CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 219915
PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE c/M. Z.
Mlle Landais, Rapporteur
Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement
Séance du 11 mars 2002
Lecture du 3 avril 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux (Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête enregistrée le 10 avril 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ; le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 15 mars 2000 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 7 mars 2000 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Bouziane Z. et la décision du même jour fixant l’Algérie comme pays de renvoi de l’intéressé ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. Z. devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mlle Landais, Auditeur,
les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : « Le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3°) Si l’étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Z., de nationalité algérienne, est entré régulièrement en France le 27mai1998 muni d’un visa d’une durée de validité de trente jours ; que la demande d’asile territorial qu’il a présentée dans ce délai a été rejetée ; qu’il s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois à compter de la notification, le 24 janvier 2000, de l’invitation à quitter le territoire national qui lui a été adressée par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ; qu’il se trouvait ainsi dans le cas où, en application du 30 du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, le préfet peut décider la reconduite d’un étranger à la frontière ;
Considérant qu’en vertu de l’article 25 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, ne peut faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière : « 5°) L’étranger qui est père ou mère d’un enfant français résidant en France, à la condition qu’il exerce, même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant ou qu’il subvienne effectivement à ses besoins » ; qu’aux termes de l’article 372 du code civil dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté de reconduite à la frontière litigieux : « L’autorité parentale est exercée en commun par les deux parents s’ils sont mariés. Elle est également exercée en commun si les parents de l’enfant naturel, l’ayant tous deux reconnu avant qu’il ait atteint l’âge d’un an, vivent en commun au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance (...) » ; qu’aux termes de l’article 372-1 du même code dans sa rédaction en vigueur à la même date : « il est justifié de la communauté de vie entre le père et la mère au moment de la reconnaissance de leur enfant par un acte délivré par le juge aux affaires familiales établi au vu des éléments apportés par le demandeur » ;
Considérant qu’en l’absence de l’acte mentionné à l’article 372-1 du code civil, il appartient aux parents de l’enfant naturel, en vue d’établir qu’ils exercent en commun, de plein droit, l’autorité parentale en application des dispositions de l’article 372, de rapporter par tous autres moyens la preuve de leur communauté de vie au moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde reconnaissance de l’enfant ;
Considérant que si M. Z. a reconnu le 30 août 1999 l’enfant à naître de Mlle Fouzia N., de nationalité française, il ne produit ni l’acte mentionné à l’article 372-1 précité du code civil ni aucune autre pièce propre à justifier de sa communauté de vie avec Mlle N. à la date de la reconnaissance de l’enfant ; qu’ainsi, il ne peut prétendre qu’il exerçait l’autorité parentale sur cet enfant à la date de l’arrêté de reconduite à la frontière ; qu’il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu’il subvenait effectivement aux besoins de l’enfant ;
Considérant qu’il résuite de ce qui précède que M. Z. n’entrait pas dans le cas prévu par les dispositions précitées du 50 de l’article 25 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée ; que, par suite, c’est à tort que le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble s’est fondé sur ce motif pour annuler l’arrêté attaqué et, par voie de conséquence, la décision distincte du même jour désignant l’Algérie comme pays de renvoi de M. Z. ;
Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. Z. devant le tribunal administratif de Grenoble et devant le Conseil d’Etat ;
Sur la léfalité de l’arrêté de reconduite à la frontière :
Considérant qu’à l’appui de sa demande d’annulation de l’arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, M. Z. a fait valoir qu’à la date de cet arrêté, il vivait depuis plusieurs mois avec Mlle N. et leur enfant née le 1er septembre 1999 ; qu’il ne soutient pas toutefois avoir perdu toute attache familiale avec l’Algérie, où demeure au moins une fille mineure née d’une précédente union qui, à la date de l’arrêté attaqué, n’était pas dissoute ; que, dans ces circonstances, et eu égard aux effets d’une mesure de reconduite à la frontière, l’arrêté attaqué n’a pas porté au droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que, par suite, il ne méconnaît pas les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que le moyen tiré par M. Z. de ce qu’il courrait des risques importants s’il devait retourner en Algérie ne saurait utilement être invoqué à l’encontre de l’arrêté de reconduite à la frontière qui ne désigne pas le pays de renvoi de l’intéressé ;
Sur la légalité de la décision désianant l’Algérie comme pays de renvoi :
Considérant que si M. Z. fait valoir les risques que son ancienne qualité, d’ailleurs non établie, d’agent de la police nationale lui a fait courir en Algérie avant sa démission, cette circonstance ne suffit pas à établir qu’un retour dans son pays d’origine serait àlui seul de nature à lui faire courir des risques graves ou à l’exposer à des traitements contraires à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOTE est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 7 mars 2000 ordonnant la reconduite à la frontière de M. Z. et la décision distincte du mème jour désignant l’Algérie comme pays de renvoi de l’intéressé ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement en date du 15 mars 2000 du conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées devant le tribunal administratif de Grenoble par M. Z. sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE LA HAUTE-SAVOTE, à M. Bouziane Z. et au ministre de l’intérieur.