CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 301642
M. F.
Mme DE F.
M. Jean-Marc Anton
Rapporteur
M. Laurent Olléon
Commissaire du gouvernement
Séance du 17 septembre 2008
Lecture du 7 novembre 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 février et 15 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Christian F. et Mme Catherine DE F. ; M. F. et Mme DE F. demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 4 décembre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, faisant droit à l’appel formé par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, a, d’une part, annulé le jugement du 8 juillet 2005 du tribunal administratif de Paris leur accordant la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles ils avaient été assujettis au titre des années 1993, 1994 et 1995 et des pénalités correspondantes et, d’autre part, les a rétablis au rôle de l’impôt sur le revenu au titre de ces trois années ;
2°) réglant l’affaire au fond, de leur accorder la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Jean-Marc Anton, Auditeur,
les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. F. et de Mme DE F.,
les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. F. et son ex-épouse, Mme DE F., ont, en juin 1990, cédé à la société Altran les titres qu’ils détenaient dans la société Altior et ont déclaré en tant que plus-values les sommes perçues la même année ; que l’administration fiscale, à l’occasion de la vérification de comptabilité de la société Altran, a constaté qu’il était prévu par l’acte de cession que le cédant s’engageait également à effectuer des paiements échelonnés les six années suivantes ; qu’à l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration a imposé sur le fondement du 1 de l’article 92 du code général des impôts les sommes perçues en 1993, 1994 et 1995 que les requérants n’avaient pas déclarées ; que M. F. et Mme DE F. forment un pourvoi à l’encontre de l’arrêt en date du 4 décembre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, faisant droit à l’appel du ministre, a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 8 juillet 2005 les déchargeant des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1993, 1994 et 1995 ainsi que des pénalités correspondantes ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article 92 du code général des impôts : "1. Sont considérés. comme des revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices (.) de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus" ; qu’à ce titre, les sommes provenant d’une cession de titres peuvent être imposées sur ce fondement si elles sont la contrepartie directe de l’activité personnelle du cédant, exercée à titre professionnel, en vue d’augmenter la valeur des titres cédés ;
Considérant qu’en se bornant à relever que les requérants avaient cédé leur participation dans la société Altior aux termes d’une convention qui prévoyait, outre le paiement d’une somme au moment de la vente, des paiements annuels durant six ans dont les montants étaient prévus par la convention et dont le versement était lié à la réalisation des objectifs de la société et en estimant que les sommes perçues à ce titre en 1993, 1994 et 1995 devaient être regardées comme la contrepartie directe du maintien de leur présence en tant que salariés au sein de l’entreprise et de la réalisation des objectifs fixés dans le cadre de la convention de cession, la cour n’a pu déduire de ces seules constatations que ces revenus devaient, de ce fait, être taxés en tant que bénéfices non commerciaux en application des dispositions du 1 de l’article 92 du code général des impôts ; que, par suite, M. F. et Mme DE F. sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de juger l’affaire au fond ;
Considérant que si l’administration a l’obligation d’informer le contribuable de l’origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qui ont servi à établir les redressements afin qu’il puisse demander avant la mise en recouvrement des impositions que les documents contenant ces renseignements lui soient communiqués, l’irrégularité commise par l’administration dans la procédure d’imposition en s’abstenant d’indiquer au contribuable l’origine du renseignement recueilli par elle dans le cadre de la vérification de comptabilité d’un tiers ne constitue pas une irrégularité substantielle de nature à vicier la procédure d’imposition dès lors qu’eu égard à la teneur du renseignement, nécessairement connu du contribuable, celui-ci n’est pas privé, du seul fait de l’absence d’information sur l’origine du renseignement, de la possibilité de discuter utilement le redressement litigieux ; que l’obligation faite à l’administration de tenir à la disposition du contribuable qui le demande avant la mise en recouvrement des impositions les documents ou copies de documents qui contiennent les renseignements qu’elle a utilisés pour procéder aux redressements ne peut porter que sur les documents originaux ou les copies de ces documents effectivement détenus par les services fiscaux ;
Considérant, d’une part, que si, dans la notification de redressement du 23 décembre 1996, l’administration, qui a fait référence à la convention du 30 juin 1990 fixant le montant du prix de cession des actions à la société Altran, les modalités de fixation de ce prix, l’existence d’une clause de réserve de paiement du prix et les modalités d’étalement sur six ans du solde du prix de vente, n’a pas indiqué l’origine du renseignement lui ayant permis de procéder au redressement litigieux, les requérants ne peuvent être regardés comme ayant été, du seul fait de l’absence d’information sur l’origine de ce renseignement, privés de la possibilité de discuter le redressement, eu égard à la teneur des renseignements sur lesquels le vérificateur se fondait, nécessairement connus d’eux-mêmes ;
Considérant, d’autre part, que si l’administration fiscale n’a transmis aux requérants aucun document, malgré leur demande formulée le 8 juillet 1997, il résulte de l’instruction que le vérificateur n’a pas pris une photocopie de la convention du 30 juin 1990 à l’occasion de la vérification de comptabilité de la société Altran et s’est borné à prendre des notes sur les principales clauses de l’acte ; que, par suite, dès lors que la société n’a remis au vérificateur aucun document, l’administration n’a pas entaché la procédure d’irrégularité en ne donnant pas suite à la demande des contribuables ; que les notes personnelles du vérificateur ne sont pas des documents soumis, pour l’application de la loi fiscale, à l’obligation de communication ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal administratif s’est fondé sur l’absence de l’origine des renseignements obtenus et sur le refus de l’administration de communiquer les notes du vérificateur pour juger la procédure d’imposition irrégulière et décharger les requérants des impositions mises à leur charge ;
Considérant qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens présentés par M. F. et Mme DE F. ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que les sommes perçues par les requérants l’ont été dans le cadre de la cession des actions de la société Altior ; que si les sommes dont le paiement échelonné et le montant étaient prévus par la convention dépendaient de la réalisation des objectifs de la société Altior et s’il était prévu qu’elles ne seraient versées aux cédants que s’ils demeuraient dans l’entreprise pendant les six années suivant la cession, les conditions de versement de ces sommes ne caractérisent pas l’exercice d’une occupation lucrative au sens du I de l’article 92 du code général des impôts ; que, par suite, le ministre n’est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Paris a déchargé M. F. et Mme DE F. des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1993, 1994 et 1995 et des pénalités correspondantes ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 4 000 euros à M. F. et à Mme DE F. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative de Paris en date du 4 décembre 2006 est annulé.
Article 2 : Le recours du ministre devant la cour administrative d’appel de Paris est rejeté.
Article 3 : L’Etat versera une somme de 4 000 euros à M. F. et à Mme DE F. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Christian F. , à Mme Catherine DE F. et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.