CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 274061
PARC NATIONAL DES CEVENNES
M. Rémi Decout-Paolini
Rapporteur
M. Mattias Guyomar
Commissaire du gouvernement
Séance du 19 septembre 2008
Lecture du 26 novembre 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu, avec les pièces qui y sont visées, la décision du 4 juin 2007 par laquelle le Conseil d’Etat statuant au contentieux, saisi de la requête présentée par le PARC NATIONAL DES CEVENNES, dont le siège est au château de Florac (48400), tendant, en premier lieu, à l’annulation de l’arrêt du 13 septembre 2004 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête aux fins d’annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 juillet 1999 le condamnant à verser à M. F. une somme de 51 453 F (7 843, 95 euros) avec intérêts au taux légal à compter du 2 mai 1991, en réparation du préjudice résultant pour ce dernier des dégâts causés à ses plantations par des cervidés, en deuxième lieu, à ce que le Conseil d’Etat, réglant l’affaire au fond, fasse droit à sa requête d’appel, en troisième lieu, à ce que le versement d’une somme de 3 000 euros soit mis à la charge de M. F. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, a sursis à statuer jusqu’à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l’ordre de juridiction compétent pour connaître de ce litige ;
Vu la décision du 30 juin 2008 par laquelle le Tribunal des conflits a déclaré la juridiction administrative seule compétente pour connaître du litige opposant le PARC NATIONAL DES CEVENNES à M. F. ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code rural ;
Vu le décret n° 70-777 du 2 septembre 1970 créant le parc national des Cévennes ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat du PARC NATIONAL DES CEVENNES et de la SCP Peignot, Garreau, avocat M. Etienne F.,
les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le PARC NATIONAL DES CEVENNES demande l’annulation de l’arrêt du 13 septembre 2004 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 juillet 1999 le condamnant à indemniser, à hauteur de 30 % des dommages et pour un montant de 51 453 F (7 843, 95 euros), majoré des intérêts légaux à compter du 2 mai 1991, le préjudice résultant pour M. F. des dégâts causés à ses plantations par des cervidés ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi ;
Considérant qu’en affirmant que le PARC NATIONAL DES CEVENNES ne contestait pas le principe de sa responsabilité alors que celui-ci soutenait que la demande de M. F. mettait en cause des actes qui incombaient, d’une part, à l’association cynégétique du parc instituée par l’article 13 bis du décret du 2 septembre 1970 et, d’autre part, à l’Etat, la cour a dénaturé la portée du mémoire produit devant elle par le PARC NATIONAL DES CEVENNES ; que celui-ci est dès lors fondé, pour ce motif, à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant qu’il résulte de la décision susvisée du 30 juin 2008 du Tribunal des conflits que le moyen tiré de l’incompétence de la juridiction administrative ne peut qu’être écarté ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de l’irrecevabilité de la demande de première instance pour défaut de liaison du contentieux doit être écarté pour les motifs retenus par les premiers juges ;
Considérant, en second lieu, que si le PARC NATIONAL DES CEVENNES soutient que l’action de M. F. était tardive au regard des dispositions de l’article L. 226-7 du code rural, ces dispositions, applicables aux seules actions d’indemnisation des dégâts causés par le gibier formées devant les juridictions judiciaires, ne peuvent être utilement invoquées en l’espèce ;
Au fond :
Considérant que le tribunal administratif de Montpellier a estimé que le PARC NATIONAL DES CEVENNES avait commis des fautes de nature à engager sa responsabilité en sous-estimant les populations de cervidés à l’origine des dégâts causés et en s’abstenant, en conséquence, de prendre les mesures qui auraient permis d’augmenter le contingent de pièces de gibier attribuées par les plans de chasse et de ramener à un niveau raisonnable le nombre d’animaux présents dans certains secteurs du parc, en particulier sur les parcelles de M. F. ; que, toutefois, le tribunal a limité à 30 % la part de responsabilité du PARC NATIONAL DES CEVENNES compte tenu du rôle joué par l’Etat et des fautes commises par M. F. dans l’exploitation de ses parcelles ; que le PARC NATIONAL DES CEVENNES conteste tant le principe de sa responsabilité que la part mise à sa charge par les juges de première instance ; que, par un appel incident, M. F. demande la condamnation du PARC NATIONAL DES CEVENNES à l’indemnisation, majorée des intérêts légaux à compter du 1er mai 1989, de l’intégralité des dégradations commises sur ses parcelles ainsi qu’au paiement des frais d’expertise liquidés le 9 mai 1990 par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Mende ;
En ce qui concerne l’engagement de la responsabilité du parc :
Considérant qu’aux termes de l’article 12 du décret du 2 septembre 1970 créant le PARC NATIONAL DES CEVENNES : " Le conseil d’administration du parc est chargé (.) de prendre toutes les mesures utiles pour obtenir un développement équilibré du cheptel cynégétique et sa conservation sur l’ensemble du territoire du parc. / En outre, il établit un plan d’aménagement cynégétique comportant les mesures techniques tendant à améliorer les conditions de vie du gibier. / A cet effet, il élabore et soumet à la décision du ministre chargé des parcs nationaux un règlement déterminant la liste des espèces dont la chasse est permise, les modes de chasse autorisés, la période d’ouverture de la chasse qui doit être fixée entre les dates légales d’ouverture et de fermeture, les jours où la chasse peut être pratiquée, les mesures de limitation des prélèvements de gibier par la fixation du nombre de pièces et du nombre de journées individuelles de chasse autorisées pour certaines espèces " ; qu’aux termes de l’article 15 du même décret : " Sur le territoire du parc, peuvent être autorisés à titre exceptionnel, par arrêté du ministre chargé des parcs nationaux sur proposition du directeur du parc, après avis du comité scientifique, de la commission cynégétique et de la commission agricole, des tirs d’élimination pour éliminer les animaux malades, malformés, en surnombre ou responsables de dégâts anormalement importants " ; que s’il résulte de ces dispositions que l’adoption des règlements de chasse applicables dans le périmètre du PARC NATIONAL DES CEVENNES ainsi que l’autorisation des tirs d’élimination relèvent de la compétence du ministre chargé des parcs nationaux, la responsabilité de l’établissement gestionnaire du parc peut être engagée en raison des fautes commises dans l’exercice de son pouvoir de proposition ;
En ce qui concerne la part de responsabilité du parc :
Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’insuffisance des propositions de plans de chasse adressées par le PARC NATIONAL DES CEVENNES au titre de la période concernée ainsi que l’absence de proposition de tirs d’élimination ont présenté, au regard de la population des cervidés présents dans le parc et des préjudices causés à l’exploitation de M. F., un caractère fautif de nature à engager la responsabilité de l’établissement ; que, toutefois, l’Etat a également contribué à la réalisation des dommages en menant conjointement une action de réintroduction du grand gibier et une politique de régénération artificielle de la forêt et M. F. a commis des fautes dans la protection de ses parcelles et le choix des essences exploitées ; qu’en conséquence, le tribunal administratif de Montpellier a fait une juste appréciation de la responsabilité du PARC NATIONAL DES CEVENNES en l’évaluant à 30 % des dommages ; qu’eu égard à l’absence de proposition de tirs d’élimination, la circonstance que l’association cynégétique du parc n’aurait pas procédé au prélèvement de l’ensemble des pièces de gibier autorisé par les plans de chasse, n’a pas pour effet, en l’espèce, d’atténuer cette part de responsabilité ; qu’il convient, en conséquence, de condamner le PARC NATIONAL DES CEVENNES à verser à M. F., en réparation des dommages causés à ses plantations, la somme de 7 843, 95 euros fixée par le tribunal administratif de Montpellier ; qu’il y a lieu d’ajouter à cette somme, au titre de préjudice indemnisable de M. F., la somme de 1 111, 35 euros correspondant à 30 % des frais d’expertise liquidés p ar le président du tribunal de grande instance de Mende et de condamner, au total, le PARC NATIONAL DES CEVENNES à verser à M. F. un montant de 8 955, 30 euros ;
En ce qui concerne les intérêts légaux :
Considérant que M. F. n’apporte aucune précision de nature à établir qu’il y aurait lieu de faire courir les intérêts de la somme due par le Parc à compter du 1er mai 1989 et non du 2 mai 1991, date d’assignation du PARC NATIONAL DES CEVENNES devant le tribunal de grande instance de Mende retenue par le jugement du tribunal administratif ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter la requête du PARC NATIONAL DES CEVENNES, ainsi que les conclusions incidentes de M. F. tendant à ce que le parc soit condamné à indemniser l’ensemble du préjudice subi et à ce que le point de départ du calcul des intérêts légaux soit modifié ; qu’il y a lieu, en revanche, de faire partiellement droit aux conclusions de M. F. tendant au remboursement par le PARC NATIONAL DES CEVENNES des frais d’expertise liquidés par la juridiction judiciaire ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. F., qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le PARC NATIONAL DES CEVENNES demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du PARC NATIONAL DES CEVENNES le versement, au même titre, d’une somme de 3 000 euros au profit de M. F. ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 13 septembre 2004 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par le PARC NATIONAL DES CEVENNES devant la cour administrative d’appel de Marseille et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d’Etat sont rejetés.
Article 3 : La somme que le PARC NATIONAL DES CEVENNES a été condamné à verser à M. F. par le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 juillet 1999 est portée de 7 843, 95 euros à 8 955, 30 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 2 mai 1991.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 13 juillet 1999 est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le PARC NATIONAL DES CEVENNES versera à M. F. une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions présentées par M. F. devant la cour administrative d’appel de Marseille est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au PARC NATIONAL DES CEVENNES, à M. Etienne F. et au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.