format pour impression
(imprimer)

DANS LA MEME RUBRIQUE :
Cour administrative d’appel de Paris, Plénière, 29 juin 2001, n° 97PA03555, M. Maxime Frerot
Conseil d’Etat, 30 juillet 2003, n° 252712, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ M. Saïd R.
Cour administrative d’appel de Paris, 5 novembre 2002, n° 01PA00075, M. Said André R.
Conseil d’Etat, 14 novembre 2008, n° 315622, Philippe Mahmoud El S.
Conseil d’Etat, 10 décembre 2008, n° 303624, Georges B.
Conseil d’Etat, 9 avril 2008, n° 308221, André R.
Cour administrative d’appel de Douai, 25 février 2003, n° 00DA00535, M. Franck M.
Conseil d’Etat, 23 mai 2003, n° 244663, Mme Karima C.
Conseil d’Etat, 11 avril 2008, n° 298059, Union générale des syndicats pénitentiaires CGT
Conseil d’Etat, Référé, 2 mai 2003, n° 255597, M. Germain G.




Conseil d’Etat, 30 juillet 2003, n° 253973, Observatoire international des prisons, Section française

Si les dispositions contestées du code de procédure pénale régissant la mise en cellule disciplinaire, qui entraîne la privation du droit de visite, peuvent être regardées comme une ingérence dans le respect dû au droit à la vie familiale, ces dispositions sont justifiées par les nécessités de la défense de l’ordre dans les établissements pénitentiaires et de la prévention des infractions pénales et ne portent pas une atteinte excessive au respect dû à ce droit.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 253973

OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE

Mlle Vialettes
Rapporteur

M. Guyomar
Commissaire du gouvernement

Séance du 2 juillet 2003
Lecture du 30 juillet 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 6 février 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE, représentée par son président en exercice, dont le siège est situé 31, rue des Lilas, à Paris (75019) ; l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE, demande que le Conseil d’Etat :

1°) annule pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le Premier ministre sur la demande qu’elle lui a adressée et tendant à l’abrogation du décret du 2 avril 1996 relatif au régime disciplinaire des détenus et modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale ;

2°) enjoigne au Premier ministre, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, d’abroger ce décret à compter de la notification de la présente décision ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 juillet 2003, présentée par l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code civil ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Vialettes, Auditeur,
- les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;

Considérant que l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE, a demandé au Premier ministre l’abrogation de certaines dispositions du décret du 2 avril 1996 relatif au régime disciplinaire des détenus et modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale ; qu’il demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à cette demande ;

Sur la compétence de l’auteur du décret contesté :

Considérant qu’aux termes de l’article 728 du code de procédure pénale : "un décret détermine l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires" ; qu’aux termes de l’article 726 du même code : "si quelque détenu use de menaces, injures ou violences ou commet une infraction à la discipline, il peut être enfermé seul dans une cellule aménagée à cet effet ou même être soumis à des moyens de coercition en cas de fureur ou de violence grave, sans préjudice des poursuites auxquelles il peut y avoir lieu" ; que le Premier ministre tenait de ces dispositions législatives compétence pour arrêter les dispositions contestées des articles D. 249-3 et D. 251-1 à D. 251-3 du code de procédure pénale, qui prévoient respectivement les fautes passibles de sanctions disciplinaires et les sanctions disciplinaires susceptibles d’être prononcées dont celle de la mise en cellule disciplinaire ; que l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE, n’est fondé à soutenir ni que l’article D. 251-1 du code de procédure pénale, qui ne prévoit, qu’à titre conservatoire, la privation de l’usage de certains matériels, porterait atteinte au droit de propriété, ni que le 7° de l’article D. 249-3 du même code, qui réprime l’entrave au travail en prison, aurait pour objet de réglementer le droit de grève, ni enfin que les articles D. 251-1 à D. 251-3, en prévoyant, en certaines circonstances et à titre de sanction disciplinaire, la mise à pied d’un emploi pour une durée maximum de huit jours, le déclassement de cet emploi, ou la suspension de son exercice durant la période de mise en cellule disciplinaire, alors que l’article 720 du code de procédure pénale prévoit que "les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail", relèverait des principes fondamentaux du droit du travail ;

En ce qui concerne les critiques faites à l’aménagement, par le décret contesté, de la procédure disciplinaire :

Considérant, en premier lieu, que l’autorité investie du pouvoir disciplinaire à l’égard des détenus est, selon l’article D. 250 du code de procédure pénale, le chef d’établissement ou l’un de ses adjoints ou membres du personnel de direction ayant reçu à cet effet délégation écrite ; qu’ainsi, et alors même que les sanctions sont prononcées "en commission de discipline", les mesures disciplinaires prises à l’égard des détenus ne sont pas prononcées par un tribunal ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par le décret contesté, des exigences que l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales impose à un tribunal ne peut qu’être écarté ;

Considérant, en second lieu, qu’il incombe à l’administration pénitentiaire, chaque fois qu’un détenu mineur non émancipé fait l’objet d’une procédure disciplinaire, de prendre, dans la mesure du possible et en temps utile, les dispositions nécessaires pour informer les représentants légaux de l’intéressé de l’ouverture de cette procédure ainsi que des motifs de celle-ci pour leur permettre de présenter, éventuellement, les observations qui leur paraîtraient utiles ou de recourir, pour ce faire, à un avocat ou à un mandataire agréé ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret du 2 avril 1996 méconnaîtrait l’article 3-1 de la convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant, qui stipule que "dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale", faute d’avoir prévu une procédure disciplinaire adaptée pour les détenus mineurs, doit être écarté ;

En ce qui concerne les critiques faites à la détermination, par le décret contesté, des fautes disciplinaires :

Considérant qu’en se référant aux obligations générales qui incombent aux détenus, et en fixant, en outre, une liste des manquements susceptibles d’être sanctionnés, le décret contesté a édicté des règles d’une précision suffisante ;

En ce qui concerne la sanction de mise en cellule disciplinaire :

Considérant qu’aux termes de l’article D. 251-3 du code de procédure pénale : "la mise en cellule disciplinaire prévue par l’article D. 251 (5º) consiste dans le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu’il doit occuper seul. La sanction emporte pendant toute sa durée la privation d’achats en cantine prévue à l’article D. 251 (3º) ainsi que la privation des visites et de toutes les activités. / Toutefois, les détenus placés en cellule disciplinaire font une promenade d’une heure par jour dans une cour individuelle. La sanction n’emporte en outre aucune restriction à leur droit de correspondance écrite. / La durée de la mise en cellule disciplinaire ne peut excéder quarante-cinq jours pour une faute disciplinaire du premier degré, trente jours pour une faute disciplinaire du deuxième degré, et quinze jours pour une faute disciplinaire du troisième degré. / A l’égard des mineurs de plus de seize ans, la durée maximum de la mise en cellule disciplinaire est de quinze jours pour une faute disciplinaire du premier degré avec violences contre les personnes, de huit jours pour une faute du même degré sans violences, de cinq jours pour une faute du deuxième degré et de trois jours pour une faute du troisième degré. / La mise en cellule disciplinaire ne peut être prononcée à l’encontre des mineurs de seize ans. / Les sanctions de mise en cellule disciplinaire sont inscrites sur le registre du quartier disciplinaire tenu sous l’autorité du chef d’établissement. Ce registre est présenté aux autorités administratives et judiciaires lors de leurs visites de contrôle et d’inspection" ;

Considérant, en premier lieu, que si l’association requérante soutient que ces dispositions prévoiraient des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine et seraient constitutives d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ce moyen ne peut qu’être écarté, dès lors que les dispositions en cause n’instituent aucun traitement qui soit, dans son principe, inhumain ou dégradant, et ne portent, par elles-mêmes, aucune atteinte aux exigences invoquées ;

Considérant, en deuxième lieu, que l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE, reproche également aux dispositions précitées d’autoriser une durée de mise en cellule disciplinaire de quarante-cinq jours, en méconnaissance, selon lui, du principe de nécessité des peines ; que, toutefois, le code de procédure pénale dresse à son article D. 251 une échelle des sanctions allant de l’avertissement à la mise en cellule disciplinaire ; que l’article D. 251-3 du même code mentionne que la durée de la mise en cellule disciplinaire ne peut excéder quarante-cinq jours pour une faute disciplinaire du premier degré, trente jours pour une faute disciplinaire du deuxième degré, et quinze jours pour une faute disciplinaire du troisième degré ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de nécessité des peines par l’article D. 251-3 en tant qu’il prévoit une durée de mise en cellule disciplinaire de quarante-cinq jours pour des infractions particulièrement graves à la discipline des établissements doit être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "1. Toute personne a droit au respect de sa vue privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui" ; que si les dispositions contestées du code de procédure pénale régissant la mise en cellule disciplinaire, qui entraîne la privation du droit de visite, peuvent être regardées comme une ingérence dans le respect dû au droit à la vie familiale, ces dispositions sont justifiées par les nécessités de la défense de l’ordre dans les établissements pénitentiaires et de la prévention des infractions pénales et ne portent pas une atteinte excessive au respect dû à ce droit ; que dès lors, le moyen tiré de ce qu’elles méconnaîtraient l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas fondé ;

Considérant, en dernier lieu, que l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE, soutient que l’article D. 251-3 du code de procédure pénale, en prévoyant que la sanction de mise en cellule disciplinaire est applicable aux mineurs de plus de seize ans, et qu’elle emporte privation du droit de visite, méconnaîtrait l’article 37-c) de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, aux termes duquel : "Les Etats parties veillent à ce que : (...) / c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par les visites, sauf circonstances exceptionnelles" ; qu’eu égard aux motifs pour lesquels elle est peut être prononcée, la mise en cellule disciplinaire d’un mineur détenu à l’issue d’une procédure disciplinaire entre toutefois dans le champ des "circonstances exceptionnelles" qui sont mentionnées par la stipulation précitée et qui permettent de déroger aux exigences qu’elle pose ; que, dès lors, le moyen soulevé, tiré de la violation de l’article 37-c)de la convention relative aux droits de l’enfant doit être écarté ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la requête de l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE, doit être rejetée ; qu’il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions à fins d’injonction sous astreinte ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS, SECTION FRANCAISE, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site