TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE TOULOLSE
N° 02/1930
Mme A. et autres
C/ Préfet de la Kaute-Garonne
Audience du 9 juillet 2002
Lecture du 10 juillet 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,
Le président de la 3ème chambre du tribunal administratif,
Vu, enregistré le 28 juin 2002 au greffe du Tribunal administratif de Toulouse sous le n° 02/1930 pour : Mme Anne-Marie A. et autres par Me Remaury, la requête par laquelle les requérants demandent au juge du référé administratif d’ordonner la suspension provisoire de la décision par laquelle le préfet a implicitement rejeté leur recours gracieux notifié le 6 mars 2002 tendant à ce qu’il autorise le redémarrage immédiat des activités de la SNPE et à l’abrogation de l’arrêté en date du 21 septembre 2001 ayant ordonné la suspension des activités de la SNPE aux abords du site AZF de la Grande Paroisse ; à ce qu’il soit fait injonction à l’administration de déterminer une procédure claire et rapide de traitement du dossier raltif au second périmètre et s’y obliger, de déterminer les critères clairs et incontestables d’acceptation du dossier, de déterminer un échéancier de traitement de ce dossier, dont le terme ne saurait excéder le 30 septembre 2002 ; assortir l’injonction d’une astreinte de 3 000€ par jour de retard ; la condamnation de l’Etat à payer aux requérants la somme de 3 812€ en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, enregistré le 8 juillet 2002, le mémoire en défense présenté par le préfet de la région Midi-Pyrénnées, préfet de la Haute-Garonne concluant au rejet de la requête ;
Vu enregistré le 8 juillet 2002, le mémoire présenté pour la Société nationale de poudres et explosifs (SNPE) concluant au soutien de la requête en reprenant ses conclusions de sa requête en annulation enregistrée le 24 avril 2002 ;
Vu, la requête n° 02/1770 enregistrée le 18 juin 2002 par laquelle Mme A. et autres demandent l’annulation de la même decision ;
Vu la décision au président du tribunal administratif en date du 3 septembre 2001 ;
Vu les pièces jointes au dossier ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 9juillet 2002
le rapport de Mme FLECHER-BOURJOL, président,
les observations orales présentées par Me Remauy substituant Me Desarnauts indiquant que des licenciements sont programmés pour le 18 juillet prochain ; qu’il y a un parasitage de ce qui est juridique par la politique ; que l’annonce du premier ministre pour l’exploitation du phosgène à Toulouse alors que d’autres entreprises situées en zones urbaines et utilisant le phosgène ne sont pas inquiètées révèle une rupture d’égalité devant les charges publiques et signe en quelque sorte l’arbitraire de la décision ; que l’exploitant d’AZF à Bordeaux produisant de l’ammonitrate est autorisé à reprendre alors qu’il n’a pas satisfait à la moitié des prescriptions ; qu’il y a lieu de s’en tenir à la législation sur les installations classées ; que le doute sérieux sur la légalité d’une décision requiert l’application du principe de précaution ; que la préfecture est taisante sur la question du phosgène ;
les observations orales présentées par M. Mimand secrétaire général de la préfecture de la Haute-Garonne faisant valoir que la complexité du dossier, et les délais d’instruction qu’il requiert ne permettent pas d’asseoir la démonstration de retard ou d’inertie de la part de l’administration ; que la situation de la SNPE est différente de la situation de Rasio qui n’est pas une installation SEVESO ; que les conditions de l’urgence ne sont pas remplies dès lors que les requérants ne font valoir aucune échéance précise ; que le passage en comité départemental d’hygiène est indispensable avant la prise de décision du préfet même s’il n’est pas lié par l’avis ;
les observations orales présentées par Me Martin pour la SNPE s’en rapportant à ses écritures attirant l’attention du tribunal sur le fait qu’il s’agit d’une question qui doit être réglée sur un mode juridique dans le cadre de la législation sur les installations classées ; que l’urgence est vérifiée sans que la perspective d’une réunion du comité département d’hygiène et de sécurité ne puisse créer un doute à ce sujet ; que l’arrêté du 21 septembre 2001 ne peut qu’être abrogé ;
Sur l’existence d’un moyen sérieux propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision..." ;
Corisidéraut que par arrêté du 21 septembre 200l, le préfet de la Haute-Garonne a suspendu l’activité de la Société nationale des poudres et explosifs (S.N.P.E.) en raison des dégâts que l’explosion, survenue le même jour sur le site d’AZF Grande Paroisse, était susceptibie d’avoir causé aux installations de cette société et sur l’atteinte possible, du fait de cet accident, aux intérêts mentionnés à l’article L.51-1 du code de l’environnement ; que cet arrêté imposait, en outre a la société la réalisation d’une étude sur les conséquences de l’accident sur ses installations et sur les mesures necessaires à prendre pour rendre possible la poursuite de l’exploitation "dans de bonnes conditions de sécurité" ; qu’il subordonnait enfin la délivrance d’une autorisation d’exploiter au rapport et l’avis de l’inspection des installations classées ;
Considérant qu’il est constant que la mesure de suspension provisoire des activités de la S.N.P.E. ne sanctionnait pas un manquement de cette société régulièrenent autorisée par un arrêté du 26 novembre 1997 dont les prescriptions étaient satisfaites à la date de l’accident ; que si l’explosion a pu causer des dommages aux installations de l’entreprise d’une gravité telle qu’ele pouvait donner à penser que l’entreprise présentait désormais des dangers qui n’étaient pas connus lors de son autorisation au sens de l’article L.514-7 du code de l’environnement, la décision de suspension ne pouvait qu’émaner du ministre chargé des installations classées ; que toutefois l’arrêté préfectoral dont s’agit doit être regardé comme une mesure de police générale rendue nécessaire par la gravité de la situation et l’urgence qu’il y avait d’assurer la sécurité des populations et de prévenir la survenance de pollutions chimiques en chaine provoquées par la dégradation des installations industrielles atteintes par les effets de l’explosion ; mais qu’il ne saurait, en tout état de cause, servir de base légale au maintien du gel des activités imposées à la société ; qu’en effet il incombait au préfet et, le cas échéant, au ministre chargé des installations classées de prendre, dans les meilleurs délais, des mesures et des décisions ayant pour objet le traitement de la nouvelle situation au regard des seules prescriptions légales et réglementaires applicables aux installations classées ; que par suite les recuérants sont fondés à soutenir qu’il y a un doute serieux quant à la légalité de la décision par laquelle le préfet a implicitement refusé de rapporter l’arrêté du 21 septembre 2001 ;
Sur l’urgence :
Considérant que l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte de manière grave et immédiate à un intérêt public, à la situation des requérants ou aux intérêts qu’ils entendent défendre ; qu’il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par les requérants, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant, que sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue en tous ou seulement en certains de ses points ;
Considérant que l’arrêt prolongé des activités de la S.N.P.E. depuis plus de 9 mois fait peser des incertitudes sur la pérennité de cette entreprise et porte, dans un contexte difficile, une atteinte grave aux intérêts professioniels et personnels des salariés et contribue, compte tenu du caractère stratégique de certaines productions de cette société, à porter atteinte aux intérêts supérieurs qui s’attachent à la Souveraineté nationale ; que ces éléments tirés de l’intérêt général d’une part et de l’atteinte grave à des intérêts particuliers d’autre part ne sont de nature à justifier une situation d’urgence qu’à la condition que les circonstances ne révèlent pas l’existence d’éléments précis relatif à la réalité de risques sérieux pour l’environnement et la santé publique que pourrait entrainer dans l’immédiat la remise en activité de l’installation ;
Considérant d’une part, en ce qui concerne les activités du "premier périmètre" n’impliquant pas le phosgène dans le processus de fabrication mais recourant au chlore, à l’ammoniaque et fabriquant des carburants utilisés dans le domaine spatial et militaire, les hypothèses envisagées permettent de conclure, au vu de la concordance des relations d’expertises indépendantes que les effets des émissions accidentelles de produits et d’autres accidents, s’ils venaient à se produire selon une probabilité extrêmement faible, seraient circonscrits au périrmêtre industriel du fait de la mise en place de procédures de sécurité éprouvées ; que dans ces conditions l’attitude de l’administration, qui ne formule pas d’objections ni de nouvelles propositions mais qui ne tire pas non plus les conséquences des conclusions convergentes et favorables des différents experts, crée une situation qui permet de conclure que, pour les activités du "premier périmètre", la condition de l’urgence est remplie eu égard aux effets de l’arrêté en interrompant les activités ;
Considérant d’autre parr qu’il résulte des pièces du dossier de l’instruction que les installations impliquées dans la production et l’utilisation du phosgène ont démontré le 21 septembre 2001 leur parfaite aptitude à assurer la sécurité publique dans une hypothèse extrême d’explosion dont la gravité n’était envisagée par aucun scénario d’accident ; que toutefois pour ce périmètre, les requérants indiquent que la S.N.P.E. s’est engagée, à investir 20 millions d’euros nécessaires à la mise en oeuvre d’un nouveau système d’exploitation "à flux tendu, sans stock" et demandent au juge du référé qu’il adresse une injonction à l’administration concernant la définition claire d’un calendrier quant à la définition des conditions de fonctionnement de ce secteur ; qu’ainsi, s’ils administrent la preuve de l’urgence de la nécessaire mise en oeuvre, par l’autorite chargée des installations classées, des procédures légales d’instruction dans ces conditions et délais adaptés au traitement du dossier d’une installation classée importante et de l’obligation qui pèse sur elle, sous le contrôle du juge, de décider dans les meilleurs délais de la reprise des activités du "second périmètre", ils ne démontrent pas, cependant, en raison notamment des incertitudes qui pèsent sur le choix des modes d’exploitation, que la condition de l’ur:gence de la reprise des activités de ce secteur, au sens de l’article L.521-l du code de justice administrative, est remplie ;
Considérant qu’il résuite de ce qui précède que les réquérants sont fondés à demander que l’exécution de la décision de refus d’abroger soit suspendue en ce qu’elle concerne les activites du "premier périmètre" et l’instruction du dossier relatif "au second périmètre" ; qu’eu égard à la nature negative de la décision, la mesure de suspension provisoire de la décision de refus d’abroger l’ arrêté du 21 septembre 2001 a nécessairement pour effet d’enjoindre au préfet d’abroger la totalité du disoositif de cet arrêté en ce qui concerne le "premier périmètre" ; qu’elle a également pour effet d’enjoindre au préfet de substituer aux conditions prévues aux article 2 et 3 de l’arrêté du 21 septembre 200l celles qu’il lui appartient de déterminer sous le contrôle du juge, tirées de la législation sur les installations classées ; que toutefois, il n’appartient pas au juge du référé administratif, en dehors des cas légalement définis, d’assortir d’astreintes les injonctions qui résultent de la suspension de la décision de refus d’abroger une décision ; qu’il y a lieu, en tout état de cause, de rejeter les conclusions des requérants à cet effet ;
Sur l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation"
Considérant qu’il y a lieu de condamner l’Etat à payer 1 500 euros aux requérants sur le fondement de l’article précité ;
STATUANT EN REFERE
O R D O N N E :
Article 1er : L’exécution de la décision par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a implicitement refusé d’abroger l’arrêt du 21 septembre 2001, en sa totalité en ce qui concerne les activités du "premier périmètre", en ses articles 2 et 3 pour le "second périmètre", est suspendue.
Article 2 : l’Etat est condamné à payer 1 500€ (mille cinq cents euros) sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.