CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 222173
Mme C.-S.
M. Sauron
Rapporteur
M. Collin
Commissaire du gouvernement
Séance du 30 septembre 2002
Lecture du 23 octobre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 juin et 17 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Liliane C.-S. ; Mme C.-S. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 27 avril 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 12 décembre 1995 rejetant sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 10 août 1992 par lequel le ministre de l’éducation nationale l’a licenciée, à compter du 1er septembre 1992, et à la réparation du préjudice résultant de son licenciement et, d’autre part, à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 10 août 1992 et à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 106 715 euros (700 000F), en réparation du préjudice subi ;
2°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 3 812 euros (25 000 F) au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré enregistrée le 30 septembre 2002, présentée pour Mme C.-S. ;
Vu le décret du 31 décembre 1985 relatif au statut particulier des professeurs de lycée professionnel ;
Vu l’arrêté du ministre de l’éducation nationale en date du 18 juillet 1991 relatif à l’examen de qualification professionnelle des professeurs certifiés stagiaires et la note de service n° 92-085 en date du 12 février 1992 complétant cet arrêté ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Sauron, Maître des Requêtes,
les observations de Me Balat, avocat de Mme C.-S. ,
les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le décret du 31 décembre 1985 relatif au statut particulier des professeurs de lycée professionnel a renvoyé à des arrêtés du ministre de l’éducation nationale la détermination de ses modalités d’application ; que sur ce fondement, le ministre de l’éducation nationale a pris, le 18 juillet 1991, un arrêté relatif, notamment, à l’examen de qualification et au certificat d’aptitude organisés en vue de l’admission au concours d’accès au 2ème grade du corps des professeurs de l’enseignement professionnel ; que cet arrêté prévoit à son article 5 que l’un des membres du jury est désigné pour "procéder à une inspection, devant une classe, des professeurs stagiaires qui n’ont pas été admis à l’examen de qualification professionnelle ou qui n’ont pas obtenu le certificat d’aptitude" ; que le ministre, qui était compétent pour le faire, a complété cet arrêté par une note de service n° 92-085 du 12 février 1992 qui précise, d’une part, que l’inspection du professeur stagiaire se déroule "dans l’une des classes où il assure son service ou dans l’une des classes où il a accompli son stage en présence d’élèves" et, d’autre part, que "sur la convocation adressée au professeur stagiaire (...) figurent obligatoirement l’établissement et la classe dans laquelle celui-ci sera inspecté (...)" ; que ces dernières dispositions, qui ajoutent une règle de droit nouvelle, revêtent un caractère réglementaire ; que si le décret du 31 décembre 1985 a été annulé par une décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux en date du 28 juin 1991, les actes réglementaires et non-réglementaires pris en application de ses dispositions, dont la note de service mentionnée ci-dessus du 12 février 1992 ont fait l’objet d’une validation par une loi du 20 juillet 1992 ; qu’il suit de là qu’en jugeant que Mme C.-S. ne pouvait utilement se prévaloir des dispositions de la note de service, dès lors que ces dernières étaient dépourvues de caractère réglementaire, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, Mme C.-S. est fondée à demander, pour ce motif, l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statutant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Sur la légalité de l’arrêté du 10 août 1992 :
Considérant que Mme C.-S., reçue au concours externe de professeur de lycée professionnel du deuxième grade, a été nommée professeur stagiaire par arrêté du 1er septembre 1991 et affectée à l’institut universitaire de formation des maîtres de l’académie de Créteil pour y effectuer le stage préalable à son éventuelle titularisation ; qu’ayant échoué, à la fin de ce stage, aux épreuves du certificat d’aptitude, elle a subi une inspection en classe effectuée par l’un des membres du jury ; que, se fondant sur le niveau insuffisant de la prestation pédagogique de l’intéressée au cours de cette inspection, le jury a proposé au ministre de l’éducation nationale de refuser la titularisation de Mme C.-S. ; que, par un arrêté en date du 10 août 1992, le ministre a licencié l’intéressée à compter du 1er septembre suivant, date de la fin de son stage ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la convocation reçue par Mme C.-S. en vue de l’inspection qu’elle a subie ne mentionnait ni la classe, ni même le niveau de la classe dans laquelle elle devait se dérouler ; qu’il ne ressort pas davantage de ces pièces qu’elle en ait été informée en temps utile par un autre moyen ; que, dans ces conditions, et alors au surplus que la classe dans laquelle l’intéressée a été inspectée avait été formée pour l’occasion d’élèves de niveaux différents, Mme C.-S. a été privée de la possibilité de préparer utilement son cours en vue de cette inspection ; qu’ainsi l’avis défavorable du jury académique sur lequel le ministre de l’éducation nationale s’est fondé pour refuser la titularisation de Mme C.-S. et la licencier à compter du 1er septembre 1992 a été émis au terme d’une procédure irrégulière ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par la requérante, celle-ci est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 10 août 1992 ;
Sur la responsabilité :
Considérant que l’illégalité du licenciement de Mme C.-S. a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ; qu’il résulte cependant de l’instruction que les insuffisances pédagogiques et le comportement de l’intéressée à l’égard des élèves et des autres professeurs rendaient peu vraisemblable sa titularisation au terme de l’inspection qu’elle a subie et qui faisait elle-même suite à un échec au certificat d’aptitude ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de la réparation due à Mme C.-S. en condamnant l’Etat à lui verser une indemnité de 1 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme C.-S. est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel du 10 août 1992 et a refusé de l’indemniser. à hauteur de la somme indiquée ci-dessus, du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait de cette décision ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à Mme C.-S. une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 27 avril 1999 jugement du tribunal administratif de Paris en date du 12 décembre 1995 sont annulés.
Article 2 : La décision du ministre de l’éducation nationale en date du 10 août 1992 licenciant Mme C.-S. à compter du 1er septembre 1992 est annulée.
Article 3 : L’Etat est condamné à verser à Mme C.-S. la somme de 1000 euros.
Article 4 : L’Etat versera à Mme C.-S. une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C.-S. est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Liliane C.-S. et au ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche.