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Conseil d’Etat, 3 novembre 2003, n° 244045, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI)

Si, pour se conformer aux dispositions des articles 5 et 5 bis de la loi du 13 juillet 1983, le décret du 26 août 1987 était tenu d’exclure du bénéfice de la qualité de fonctionnaire stagiaire les candidats admis à l’Ecole normale supérieure qui ne sont pas ressortissants d’Etats membres de la Communauté européenne ou parties à l’accord sur l’Espace économique européen, il ne pouvait, en revanche, en méconnaissance de ces mêmes articles 5 et 5 bis, en écarter les candidats admis ressortissants d’un Etat partie audit accord non membre de la Communauté européenne.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 244045

GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI)

M. J. Boucher
Rapporteur

M. Piveteau
Commissaire du gouvernement

Séance du 10 octobre 2003
Lecture du 3 novembre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 5ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 13 mars 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES (GISTI), dont le siège est 3, villa Marcès à Paris (75011) ; le GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande en date du 10 janvier 2002 tendant à l’abrogation de l’article 26 du décret n° 87-695 du 26 août 1987 modifié portant statut de l’Ecole normale supérieure en ce qu’il prévoit que seuls les élèves de nationalité française acquièrent, s’ils ne sont pas déjà fonctionnaires, la qualité de fonctionnaire stagiaire ;

2°) d’annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre, le secrétaire d’Etat au budget et le ministre de la fonction publique et de la réforme de l’Etat ont rejeté sa demande en date du 8 octobre 2001 tendant à la modification de l’article 2 du décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 relatif aux stagiaires de l’Etat et de ses établissements publics en ce qu’il ne règle pas le cas particulier des élèves de l’Ecole normale supérieure étrangers non ressortissants de l’Union européenne qui sont susceptibles d’intégrer, sans être soumis à une condition de nationalité, la fonction publique soit en qualité d’enseignants titulaires dans l’enseignement supérieur ou de chercheurs soit dans un emploi ou un autre service de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ou des entreprises nationales ;

3°) d’annuler la décision du 17 décembre 2001 par laquelle le ministre de l’éducation nationale a rejeté sa demande tendant à la modification de l’arrêté du 27 novembre 1998 fixant les conditions d’admission à l’Ecole normale supérieure afin de permettre aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne d’acquérir, à l’instar des ressortissants communautaires, la qualité de fonctionnaire stagiaire pendant leur scolarité à l’Ecole ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l’accord sur l’Espace économique européen ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, ensemble la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996, notamment son article 47 ;

Vu le décret n° 87-695 du 26 août 1987 ;

Vu le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. J. Boucher, Auditeur,
- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;

Considérant que le Premier ministre a rejeté par une décision implicite une demande en date du 8 octobre 2001 du GROUPEMENT D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES tendant à la modification des dispositions du décret du 7 octobre 1994 relatif aux stagiaires de l’Etat et de ses établissements publics afin que soit réglée la situation particulière des élèves de l’Ecole normale supérieure de nationalité étrangère ; que le ministre de l’éducation nationale a rejeté par une décision en date du 17 décembre 2001 la demande du requérant tendant à la modification de l’arrêté du 27 novembre 1998 fixant les conditions d’admission à l’Ecole normale supérieure afin de permettre aux étrangers de bénéficier de la qualité de fonctionnaire stagiaire ; que le Premier ministre a rejeté par une décision implicite la demande en date du 10 janvier 2002 du GROUPEMENT D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES tendant à l’abrogation de l’article 26 du décret du 26 août 1987 portant statut de l’Ecole normale supérieure en ce qu’il exclut les étrangers ayant réussi le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure de l’accès à la qualité de fonctionnaire stagiaire ; que le GROUPEMENT D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES demande l’annulation de ces trois décisions ;

En ce qui concerne les conclusions relatives au décret du 7 octobre 1994 :

Considérant qu’aux termes de l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : "Sous réserve des dispositions de l’article 5 bis nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire : / 1° S’il ne possède la nationalité française" ; qu’aux termes de l’article 5 bis de la même loi tel qu’il résulte de l’article 47 de la loi du 16 décembre 1996 : "Les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen autres que la France ont accès, dans les conditions prévues au statut général, aux corps, cadres d’emplois et emplois dont les attributions, soit sont séparables de l’exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’Etat ou des autres collectivités publiques" ; que ces dispositions du statut général de la fonction publique, qui ne sont pas inconciliables avec la nature particulière de la qualité de stagiaire, sont applicables aux fonctionnaires ayant cette qualité ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions de l’article 2 du décret du 7 octobre 1994, qui prévoient que les fonctionnaires stagiaires sont soumis aux dispositions de la loi du 13 juillet 1983 et du 11 janvier 1984 et à celles des décrets pris pour leur application dans la mesure où elles sont compatibles avec leur situation particulière, ne sont pas entachées d’illégalité en ce qu’elles ne prévoient pas que les élèves de l’Ecole normale supérieure non ressortissants d’un Etat membre de la Communauté européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen peuvent accéder à la qualité de fonctionnaire stagiaire ; que la circonstance que certains élèves de l’Ecole normale supérieure intègrent, à l’issue de leur scolarité, des corps de chercheurs ou d’enseignants ouverts aux étrangers sans aucune condition de nationalité ne saurait, en l’absence de disposition législative le prévoyant, autoriser le pouvoir réglementaire à déroger aux dispositions précitées de la loi du 13 juillet 1983 ;

En ce qui concerne les conclusions relatives au décret du 26 août 1987 et à l’arrêté du 27 novembre 1998 :

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 26 du décret du 26 août 1987 portant statut de l’Ecole normale supérieure, dans sa rédaction en vigueur au moment du litige : "Les élèves ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne acquièrent, s’ils ne sont déjà fonctionnaires, la qualité de fonctionnaire stagiaire" ; qu’aux termes des dispositions des articles 29 et 30 de l’arrêté du 27 novembre 1998 fixant les conditions d’admission à l’école normale supérieure : "Article 29 : (...) A l’issue des épreuves d’admission, le jury établit, pour chacun des concours et par ordre de mérite, la liste des candidats ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne et des autres candidats étrangers proposés pour l’admission. Ces derniers sont classés sur une liste particulière au même rang que les candidats ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne ayant obtenu le même nombre de points. (...) / (...) Le directeur de l’école arrête, pour chacun des concours, la liste définitive des candidats admis ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne et des autres candidats étrangers ainsi que, le cas échéant, la liste complémentaire par ordre de mérite. / Article 30 : Le ministre procède à la nomination en qualité d’élèves des candidats ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne admis au concours. (...)" ;

Considérant que si, pour se conformer aux dispositions des articles 5 et 5 bis de la loi du 13 juillet 1983, le décret du 26 août 1987 était tenu d’exclure du bénéfice de la qualité de fonctionnaire stagiaire les candidats admis à l’Ecole normale supérieure qui ne sont pas ressortissants d’Etats membres de la Communauté européenne ou parties à l’accord sur l’Espace économique européen, il ne pouvait, en revanche, en méconnaissance de ces mêmes articles 5 et 5 bis, en écarter les candidats admis ressortissants d’un Etat partie audit accord non membre de la Communauté européenne ; que le pouvoir réglementaire ne pouvait pas davantage, par conséquent, soumettre, par les articles 29 et 30 de l’arrêté du 27 novembre 1998, les candidats admis ressortissants d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen non membre de la Communauté européenne à un régime différent de celui des ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le GROUPEMENT D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES est fondé à demander l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le Premier ministre sur sa demande tendant à l’abrogation de l’article 26 du décret du 26 août 1987 portant statut de l’Ecole normale supérieure ainsi que l’annulation de la décision du 17 décembre 2001 par laquelle le ministre de l’éducation nationale a rejeté sa demande tendant à la modification de l’arrêté du 27 novembre 1998 fixant les conditions d’admission à l’Ecole normale supérieure en tant que ces deux textes ont exclu les élèves de l’Ecole normale supérieure ressortissants des Etats parties à l’accord sur l’Espace économique européen non membres de la Communauté européenne de l’accès à la qualité de fonctionnaire stagiaire ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le Premier ministre sur la demande du GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES tendant à l’abrogation de l’article 26 du décret du 26 août 1987 portant statut de l’Ecole normale supérieure ainsi que la décision du 17 décembre 2001 par laquelle le ministre de l’éducation nationale a rejeté la demande du requérant tendant à la modification de l’arrêté du 27 novembre 1998 fixant les conditions d’admission à l’Ecole normale supérieure sont annulées en tant qu’elles portent sur l’exclusion de l’accès à la qualité de fonctionnaire stagiaire des ressortissants des Etats parties à l’accord sur l’Espace économique européen non membres de la Communauté européenne.

Article 2 : Le surplus des conclusions du GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRES, au Premier ministre, au ministre de la fonction publique, de la réforme de l’Etat et de l’aménagement du territoire, au ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche et au ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

 


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