CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 223041
Mme S.
M. Delion
Rapporteur
M. Austry
Commissaire du gouvernement
Séance du 25 octobre 2002
Lecture du 6 novembre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 10 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Marguerite S. ; Mme S. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler sans renvoi l’arrêt du 2 mai 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 19 décembre 1996 du tribunal administratif de Montpellier rejetant sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 7 juin 1993 par lequel de maire de Castries a retiré l’arrêté en date du 25 août 1992 lui accordant le bénéfice d’une nouvelle bonification indiciaire de 30 points ;
2°) d’annuler le jugement du 19 décembre 1996 et l’arrêté du 7 juin 1993 ;
3 °) de condamner la commune de Castries à lui verser la somme de 15 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
Vu la loi n° 91-73 du 18 janvier 1991 ;
Vu le décret n° 91-711 du 24 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Delion, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de Mme S. ,
les conclusions de M. Austry, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le maire de Castries a retiré le 7 juin 1993 son arrêté du 25 août 1992 accordant à Mme S. le bénéfice d’une nouvelle bonification indiciaire de 30 points ; que la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir annulé pour vice de forme le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 19 décembre 1996, a refusé d’annuler la décision de retrait susmentionnée ; que Mme S. se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu’il a rejeté sa demande au fond ;
Sur le pourvoi :
Considérant qu’aux termes de l’article 27-I de la loi du 18 janvier 1991 : "La nouvelle bonification indiciaire des fonctionnaires et des militaires instituée à compter du 1er août 1990 est attribuée pour certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulière dans des conditions fixées par décret" ; qu’en application du N du même article, ces dispositions ont été étendues par décret en Conseil d’Etat du 24 juillet 1991 aux fonctionnaires territoriaux ; qu’aux termes de l’article 1er de ce décret la nouvelle bonification indiciaire est "versée mensuellement à raison de leurs fonctions aux fonctionnaires territoriaux (...)" ;
Considérant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ;
Considérant qu’une décision administrative accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l’administration avait l’obligation de refuser cet avantage ; qu’en revanche, n’ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d’une décision prise antérieurement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’arrêté du 25 août 1992 du maire de Castries a eu pour objet, conformément à la demande présentée par l’intéressée, d’accorder à Mme S. le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire prévue par les dispositions susrappelées ; que cet arrêté n’est pas une simple mesure de liquidation d’une créance résultant d’une décision antérieure et constitue une décision créatrice de droits ; que, dès lors, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que ; faute pour le maire de disposer d’un pouvoir d’appréciation pour attribuer ou refuser cet avantage à caractère exclusivement pécuniaire, sa décision pouvait être retirée à tout moment ; que, par suite, Mme S. est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué, en tant qu’il a rejeté ses conclusions au fond ;
Considérant qu’il y a lieu de régler l’affaire au fond, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire, instituée par les dispositions susrappelées de la loi du 18 janvier 1991 et du décret du 24 juillet 1991, ne constitue pas un avantage statutaire et n’est lié ni au cadre d’emplois, ni au grade mais dépend seulement de l’exercice effectif des fonctions qui y ouvrent droit ; que le congé de longue durée, bien que correspondant à l’une des positions d’activité du fonctionnaire, n’implique l’exercice effectif d’aucune fonction ; que Mme S., placée en congé de longue durée, n’avait ainsi pas droit au bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire ; qu’il résulte toutefois de ce qui a été dit ci-dessus qu’eu égard à son caractère d’acte créateur de droits, la décision du 25 août 1992 lui attribuant cet avantage ne pouvait pas être légalement retirée après l’expiration du délai de quatre mois suivant son édiction ;
Considérant, en revanche que, le maintien du bénéfice de cette bonification est subordonné à la condition que l’intéressé exerce effectivement ses fonctions ; que l’autorité compétente pouvait, dès lors que cette condition n’était pas remplie, supprimer cet avantage pour l’avenir ;
Considérant que la décision litigieuse du 7 juin 1993 n’est, par suite, illégale qu’en tant qu’elle a eu pour objet de revenir sur l’attribution de la nouvelle bonification indiciaire pour la période antérieure à son intervention ; qu’il résulte de ce qui précède que Mme S. n’est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 7 juin 1993 qu’en tant qu’il lui a supprimé rétroactivement le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire ; que le jugement du 19 décembre 1996 du tribunal administratif de Montpellier doit être réformé en tant qu’il n’a pas accueilli lesdites conclusions ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761 du code de justice administrative ;
Considérant qu’il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Castries à verser à Mme S. la somme de 4 000 euros qu’elle demande au titre des frais exposés par elle en appel et en cassation et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 3 et 4 de l’arrêt du 2 mai 2000 de la cour administrative d’appel de Marseille sont annulés.
Article 2 : L’arrêté du maire de Castries en date du 7 juin 1993 est annulé en tant qu’il a un effet rétroactif.
Article 3 : La commune de Castries est condamnée à verser à Mme S. une somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement du 19 décembre 1996 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme S. est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Marguerite S. , à la commune de Castries et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.