mineure de M. G. de la dégradation de l’état de santé de ce dernier après son amputation, ces conclusions ont été présentées pour la première fois en appel et sont, par suite, irrecevables ; que Mme G. et la fille de M. G., ont droit, en revanche, en leur qualité d’héritiers de ce dernier, à la somme de 183 621,77 euros diminuée des frais remboursés à la caisse d’assurance maladie, soit 60 000 euros ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que la somme de 60 000 euros portera intérêts à compter du 10 janvier 1994, date de la demande préalable de M. G. auprès du centre hospitalier universitaire de Brest ; que ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à compter du 10 janvier 1995 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les frais d’expertise :

Considérant qu’il y a lieu de mettre les frais de l’expertise ordonnée en référé à la charge du centre hospitalier universitaire de Brest ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner le centre hospitalier universitaire de Brest à payer à Me Blondel, sous réserve qu’il renonce à percevoir la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle, une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes en date du 28 février 2001, et le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 30 octobre 1996 sont annulés.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Brest versera à Mme G. et à la fille de M. G., en leur qualité d’héritiers de ce dernier, une somme de 60 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 1994. Les intérêt seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à compter du 10 janvier 1995, ainsi qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Brest versera à la caisse primaire d’assurance maladie du Finistère une somme de 123 621,77 euros.

Article 4 : Le pourvoi incident du centre hospitalier universitaire de Brest est rejeté.

Article 5 : Les frais de l’expertise ordonnée en référé sont mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Brest.

Article 6 : Le centre hospitalier universitaire de Brest versera à Me Blondel, sous réserve de renonciation à la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle, une somme de 3 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête d’appel de Mme G. et de sa fille est rejeté.

Article 8 : La présente décision sera notifiée à Mme Annie G., au centre hospitalier universitaire de Brest, à la caisse primaire d’assurance maladie du Finistère et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

 


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