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La détention provisoire : quelle réparation en cas d’abus ? (I)

Par Patrick LINGIBÉ
Avocat au Barreau de la Guyane, Chargé de Cours à l’Institut d’Études Supérieures de la Guyane

La détention provisoire est une mesure que peut prendre une juridiction, le plus souvent le juge d’instruction, à l’encontre d’une personne mise en examen, prévenue ou accusée, et au terme de laquelle l’intéressé est placé sous écrou pour une période plus ou moins longue, bien qu’il n’ait pas encore été statué sur sa culpabilité.

La détention provisoire est une mesure que peut prendre une juridiction, le plus souvent le juge d’instruction, à l’encontre d’une personne mise en examen, prévenue ou accusée, et au terme de laquelle l’intéressé est placé sous écrou pour une période plus ou moins longue, bien qu’il n’ait pas encore été statué sur sa culpabilité.

Cette mesure, organisée par l’article 144 du Code de procédure pénale, est justifiée grosso modo par l’intérêt social et la bonne administration de la justice.

La mise en détention provisoire d’un certain nombre de personnalités mises en cause dans le cadre des « affaires », dont la presse écrite et audiovisuelle s’est faite largement l’écho, a permis de porter sur la place publique une mesure pour le moins équivoque.

Toutefois, nous constatons avec regret que l’intérêt critique porté à la mesure de détention provisoire n’était pas réellement perceptible lorsqu’il concernait un quidam. En effet, ce caractère équivoque ne l’est devenu qu’à partir du moment où cette mesure a touché des notables.

Or, la détention provisoire est une mesure très grave en soi.

En effet, elle attente aux garanties fondamentales des droits de la personne devant la Justice, principalement à celle de la présomption d’innocence qui doit auréoler toute personne mise en examen.(1)

Pourtant, les chiffres confirment l’importance de la mesure de mise en détention provisoire et par-là même les coups portés à l’Innocence immaculée de toute personne. (2) (3)

Cette grave entorse légale à cette présomption devient d’autant plus injuste, cruelle, voire destructive que la personne victime d’une mesure de détention provisoire se voit en bout de piste du débat judiciaire relaxée ou acquittée.

Se pose inévitablement alors la question cruciale de la réparation de cette détention injustifiée, la réparation de l’Irréparable.

A cet effet, la loi n° 70-643 du 17 Juillet 1970 a opéré deux réformes.

L’une, a porté sur une modification d’ordre sémantique mais donne le ton de la réforme voulue. En effet, la détention est désormais appelée « détention provisoire », ce dernier terme ayant remplacé celui de « détention préventive  ». Cette différence de vocable visait en principe à mettre en évidence un changement d’approche du législateur  : désormais, la liberté est la règle, la détention l’exception.

L’autre, a institué, pour la première fois en France, un régime d’indemnisation de la détention provisoire en cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement.

La loi n° 96-1235 du 30 Décembre 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme (4) a apporté, dans son article 9, une modification notable et importante quant à la caractérisation du préjudice à indemniser.

Par de là cette modification législative intervenue en 1996, plusieurs projets de textes visent à réparer directement ou indirectement le préjudice d’une détention provisoire injustifiée .(5)

Cette effervescence de textes est donc l’occasion de nous pencher sur le régime juridique de l’indemnisation de la détention provisoire (II) après avoir exposé le principe sur lequel se fonde ce système d’indemnisation (I). Enfin, nous exposerons les modifications qui nous paraissent souhaitables d’apporter en vue d’améliorer le système indemnitaire actuel (III).
 

I - LE FONDEMENT DU SYSTEME INDEMNITAIRE DE LA DETENTION PROVISOIRE EN CAS D’INNOCENCE.

Le système de réparation de la détention provisoire d’un innocent mis en place en 1970 fait suite à des précédents historiques (A). De même, ce système se fonde sur des notions de responsabilité particulières enracinées dans notre Droit (B).

A°)- Des précédents historiques timides.

L’Histoire témoigne d’erreurs judiciaires qui ont ému l’opinion publique et ont montré que l’appareil judiciaire pouvait se tromper. En clair, que la «  vérité judiciaire » rendue par des hommes pouvait ne pas nécessairement épouser les contours de la « Vérité Vraie ».

Ainsi, le procès de Jean CALAS au 18ème siècle en est une parfaite illustration. Accusé d’avoir assassiné son fils, il sera roué en place publique en 1762, étranglé et brûlé. VOLTAIRE montrera les incohérences du procès pénal qui entraînera la réhabilitation de la famille CALAS, une famille protestante qui a seulement été victime de l’intolérance et du fanatisme religieux de l’époque.

Ce cas, rappelé par Monsieur le Procureur général près la Cour de Cassation Adolphe TOUFFAIT dans ses conclusions prises devant la Commission d’indemnisation, est intéressant puisqu’il amènera Louis XV à accorder (par humanité et non à titre de réparation) sur sa cassette personnelle une rente de 36 000 livres aux héritiers de CALAS.(6)

D’autres cas pourraient être cités, telle l’affaire DREYFUS ou plus près encore de nous celle de Philippe JACOMET, Richard ROMAN et de Jean CHOURAQUI.

Bien qu’elle ne figure pas expressément dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, cette volonté de réparer l’irréparable erreur judiciaire (au sens large du terme) est bien présente dans les esprits.

Ainsi, en 1788 le Chancelier LAMOIGNON va imposer au Parlement de Paris, au cours d’un lit de justice, le souhait royal de « dédommager les innocents ayant subi sur des faux indices les rigueurs d’une poursuite criminelle  ».(7)

Toutefois, malgré moult déclarations d’intention, aucun acte ne sera réellement fait pour assurer la réparation de la personne ayant subi à tort une privation de sa liberté.

En fait, ce n’est qu’au début du siècle qu’apparaîtront effectivement bien que timidement des actes visant la réparation des personnes innocentes injustement condamnées.

En effet, la loi de finances du 8 Avril 1910 va créer un poste budgétaire intitulé « Secours aux individus relaxés ou acquittés  ».

En l’espèce, il s’agissait toujours de secours et non pas d’indemnités allouées aux personnes.

De plus, l’octroi de ce secours était conditionné par la démonstration d’un préjudice important.

Ce n’est finalement qu’avec la loi du 17 Juillet 1970 que le législateur prononcera expressément le terme « indemnisation ».

Mais les inhibitions historiques sont là : la condition de versement d’une indemnité à titre de réparation est soumise jusqu’à la réforme législative de 1996 à la démonstration par l’intéressé d’un « préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité ».

Ces termes rappellent quelque peu ceux exigés en 1910.

Cette exigence tenant à la nature du préjudice ne traduit-elle pas un malaise profond de nos institutions à indemniser l’erreur judiciaire ?

Par ailleurs, une indemnisation renvoie ipso facto à la notion de la faute qu’elle vise justement à réparer.

A qui imputer la faute ?

Cela nous conduit à aborder la problématique de la responsabilité de la Justice.
 

B)- La problématique de la responsabilité de la Justice.

Cette responsabilité de la Justice peut être posée de deux manières. La première est d’ordre objective et appréhende la notion de responsabilité au niveau du service public judiciaire (1). La deuxième est de nature subjective et tend à appréhender ladite responsabilité à travers les magistrats pris isolément (2).

1)- La responsabilité du service public de la Justice.

Lorsque le Législateur révolutionnaire adopte la loi du 16-24 Août 1790 sur l’organisation judiciaire et institue dans son célèbre article 13 la séparation des autorités judiciaires des autorités administratives, c’est par défiance à l’égard des anciens Parlements (anciens tribunaux) qui s’étaient opposés farouchement aux réformes structurelles proposées par le roi.(8)

Cette séparation conduira donc à l’institution d’un Juge spécialisé et indépendant du Judiciaire chargé du contentieux de l’Administration et notamment de sa responsabilité.

C’est ainsi que dans un premier temps, le Tribunal des Conflits pose dans son célèbre arrêt BLANCO du 8 Février 1873 (9) le principe de la responsabilité des services publics de l’Etat et des autres collectivités publiques, lequel repousse l’application de l’article 1382 du code civil posant la responsabilité de principe en matière civile délictuelle et énonce le principe aux termes duquel « cette responsabilité de l’Etat n’est ni générale, ni absolue, qu’elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés. »

Quelques mois après, le même Tribunal dans un arrêt Pelletier du 30 Juillet 1873 (10) précise de quelle manière cette responsabilité administrative doit être distinguée de celle, personnelle, des agents appartenant à ces services publics. (11)

Le Conseil d’Etat dégagera par la suite les degrés de la faute de service en distinguant la faute de service simple de celle de la faute de service lourde, la deuxième exigeant en principe la nécessité d’une faute qualifiée lorsqu’un service est particulièrement difficile à gérer ou encore lorsqu’une fonction s’avère particulièrement délicate.

Enfin, si la responsabilité pour faute fonde le régime commun de la responsabilité administrative, le Juge administratif va élaborer une théorie de la responsabilité sans faute ou encore appelée responsabilité pour risque, qu’il appliquera dans certaines situations ou à certains services. Dans un tel cas, il n’est pas nécessaire à la victime d’un dommage, pour avoir droit à réparation, de prouver que ce dommage a son origine dans une faute commise par l’administration. (12)

L‘Etat manifeste ses attributs juridictionnels à travers le service public de la justice. Toutefois, le juge compétent pour connaître de la responsabilité du service de la justice judiciaire pose problème.

En effet, dans sa forme organisationnelle, c’est à l’évidence un service public administratif, à l’instar des autres services publics, qui le soumettrait aux règles de responsabilité appliquées par le juge administratif.

Par contre, dans sa forme fonctionnelle, il concerne le juge judiciaire et renvoie donc au principe de séparation entre les deux ordres juridictionnels  : ce qui impliquerait l’incompétence du juge administratif à connaître des contentieux de ce service public.

Le Tribunal des Conflits, dans un arrêt Préfet de la Guyane du 27 Novembre 1952, (13) a tenté assez difficilement de distinguer selon que le litige ressortit à l’organisation même du service public de la justice (14) ou à l’exercice de la fonction juridictionnelle. Dans le premier cas le juge administratif serait compétent alors que dans le second cas ce serait le juge judiciaire.

Mais déjà dès le début du siècle, dans une décision du 7 Mars 1919 Chauron (15) , le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent pour connaître d’un recours contre le fonctionnement du service judiciaire. C’est ainsi que les actes préparatoires à des décisions juridictionnelles de l’ordre judiciaire échappent complètement à la compétence du juge administratif, telle l’ouverture d’une information judiciaire (Conseil d’Etat, Section, 10 Février 1984, Ministre de l’agriculture c/ Sté «  Les fils de Henri Ramel »).(16)

De plus, la mise en place d’une responsabilité spéciale du service judiciaire sur les éléments humains qui la composent va être confirmée par deux modifications législatives.

D’une part, l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire (17) créé par la loi n° 72-626 du 5 Juillet 1972 en remplacement de l’article 505 du Code de procédure civile dispose :

« L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
La responsabilité des juges, à raison de leur faute personnelle, est régie par le statut de la magistrature en ce qui concerne les magistrats du corps judiciaire et par des lois spéciales en ce qui concerne les juges composant les juridictions d’attribution.
L’Etat garantit les victimes des dommages causés par les fautes personnelles des juges et autres magistrats, sauf son recours contre ces derniers.
Toutefois, les règles de l’article 505 du Code de procédure civile continuent à recevoir application jusqu’à l’entrée en vigueur des dispositions législatives concernant la responsabilité des magistrats à raison de leur faute personnelle. »

D’autre part, la loi organique n° 79-43 du 18 Janvier 1979 a créé un article 11-1 dans l’ordonnance n° 58-1270 du 22 Décembre 1958 modifiée relative au statut de la magistrature, lequel dispose  :

« Les magistrats du corps judiciaire ne sont responsables que de leurs fautes personnelles.
La responsabilité des magistrats qui ont commis une faute personnelle se rattachant au service public de la justice ne peut être engagée que sur l’action récursoire de l’Etat.
Cette action récursoire est exercée devant une chambre civile de la Cour de cassation. »

Nous constatons donc la volonté du législateur de substituer la responsabilité anonyme de l’Etat au lieu et place de celle pouvant incomber le cas échéant aux magistrats en cas de faute personnelle commise dans le cadre du service public de la justice.

Un tel régime de responsabilité n’est pas une nouveauté puisque celui-ci a été appliqué depuis des décennies aux membres de l’enseignement public.(18)

Au demeurant, l’un des avantages non négligeables pour la victime à indemniser réside dans la solvabilité du créancier qui doit finalement réparation, en l’espèce l’Etat.(19)

Toutefois, le dispositif mis en place par la loi du 17 Juillet 1970 n’a pas pour objet de réparer une détention arbitraire ou illégale, voire une faute lourde ou un déni de justice qui eux se rattachent aux textes précités ou à des incriminations pénales précises.(20)

En effet, cette loi institue un régime d’indemnisation fondé avant tout sur le principe suivant lequel, même en l’absence de faute imputable aux magistrats, l’Etat doit supporter les conséquences du risque créé par le fonctionnement défectueux du service public de la Justice.

Ce système est une application du principe prétorien de la responsabilité sans faute propre au droit public, plus précisément sur celui qui vise à éviter la rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.

Toutefois, la responsabilité peut être axée sur la responsabilité personnelle des juges.
 

2°)- La responsabilité personnelle des juges.

La responsabilité personnelle des magistrats peut se trouver mise en cause par la procédure dite de prise à partie.

Cette procédure est prévue par l’article 505 du Code de procédure civile, lequel dispose :

« les juges peuvent être pris à partie dans les cas suivants :
1° S’il y a dol, fraude, concussion ou faute lourde professionnelle qu’on prétendrait avoir été commis, soit dans le cours de l’instruction, soit lors des jugements ;
2° Si la prise à partie est expressément prononcée par la loi  ;
3° Si la loi déclare les juges responsables, à peine de dommages et intérêts ;
4° S’il y a déni de justice.
L’Etat est civilement responsable des condamnations en dommages et intérêts qui seront prononcées à raison de ces faits, contre les magistrats, sauf son recours contre ces derniers. ».

Il est clair qu’une telle procédure suppose que soit rapportée la preuve manifeste d’une faute lourde du magistrat mis en cause.

Cette procédure était par voie de conséquence extrêmement rare.

De plus, cet article 505 a été abrogé par la loi n° 72-626 du 5 Juillet 1972, laquelle institue aux lieu et place une responsabilité de l’Etat en cas de dysfonctionnement du service judiciaire.

Cependant, l’optique actuelle du Législateur s’oriente vers une responsabilité personnelle.

En effet, l’avant-projet de loi organique relatif au statut des magistrats présenté par le Garde des Sceaux, élisabeth GUIGOU, développe tout un volet concernant la responsabilité des magistrats.

Deux articles de cet avant-projet de loi sont révélateurs de cette nouvelle optique.

En premier lieu, l’article 50-3 de ce projet de texte dispose :

« Il est institué une commission nationale d’examen des plaintes des justiciables compétente, pour les cours et tribunaux, ainsi composée :

1° - un magistrat hors hiérarchie de la Cour de cassation, désigné par l’ensemble des magistrats hors hiérarchie ladite Cour, président  ;

2° - une personnalité qualifiée désignée par le Médiateur de la République  ;

3° - une personnalité qualifiée désignée conjointement par le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée nationale.

Les personnalités visées aux 2° et 3° de l’alinéa précédent ne peuvent avoir la qualité de magistrat ou d’ancien magistrat de l’ordre judiciaire.

Dans les mêmes formes, il est procédé à la désignation d’un membre suppléant.

Les membres de cette commission sont désignés pour quatre ans. »
 

En deuxième lieu, selon l’article 50-4 de ce projet de texte :

« La commission est saisie des plaintes de toute personne qui s’estime lésée par un dysfonctionnement du service de la justice ou par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire commis par un magistrat dans l’exercice de ses fonctions.

A peine d’irrecevabilité, la plainte doit contenir l’indication détaillée des faits allégués. Elle doit être signée par le plaignant et indiquer son identité et son adresse.

La commission peut solliciter, des premiers présidents de cour d’appel et des procureurs généraux près lesdites cours, ou des présidents des tribunaux supérieurs d’appel et procureurs de la République près lesdits tribunaux, tous éléments d’information utiles.

Par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, la commission peut soit ne pas donner suite à la plainte lorsqu’elle l’estime infondée, soit la transmettre pour attribution au ministre de la justice et au chef de cour concerné.

Elle avise le plaignant de la suite réservée à sa plainte ainsi que tout magistrat personnellement visé par cette plainte.

Le ministre de la justice peut faire diligenter des investigations. Des poursuites disciplinaires peuvent être engagées par le ministre de la justice ainsi que par le chef de cour concerné, dans les conditions prévues aux articles 50-1 et 50-2.

La commission rend public chaque année un rapport d’activité, qui précise notamment le nombre de plaintes qu’elle a transmises au garde des sceaux et aux chefs de cour. »
 

Nous pensons que cette orientation va dans le bon sens.

Car comme le rappelle le Professeur Jacques-Henri ROBERT « l’autorité n’est légitime que si ces détenteurs répondent de leurs actes comme tout un chacun  ». (21)

Aujourd’hui, le Droit aboutit à une responsabilisation de tous les acteurs de la vie sociale.

Ainsi, l’élu politique est autant responsable que le chef d’entreprise, le notaire ou encore l’huissier et le bon père de famille.

Force est donc de constater qu’aucun corps social n’échappe à une irresponsabilité dans l’exercice de ses fonctions.

Les magistrats ne sauraient être au dessus des lois : personne ne saurait soutenir le contraire.

Ce principe implique ipso jure une responsabilité individuelle de tout magistrat qui violerait les lois qu’il a pour fonction de respecter scrupuleusement et d’appliquer avec discernement.

La réforme du statut actuel de la magistrature et la responsabilisation qu’elle y implique aboutit à une vérité appliquée à tous au sein de la société : il ne peut y avoir de Pouvoir sans responsabilités ni de responsabilités sans Pouvoir.

Il est vrai malheureusement que cette réforme tardive mais nécessaire parce que conforme à nos principes de responsabilité intervient dans un climat de suspicion.

En effet, comme le note avec justesse le Professeur Jacques-Henri ROBERT :

« Depuis que les affaires politico-financières agitent les esprits, toute décision judiciaire, toute réforme législative est suspecte : on veut y voir la main de l’ennemi politique ou une basse manœuvre d’auto-amnistie. Dans un tel climat, toute réforme, si raisonnable soit-elle succombe sous les sarcasmes et les injures. » (22)

Il faut donc espérer que par delà ce climat, la réforme aboutira.

Cependant, nous pensons que le projet peut être amélioré à un double niveau.

Tout d’abord, au niveau de la composition de la commission amenée à se prononcer sur la responsabilité des magistrats. A notre sens, il faudrait un plus grand nombre de personnes au sein d’une telle commission. N’oublions pas ici qu’il s’agit d’apprécier si un magistrat a commis des fautes graves. Ainsi, nous pensons qu’il conviendrait que d’autres personnes fassent partie de cette commission, tels par exemple d’autres professionnels du droit, voire pourquoi pas des citoyens ayant été victimes d’erreurs judiciaires.

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas pour nous de voir engager systématiquement la responsabilité des juges pour un oui ou pour un non.

Il s’agit de déterminer dans un contexte donné quelle a été la part de responsabilité personnelle prise par un juge dans l’exercice de l’activité juridictionnelle.

Par exemple, il est clair que la mise en détention d’une personne innocente dans le seul but d’obtenir des aveux constitue une faute très grave du magistrat.

Nous notons que l’article 50-4 précité dans son alinéa 1er vise des plaintes suite à « un dysfonctionnement du service de la justice ou par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire commis par un magistrat …/… »

Il ressort donc qu’une faute disciplinaire d’un juge constituera une faute relevant de la commission des plaintes susvisée.

Toutefois, la faute disciplinaire est une notion assez floue en droit de la fonction publique.

C’est une appréciation au cas par cas, autrement dit in concreto.

Ainsi, le Conseil d’état, Juge d’Appel des décisions rendues par le Conseil Supérieur de la Magistrature, a considéré que constituait une faute disciplinaire :

- le fait pour un procureur de la République de tenir des propos injurieux et portant atteinte à l’honneur et à la considération d’un collègue lors d’une conversation téléphonique avec un journaliste et de s’immiscer dans une affaire dont il est régulièrement dessaisi en laissant croire qu’il pouvait faire progresser par des contacts officieux une information (Conseil d’état 19 Janvier 1996, Weisbuch  : Droit administratif 1996, n° 158) ;

- les retards excessifs, répétés et sans justification d’un magistrat dans la rédaction de décisions de justice et le prononcé des jugements (Conseil d’état 17 Janvier 1996, Madame Dourthe, requête n° 156833).

Nous pensons donc que la Commission précitée doit être élargie pour plus de crédibilité et d’indépendance.

Car comment expliquer à une personne innocente qui a passé des années derrière les barreaux que les personnes qui l’y ont envoyé continueront paisiblement leur carrière sans aucune responsabilité ?

Nous pensons que sur ce point la Commission doit être le reflet véritable du Peuple Français au nom duquel les décisions judiciaires, mêmes entachées d’erreurs, sont rendues.

Ensuite, à un second niveau, il nous paraît capital de bien faire le distinguo entre faute personnelle et réparation du préjudice subi.

En effet, il faut éviter qu’une telle réforme n’aboutisse à neutraliser l’appareil judiciaire ou encore à l’orienter vers un système de pseudo-autoprotection.

En clair, il faut éviter absolument que les décisions de non-lieu, de relaxe, d’acquittement ne soient moins nombreuses qu’actuellement parce que, par un effet induit, la Jurisprudence deviendrait moins exigeante dans l’application et le respect de la Norme.

Il nous paraît donc indispensable pour la victime que l’Etat soit le seul à réparer civilement la faute personnelle du juge fautif, à charge naturellement pour le payeur d’exercer une action récursoire contre le magistrat fautif.

Il ne pourrait en aller autrement : le magistrat n’aurait jamais les capacités financières pour indemniser une faute personnelle qu’il aurait commise à l’égard d’un citoyen, sauf à recourir à un système de cautionnement tel que celui auquel ont recours les comptables publics.

Cette responsabilité dans le paiement du préjudice s’impose : d’abord, pour éviter les effets pervers de la réforme au sein de la magistrature elle-même  ; ensuite et surtout pour la victime.

Les questions de responsabilité ayant été posées, il convient donc à présent d’entrer au cœur de ce dispositif d’indemnisation particulier.


Notes de Bas de page :

1) Deux textes peuvent être cités à ce titre. D’une part, l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 Août 1789 : « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, ... ». D’autre part et plus récemment, l’article 9-1 du Code civil, alinéa 1er , ajouté par la loi n° 93-2 du 4 Janvier 1993 : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. ». [retour au texte]

2) Au 1er Juillet 1999, la population pénale française totalisait 57.844 détenus répartis de la manière suivante : 37.715 condamnés (65,2 %), 20.129 prévenus (34,8 %) - Source : «  Les chiffres clés de la Justice Octobre 1999 du Ministère de la Justice, sous-direction de la statistique des études et de la documentation. [retour au texte]

3) Dans le département de la Guyane où l’ancienne prison de Cayenne (fonctionnelle jusqu’en Avril 1998) était la plus surpeuplée des établissements pénitentiaires de France avec un taux d’occupation de 300 %, la population pénale était au 20 Janvier 1999 de 362 détenus répartie de la manière suivante  : 206 condamnés (57 %) ; 156 prévenus (43,09 %) – confer Rapport d’activités 1998 du Centre pénitentiaire de la Guyane transmis à Madame le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de la Guyane, page 43. [retour au texte]

4) Loi publiée au Journal Officiel du 1er Janvier 1997. [retour au texte]

5) Projet de loi relatif à la présomption d’innocence et aux droits des victimes ; avant-projet de loi organique relatif au statut des magistrats comportant notamment des dispositions relatives à la mobilité et à la responsabilité. [retour au texte]

6) Conclusions prises le 8 Juillet 1971, publiées dans le recueil Dalloz-Sirey 1971, Chronique XXVII. [retour au texte]

7) Propos rapportés par le Procureur Général près la Cour de Cassation. [retour au texte]

8) Ainsi, les réformes, notamment fiscales, proposées par TURGOT n’ont pu aboutir à cause des Parlements qui étaient d’ailleurs composés essentiellement de membres provenant de la noblesse de robe. [retour au texte]

9) Arrêt 8 Février 1873, Blanco, arrêt publié dans le GAJA, Dalloz 1996, n° 1. [retour au texte]

10) Arrêt du 30 Juillet 1873, Pelletier, publié dans le GAJA, Dalloz 1996, n° 2. [retour au texte]

11) Depuis l’arrêt du 5 Mai 1877 Laumonnier-Carriol, selon la distinction du Commissaire du Gouvernement LAFERRIERE la faute personnelle serait celle qui révèle « l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences ... » alors que la faute de service révèle un administrateur « plus ou moins sujet à erreur ». [retour au texte]

12) Ainsi, depuis l’arrêt Couitéas du Conseil d’Etat du 30 Novembre 1923 (publié dans GAJA précité, n° 45), le refus d’exécuter par les services de police les décisions de justice constitue une hypothèse de responsabilité sans faute fondée sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques. Cette responsabilité sans faute d’origine prétorienne a été formalisée dans l’article 16 de la loi n° 91-650 du 9 Juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution aux termes duquel « L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation. » [retour au texte]

13) Arrêt du 27 Novembre 1952, Préfet de la Guyane, publié dans le GAJA, Dalloz 1996, n° 82. [retour au texte]

14) Ainsi, la régularité de la composition de la chambre d’accusation d’une cour d’appel appelée à donner son avis sur une demande d’extradition relève de l’organisation du service de la justice (Conseil d’Etat, Assemblée, 7 Juillet 1978, Croissant). [retour au texte]

15) Conseil d’Etat 7 Mars 1919, Chauron, Recueil Lebon, page 243. [retour au texte]

16) Conseil d’Etat, Section, 10 Février 1984, Recueil Lebon, page 54. [retour au texte]

17) La place de cet article est révélatrice de l’option prise par le législateur puisqu’il se situe sous le titre huitième intitulé « Responsabilité du fait du fonctionnement défectueux du service de la Justice. » [retour au texte]

18) La loi du 29 Juillet 1899 modifiée par celle du 5 Avril 1937 a substitué la responsabilité de l’Etat à celle des instituteurs. [retour au texte]

19) Il convient de préciser que le traitement alloué à un fonctionnaire est sans commune mesure avec les responsabilités qui lui incombent dans le cadre de ses fonctions. C’est pourquoi, très tôt, le juge administratif a opté d’abord pour un cumul de fautes (Conseil d’Etat, 3 Février 1911, Anguet - GAJA précité, n° 26) et peu après pour un cumul de responsabilités (Conseil d’Etat, 26 Juillet 1918, Lemonnier, GAJA précité, n° 36) (la faute personnelle de l’agent n’étant pas étrangère au service public dans lequel ce dernier exerce ses fonctions). Un tel cumul permet à la victime d’attraire la collectivité publique en indemnisation au lieu et place de l’agent fautif, lequel généralement ne peut manifestement pas payer les sommes réclamées. C’est un système qui vise avant tout à protéger la victime de l’insolvabilité de l’agent qui aurait commis une faute personnelle. [retour au texte]

20) Ainsi, l’article 432-5 et suivants du Code pénal sanctionnent les privations de liberté faites illégalement par des fonctionnaires d’autorité. [retour au texte]

21) Jacques-Henri ROBERT : « La puissance et la justice », Droit pénal n° 12 Décembre 1999, page 3. [retour au texte]

22) Jacques-Henri ROBERT : « La puissance et la justice », Droit pénal n° 12 Décembre 1999, page 3. [retour au texte]

© - Tous droits réservés - Patrick LINGIBÉ - 21 mai 2000

 


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