CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 240194
SOCIETE SERVIER MONDE
Mme de Salins
Rapporteur
Mlle Fombeur
Commissaire du gouvernement
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d’Etat, statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés respectivement les 19 novembre 2001 et 19 mars 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE SERVIER MONDE ; la SOCIETE SERVIER MONDE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêté en date du 14 septembre 2001 en tant que, par cet arrêté, le ministre de l’emploi et de la solidarité et le ministre délégué à la santé ont fixé à 65 % le taux de participation de l’assuré pour les spécialités " Duxil (comprimés et solution buvable) " et " Trivastal (comprimés enrobés dosés à 20 mg et à 50 mg et injectable 3 mg) " ;
2°) de condamner l’Etat à lui payer la somme de 5 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme de Salins, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la SOCIETE SERVIER MONDE,
les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité de l’article 1er de l’arrêté du 14 septembre 2001 en tant qu’il modifie le taux de prise en charge du " Trivastal 20 mg comprimé pelliculé " et du " Trivastal LP 50 mg comprimé à libération prolongée enrobé " :
Considérant, d’une part, que, selon l’article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les médicaments spécialisés mentionnés à l’article L. 5121-8 du code de la santé publique ne peuvent être pris en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d’assurance maladie que s’ils figurent sur une liste établie dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ; qu’aux termes du I de l’article R. 163-3 du code de la sécurité sociale : " Les médicaments sont inscrits sur la liste prévue à l’article L. 162-17 au vu de l’appréciation du service médical rendu qu’ils apportent, indication par indication. Cette appréciation prend en compte l’efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l’affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur la liste " ;
Considérant, d’autre part, que, selon les dispositions du 5° de l’article R. 322-1 du code de la sécurité sociale, la participation de l’assuré prévue à l’article L. 322-2 est fixée à 65 %, soit une prise en charge par l’assurance maladie au taux de 35 %, " pour les médicaments principalement destinés au traitement des troubles ou affections sans caractère habituel de gravité ", figurant sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale, après avis de la commission de la transparence mentionnée à l’article R. 163-15 ; qu’en vertu des dispositions ajoutées à ce même alinéa par l’article 6 du décret n° 99-915 du 27 octobre 1999, il en va de même pour les médicaments dont le service médical rendu " n’a pas été classé comme majeur ou important " ; qu’en vertu des mêmes dispositions, il revient à la commission de la transparence de se prononcer sur ce classement, en fonction des critères définis au I de l’article R. 163-3 ; qu’enfin, il résulte du 6° de l’article R. 322-1 que, pour les médicaments qui ne relèvent pas du 5°, la participation de l’assuré est fixée au taux de droit commun de 35 %, soit une prise en charge au taux de 65 % par l’assurance maladie ;
Considérant qu’il résulte des dispositions précitées que, pour déterminer ou modifier le taux de remboursement d’un médicament comportant plusieurs indications thérapeutiques, l’administration doit, dans un premier temps, examiner si ce médicament est principalement destiné à traiter des troubles ou affections sans caractère habituel de gravité, auquel cas sa prise en charge par l’assurance maladie est limitée à un taux de 35 % ; que, si tel n’est pas le cas, il lui appartient, dans un second temps, d’évaluer le service médical rendu des indications de ce médicament ; que, dans cette seconde hypothèse, le médicament est remboursé au taux de 65 % dès lors que, pour l’une au moins de ses indications représentant une part suffisamment importante du volume de ses prescriptions, le service médical rendu par ce médicament est majeur ou important ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le " Trivastal 20 mg comprimé pelliculé " et le " Trivastal LP 50 mg comprimé à libération prolongée enrobé ", qui comportent chacun quatre indications, doivent être regardés comme principalement destinés au traitement de troubles ou affections présentant un caractère habituel de gravité ; que leur service médical rendu est majeur ou important en ce qui concerne l’indication " traitement de la maladie de Parkinson " pour laquelle est prescrite chacune de ces deux spécialités ; que cette indication, qui totalise plus de 22 % des prescriptions de " Trivastal ", représente une part suffisamment importante de celles-ci ; que, dans ces conditions, et nonobstant la circonstance que la maladie de Parkinson est par ailleurs au nombre des maladies susceptibles d’entraîner la suppression du ticket modérateur pour les patients qui en sont atteints, ces deux spécialités n’entraient pas dans le champ d’application du 5° de l’article R. 322-1 du code de la sécurité sociale et devaient donc, en application du 6°, bénéficier d’un taux de remboursement de 65 % ; que, par suite, la SOCIETE SERVIER MONDE est fondée à soutenir que l’arrêté attaqué est entaché d’illégalité en tant qu’il abaisse ce taux à 35 % pour ces deux formes du " Trivastal " ;
Sur la légalité de l’article 1er de l’arrêté du 14 septembre 2001 en tant qu’il modifie le taux de prise en charge du " Duxil comprimé enrobé ", du " Duxil suspension buvable " et du " Trivastal 3mg/1ml solution injectable " :
Considérant que l’article R. 163-4 du code de la sécurité sociale prévoit que l’inscription et le renouvellement de l’inscription des médicaments sur la liste prévue à l’article L. 162-17, ainsi que la modification des conditions d’inscription, sont prononcés après avis de la commission de la transparence ; qu’en vertu de l’article R. 163-16, cet avis est motivé et doit être communiqué à l’entreprise concernée ; que le contenu de cet avis est défini par l’article R. 163-18 aux termes duquel il comporte notamment : " (…) /6° pour les médicaments inscrits sur la liste prévue à l’article L. 162-17, leur classement au regard de la participation des assurés aux frais d’acquisition dans deux catégories déterminées en fonction de l’importance du service médical rendu (…) " ;
Considérant que, dès lors que l’arrêté attaqué modifie les conditions d’inscription des spécialités " Duxil comprimé enrobé ", " Duxil suspension buvable " et " Trivastal 3mg/1ml solution injectable " sur la liste prévue à l’article L. 162-17 du code de la sécurité sociale en abaissant leur taux de prise en charge en raison du caractère modéré voire insuffisant du service médical rendu de ces spécialités, les avis préalablement émis sur ces dernières par la commission de la transparence devaient comporter celles des mentions prévues par les dispositions précitées de l’article R. 163 ?18 du même code qui sont pertinentes pour éclairer tant l’entreprise concernée que les ministres compétents sur les éléments susceptibles de conduire à l’abaissement du taux de prise en charge des spécialités en cause ; qu’à ce titre, s’agissant de spécialités pouvant comporter plusieurs indications et dans la mesure où, ainsi qu’il vient d’être dit, il suffit que l’une d’entre elles représentant une part suffisamment importante du volume de ses prescriptions comporte un service médical rendu majeur ou important pour que la spécialité correspondante soit remboursée au taux de 65 %, la commission de la transparence appelée, à la suite de la modification apportée aux dispositions précitées du 5° de l’article R. 322-1 par le décret du 27 octobre 1999, à réexaminer le service médical rendu par les spécialités en cause, a pu n’émettre d’avis que sur la ou les indications ayant le service médical rendu le plus élevé et représentant une part suffisamment importante du volume de ses prescriptions ;
En ce qui concerne les spécialités " Duxil comprimé enrobé " et " Duxil suspension buvable " :
Considérant que la circonstance que les avis émis le 13 juin 2001 par la commission de la transparence sur chacune de ces deux spécialités ne portent que sur l’indication " traitement à visée symptomatique du déficit pathologique cognitif et neurosensoriel chronique du sujet âgé (à l’exclusion de la maladie d’Alzheimer et des autres démences) ", n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure suivie devant cette commission, la société requérante ne soutenant pas que les deux indications sur lesquelles les avis ne portent pas auraient un service médical rendu plus important ; que, cependant, ces avis se contentent d’affirmer, s’agissant de la place des deux formes de cette spécialité dans la stratégie thérapeutique de l’indication concernée, qu’" il existe des alternatives thérapeutiques médicamenteuses ou non médicamenteuses à cette spécialité " sans indiquer lesquelles ; que la rédaction de ces avis se borne à reprendre les termes de l’article R. 163-3 du code de la sécurité sociale, sans mentionner les raisons qui ont conduit la commission à estimer que leur service médical rendu dans cette indication est insuffisant pour justifier sa prise en charge ; que, dans ces conditions, ces avis ne répondent pas aux exigences posées par les dispositions précitées de l’article R. 163-18 du même code ; que, par suite, la SOCIETE SERVIER MONDE est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 14 septembre 2001, en tant qu’il modifie l’inscription du " Duxil comprimé enrobé " et du " Duxil suspension buvable " sur la liste des spécialités remboursables ;
En ce qui concerne la spécialité " Trivastal 3mg/1ml solution injectable " :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le taux de remboursement du " Trivastal 3mg/1ml solution injectable ", qui ne comporte qu’une indication, a été abaissé de 65 à 35 % en raison du caractère modéré de son service médical rendu ; que, cependant, l’avis émis par la commission de la transparence le 13 juin 2001 sur cette spécialité se borne à affirmer, s’agissant de sa place dans la stratégie thérapeutique, qu’" il existe des alternatives thérapeutiques médicamenteuses ou non médicamenteuses à cette spécialité " sans indiquer lesquelles ; que, pour les raisons précédemment indiquées, cet avis ne répond pas aux exigences posées par les dispositions précitées de l’article R. 163-18 ; que, par suite, la SOCIETE SERVIER MONDE est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 14 septembre 2001, en tant qu’il modifie l’inscription du " Trivastal 3mg/1ml solution injectable " sur la liste des spécialités remboursables ;
Sur les conclusions de la SOCIETE SERVIER MONDE tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par la SOCIETE SERVIER MONDE et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les dispositions de l’article 1er de l’arrêté du 14 septembre 2001 sont annulées en tant qu’elles modifient l’inscription des spécialités " Duxil comprimé enrobé ", " Duxil suspension buvable ", " Trivastal 20mg comprimé pelliculé ", " Trivastal LP 50 mg comprimé à libération prolongée enrobé " et " Trivastal 3mg/1ml solution injectable " sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables.
Article 2 : L’Etat versera la somme de 4 000 euros à la SOCIETE SERVIER MONDE au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Le surplus des conclusions présentées à ce titre par la SOCIETE SERVIER MONDE est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SERVIER MONDE et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.