COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
N° 98PA01171
Mme Sylviane L.
M. JANNIN
Président de chambre
Mme REGNIER-BIRSTER
Rapporteur
M. HEU
Commissaire du Gouvernement
Séance du 29 avril 2003
Lecture du 13 mai 2003
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
(4ème Chambre A)
VU la requête, enregistrée le 20 avril 1998 au greffe de la cour, présentée par Mme Sylviane L., demeurant
c/o S.D.M. 75, rue de Lourmel 75015 Paris ; Mme L. demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n°s 951118/5, 9511147/5, 9511148/5, 9511340/5 du 16 décembre 1997 du tribunal administratif de Paris en tant qu’il a rejeté ses demandes tendant à l’annulation de l’arrêté en date du 9 mai 1995 du président et des questeurs du Sénat lui infligeant la sanction de mise à la retraite d’office et de l’arrêté en date du 6 juin 1995 du bureau du Sénat confirmant la sanction ;
2°) d’annuler pour excès de pouvoir lesdits arrêtés ;
3°) d’ordonner sa réintégration sous astreinte de 300 F par jour ;
4°) de condamner le Sénat à lui verser une somme de 6 000 F au titre des frais irrépétibles ;
VU les autres pièces des dossiers ;
VU l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ;
VU la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
VU la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
VU le règlement intérieur du Sénat portant statut du personnel ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 29 avril 2003 :
le rapport de Mme REGNIER-BIRSTER, premier conseiller,
les observations de Me JORION, avocat, pour Mme L. et celles de Me VEDIE, avocat, pour le Sénat,
les conclusions de M. HEU, commissaire du Gouvernement,
et connaissance prise de la note en délibéré présentée pour le Sénat le 29 avril 2003 ;
Sur les conclusions à fin d’annulation et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " Les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires... " ; et qu’aux termes de l’article 6 : " ... Les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires " ; qu’il résulte de ces dispositions qu’un agent public, objet d’une procédure disciplinaire, peut bénéficier devant le conseil de discipline de l’assistance d’un avocat à moins que cette assistance ne soit exclue par les textes régissant cette procédure ou incompatible avec le fonctionnement de l’organisme en cause ;
Considérant qu’aux termes de l’article 103 du règlement intérieur du Sénat portant statut du personnel : " ...l’intéressé est également informé de son droit... de se faire assister par un membre du personnel ne faisant pas partie du conseil de discipline " ; que cette disposition, qui autorise le fonctionnaire à se faire assister par un membre du personnel du Sénat, n’a ni pour objet, ni pour effet de lui interdire de se faire assister par un avocat, conformément aux dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971 ;
Considérant que l’arrêté en date du 9 mai 1995 du président du Sénat infligeant à Mme L., administrateur du Sénat, la sanction de mise à la retraite d’office a été pris sur avis favorable émis par le conseil de discipline le 19 avril 1995 ; que, par une lettre en date du 7 avril précédent, le secrétaire général du Sénat avait refusé l’intervention de l’avocat choisi par l’intéressée au motif erroné que le statut du personnel du Sénat ne permettait pas à un fonctionnaire traduit devant le conseil de discipline de se faire assister par un avocat ; qu’il s’ensuit que les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971 ont été méconnues ; que cette méconnaissance, alors même que Mme L. a pu se faire assister d’un défenseur appartenant au personnel du Sénat, entache la sanction infligée à l’intéressée d’irrégularité ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme L. est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté en date du 9 mai 1995 du président et des questeurs du Sénat lui infligeant la sanction de mise à la retraite d’office et de l’arrêté en date du 6 juin suivant du bureau du Sénat confirmant la sanction ;
Sur les conclusions tendant à la suppression d’écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires :
Considérant que, d’après les dispositions de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article L. 741-2 du code de la justice administrative, les cours administratives d’appel peuvent, dans les causes dont elles sont saisies, prononcer, même d’office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires ;
Considérant que le passage du mémoire du Sénat, enregistré le 29 juin 1999, commençant par " on observera de plus que le supérieur note le caractère difficile " et se terminant par " une entreprise de destruction qui a lamentablement échoué " ne présente pas un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire ; qu’il n’y a donc pas lieu d’en prononcer la suppression ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public... prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution" ; qu’en vertu de l’article L. 911-3 du même code, la juridiction peut assortir l’injonction ainsi prescrite d’une astreinte dont elle fixe la date d’effet ;
Considérant que l’exécution du présent arrêt, qui annule les arrêtés en date des 9 mai et 6 juin 1995 prononçant la mise à la retraite d’office de Mme L., implique nécessairement la réintégration de cette dernière à la date de son éviction ; qu’il y a lieu de prescrire cette mesure en fixant un délai d’exécution de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt ; qu’il n’y a toutefois pas lieu, compte tenu des circonstances de l’affaire, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme L., qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer au Sénat la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de condamner le Sénat, par application des mêmes dispositions, à payer à Mme L. une somme de 1 500 euros, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 16 décembre 1997, en tant qu’il a rejeté les demandes de Mme L. tendant à l’annulation des arrêtés du président et des questeurs du Sénat du 9 mai 1995 et du bureau du Sénat du 6 juin 1995, et lesdits arrêtés sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au président du Sénat de procéder à la réintégration de Mme L. à la date de son éviction dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le Sénat versera à Mme L. une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions du Sénat tendant au bénéfice des mêmes dispositions sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme L. est rejeté.