CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 303624
M. B.
M. Brice Bohuon
Rapporteur
M. Julien Boucher
Commissaire du gouvernement
Séance du 31 octobre 2008
Lecture du 10 décembre 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 mars et 12 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Georges B. ; M. B. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 28 décembre 2006 du tribunal administratif de Caen en tant que celui-ci a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre les décisions implicites de refus du centre régional des pensions opposées à sa demande de versement de sa pension sur son compte bancaire personnel, matérialisées par trois versements en date des 18 août, 3 septembre et 4 octobre 2004 sur le compte nominatif ouvert à son nom au centre de détention de Caen ;
2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler ces décisions et d’enjoindre au ministre de l’économie et des finances d’assurer rétroactivement le versement de cette pension sur son compte bancaire, avec intérêts au taux légal et capitalisation dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Brice Bohuon, Auditeur,
les observations de Me Spinosi, avocat de M. Georges B.,
les conclusions de M. Julien Boucher, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B. a demandé au centre régional des pensions de Caen que sa pension soit versée non sur le compte nominatif ouvert à son nom au centre de détention de Caen mais sur son compte bancaire personnel ; que le centre régional des pensions a opposé un refus à cette demande, matérialisé par le versement de sa pension à trois reprises, les 18 août, 3 septembre et 4 octobre 2004, sur son compte nominatif ; que M. B. a notamment demandé l’annulation de cette décision de refus devant le tribunal administratif de Caen qui a rejeté cette demande par un jugement en date du 28 décembre 2006 ; que M. B. demande l’annulation de ce jugement en tant qu’il a rejeté cette demande ;
Considérant qu’aux termes de l’article 728-1 du code de procédure pénale : " Les valeurs pécuniaires des détenus, inscrites à un compte nominatif ouvert à l’établissement pénitentiaire, sont divisées en trois parts : la première sur laquelle seules les parties civiles et les créanciers d’aliments peuvent faire valoir leurs droits ; la deuxième, affectée au pécule de libération, qui ne peut faire l’objet d’aucune voie d’exécution ; la troisième, laissée à la libre disposition des détenus. (.)/ La consistance des valeurs pécuniaires, le montant respectif des parts et les modalités de gestion du compte nominatif sont fixés par décret " ; que l’article D. 319 du même code dispose : " L’établissement pénitentiaire où le détenu est écroué tient un compte nominatif où sont inscrites les valeurs pécuniaires lui appartenant./ Sous réserve que les détenus n’en aient pas demandé l’envoi à un tiers ou la consignation, les sommes dont ils sont porteurs à leur entrée dans l’établissement pénitentiaire sont immédiatement inscrites à leur compte nominatif au moment de leur écrou. L’importance de ces sommes ne saurait en aucun cas justifier le refus de la prise en charge. / Le compte nominatif est par la suite crédité ou débité de toutes les sommes qui viennent à être dues au détenu, ou par lui, au cours de sa détention, dans les conditions réglementaires " ; qu’aux termes de l’article D. 321 du même code : " Le détenu conserve la gestion de ses biens patrimoniaux extérieurs, dans la limite de sa capacité civile (.) " ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant que l’article 728-1 du code de procédure pénale se borne à poser le principe de la répartition en trois parts, dont il détermine l’affectation, des valeurs pécuniaires qui, étant en possession du détenu à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, sont inscrites sur le compte ouvert à son nom par cet établissement ; qu’au nombre de ces valeurs figurent ainsi, comme le précisent, respectivement, les articles D. 319, alinéa 2, D. 422 et D. 111 du même code, les sommes dont le détenu est porteur à son entrée dans l’établissement, sous réserve qu’il n’en ait pas demandé l’envoi à un tiers ou la consignation, les subsides en argent que lui versent les personnes titulaires d’un permis permanent de visite ou autorisées par le chef de l’établissement, et la rémunération de son travail ; qu’en revanche, le législateur, auquel seul il appartenait de restreindre la faculté pour un détenu de disposer librement de ses biens, n’a, ni par les dispositions de l’article 728-1 du code de procédure pénale, ni par aucune autre disposition, prévu que l’ensemble des revenus de celui-ci devrait être versé sur le compte ouvert à son nom par l’établissement pénitentiaire ; qu’en particulier, il n’a introduit aucune restriction à la faculté pour l’intéressé de conserver la libre disposition d’une pension de retraite ou d’une autre allocation versée par un tiers et, notamment, de recevoir ces sommes sur le compte bancaire de son choix ; que les dispositions du troisième alinéa de l’article D. 319 du code de procédure pénale n’ont pas pour objet et ne pourraient d’ailleurs avoir légalement pour effet de lui imposer une telle obligation ; qu’ainsi, le tribunal administratif de Caen a commis une erreur de droit en jugeant que la pension de retraite dont bénéficie M. B. ne pouvait qu’être versée sur le compte nominatif géré pour lui par le greffier comptable de l’établissement pénitentiaire ; que M. B. est, dès lors, fondé à demander l’annulation du jugement attaqué en tant que celui-ci a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre les décisions implicites de refus du centre régional des pensions opposées à sa demande de versement de sa pension sur son compte bancaire personnel ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit plus haut, aucune disposition législative ne rend obligatoire le versement de la pension de retraite de M. B. sur le compte nominatif ouvert à son nom au centre de détention de Caen ; que, par suite, les décisions par lesquelles le centre régional des pensions a refusé de verser la pension de M. B. sur son compte bancaire personnel ne peuvent qu’être annulées ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant que le contentieux des pensions civiles et militaires de retraite est un contentieux de pleine juridiction ; qu’il appartient, dès lors, au juge saisi de se prononcer lui-même sur les droits des intéressés, sauf à renvoyer à l’administration compétente, et sous son autorité, le règlement de tel aspect du litige dans des conditions précises qu’il lui appartient de lui fixer ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, afin que soient légalement mises en œuvre, au regard des motifs de la présente décision, les dispositions de l’article 728-1 du code de procédure pénale, d’une part, d’enjoindre au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, de verser à l’avenir la pension de M. B. sur son compte bancaire personnel et, d’autre part, d’enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de reverser sur ce compte bancaire personnel le solde des sommes versées à tort, depuis le 27 juillet 2002, date de la demande de M. B., sur le compte nominatif ouvert à son nom au centre de détention de Caen ; qu’en revanche, la seule circonstance que lesdites sommes, qui ont bien été payées à M. B., ont été versées à tort sur ce compte nominatif ne saurait suffire à donner lieu au versement d’intérêts ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. B. de la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen en date du 28 décembre 2006 est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions de M. B. dirigées contre les décisions implicites de refus du centre régional des pensions opposées à sa demande de versement de sa pension sur son compte bancaire personnel.
Article 2 : Les décisions par lesquelles le centre régional des pensions a refusé de verser la pension de M. B. sur son compte bancaire sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint, d’une part, au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique de verser à l’avenir la pension de M. B. sur son compte bancaire personnel ainsi qu’il le demande et, d’autre part, à la garde des sceaux, ministre de la justice, de reverser sur ce compte bancaire personnel le solde des sommes versées à tort, depuis le 27 juillet 2002, sur le compte nominatif ouvert à son nom au centre de détention de Caen.
Article 4 : L’Etat versera à M. B. la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B. est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Georges B., au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique et à la garde des sceaux, ministre de la justice.