CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 305746
CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES
Mme Jeannette Bougrab
Rapporteur
M. Luc Derepas
Commissaire du gouvernement
Séance du 10 octobre 2008
Lecture du 29 octobre 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 mai et 14 août 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES, dont le siège est 102, rue de Miromesnil à Paris (75008) ; la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2007-369 du 20 mars 2007 pris pour l’application des dispositions de l’article 110 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, notamment son article 110 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Jeannette Bougrab, Maître des Requêtes,
les observations Me Foussard, avocat de la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES,
les conclusions de M. Luc Derepas, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que l’article 110 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 dispose que : " I. - Les personnes exerçant ou ayant exercé, avant le 31 décembre 2006, à titre indépendant, la profession de moniteur de ski sont réputées avoir satisfait, à cette date, aux obligations résultant de leur affiliation à titre obligatoire à l’organisation autonome d’assurance vieillesse des professions libérales au titre des périodes d’exercice comprises entre le 1er janvier 1978 et le 31 décembre 2006. / II. - Les périodes mentionnées au I au titre desquelles les personnes mentionnées au même I ont cotisé au dispositif professionnel de retraite mis en place par le syndicat professionnel auquel elles ont adhéré en raison de l’exercice de leur activité de moniteur de ski sont prises en compte pour la détermination de la durée d’assurance fixée en application des dispositions de l’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale et donnent lieu à l’attribution de points de retraite du régime d’assurance vieillesse de base des professions libérales mentionné à l’article L. 643-1 du même code, à raison du nombre de points résultant des cotisations acquittées par les intéressés dans ce dispositif. / Les périodes mentionnées au I du présent article ne sont pas prises en compte pour l’application des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 643-1 du même code. / Un décret fixe les conditions d’application du présent II. / III. - Les périodes mentionnées au I, au titre desquelles les personnes mentionnées au même I ont cotisé au dispositif professionnel de retraite mis en place par le syndicat professionnel auquel elles ont adhéré en raison de l’exercice de leur activité de moniteur de ski, donnent lieu à l’attribution de points de retraite du régime d’assurance vieillesse complémentaire dont elles relèvent à titre obligatoire, à raison du nombre de points résultant des cotisations acquittées par les intéressés dans ce dispositif et compte tenu des points attribués en application des dispositions du II. / Un décret fixe les conditions d’application du présent III. " ; que le IV du même article prévoit que les réserves du dispositif professionnel spécifique constituées au 31 décembre 2006 sont transférées, respectivement, à la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES et à la caisse chargée de la gestion du régime d’assurance vieillesse complémentaire mentionné au III, selon une répartition fixée par arrêté, et qu’une partie des sommes correspondantes peut être consacrée au financement d’un contrat d’assurance en vue du versement de prestations temporaires exclusives des prestations de droit commun aux personnes mentionnées au II âgées de moins de soixante et un ans en 2007 et ayant liquidé leurs droits auprès du régime spécifique jusqu’en 2007 et aux personnes mentionnées au II nées en 1949 et 1950 respectivement à partir de leurs cinquante-neuvième et soixantième anniversaires ; que la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES (CNAVPL) demande l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 mars 2007 pris pour l’application de cet article ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant que le ministre de la santé et des solidarités a décidé, sans y être tenu par aucun texte, de transmettre pour avis à la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES le projet de décret qu’il avait élaboré en vue de l’application des dispositions de l’article 110 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 ; qu’il pouvait légalement, dès lors, renoncer à tout moment à cette consultation et soumettre à la signature du Premier ministre ce décret avant que le conseil d’administration de cet organisme ne se soit prononcé ; qu’il s’ensuit que le moyen tiré de l’irrégularité de la consultation du conseil d’administration de la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES doit être écarté ;
Considérant, en revanche, d’une part, que l’article 5 du décret attaqué dispose que " L’âge à partir duquel est ouvert le droit à pension dans les régimes d’assurance vieillesse de base et d’assurance vieillesse complémentaire des professions libérales prévu aux II et III de l’article 110 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 susvisée est fixé, pour les personnes mentionnées auxdits II et III nées avant 1951, au premier jour du mois suivant le soixante-et-unième anniversaire de l’intéressé " ; qu’ainsi, cet article déroge aux dispositions de l’article R. 351-2 du code de la sécurité sociale, qui fixe à soixante ans l’âge à partir duquel chaque assuré peut demander la liquidation d’une pension de vieillesse ; que, d’autre part, le I de l’article 6 du décret attaqué déroge aux dispositions de l’article R. 643-7 du code de la sécurité sociale imposant une décote pour les assurés ne disposant pas de la durée de cotisation réglementaire à la date d’ouverture des droits à la retraite, en prévoyant que ces dispositions ne seront pas applicables aux moniteurs de ski nés avant 1951, qui pourront disposer d’une retraite à taux plein correspondant au régime spécifique dès l’âge de 58 ans ; que le II de cet article 6 du décret attaqué prévoit pour sa part un régime de décote progressive pour les bénéficiaires nés après 1950 et qui ne disposent pas de la durée de cotisation réglementaire ; que ces dispositions, qui dérogent à celles du code de la sécurité sociale issues de décrets en Conseil d’Etat relevaient elles-mêmes d’un décret en Conseil d’Etat, en l’absence d’un renvoi exprès à un décret simple dans l’article 110 de la loi de financement de la sécurité sociale en ce qui concerne l’âge d’ouverture des droits et les règles de décote applicables aux moniteurs de ski intégrés dans le régime vieillesse de droit commun ; que, dès lors, faute d’avoir été soumis au Conseil d’Etat, les articles 5 et 6 du décret attaqué, qui sont divisibles des autres dispositions de ce texte, sont entachés d’illégalité et doivent être annulées ;
Sur la légalité interne des autres dispositions du décret :
Considérant, en premier lieu, que l’article 110 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 a pour objet de régulariser la situation juridique et d’assurer la pérennité de l’assurance vieillesse des moniteurs de ski en organisant l’intégration effective, à compter du 1er janvier 2007, et selon des règles d’équivalence et de validation à préciser par décret, du régime de retraite spécifique des moniteurs de ski créé et géré par le syndicat national des moniteurs de ski français dans le régime de retraite des professions libérales géré par la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES et par la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, cette mesure s’accompagnant du transfert à ces caisses des réserves accumulées par le régime de retraite spécifique des moniteurs de ski ; que le législateur a ainsi lui-même mis en place un dispositif qui, d’une part, implique nécessairement un traitement particulier des moniteurs de ski par rapport aux autres professionnels libéraux et qui, d’autre part, ne comporte pas la prise en charge par l’Etat de l’écart éventuel entre le coût de l’intégration et le montant des réserves transférées ; que, dès lors, la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES ne peut utilement soutenir que le décret attaqué méconnaît l’objectif d’équilibre financier de la sécurité sociale et le principe de libre administration des organismes de sécurité sociale, ni qu’il méconnaît le principe d’égalité entre les moniteurs de ski et les autres professionnels libéraux ;
Considérant, en deuxième lieu, que la régularisation de la situation juridique du régime d’assurance vieillesse des moniteurs de ski est justifiée par un objectif d’intérêt général et est définie par des normes législatives et réglementaires suffisamment précises ; que si cette intégration n’est pas financièrement neutre pour le régime géré par la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES et la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation issue de ce dispositif soit, pour le régime général des professions libérales, plus défavorable que celle qui aurait résulté de l’intégration de ce régime au 1er janvier 1978, telle qu’elle aurait dû être opérée en application des textes en vigueur, ni qu’elle fasse peser sur les finances de ces caisses une charge disproportionnée ; que les moyens tirés de ce que l’article 110 de la loi du 21 décembre 2006 et le décret attaqué institueraient des discriminations de la nature de celles qui sont prohibées par l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sont assortis d’aucune précision permettant au Conseil d’Etat d’en apprécier la portée ; que, dans ces conditions, l’argumentation de la caisse tirée de la méconnaissance des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de son premier protocole additionnel ne peut qu’être écartée ;
Considérant, enfin, que les dispositions de l’article 4 du décret attaqué, prises pour l’application du II de l’article 110 de la loi du 21 décembre 2006, fixent les modalités de validation de la carrière des moniteurs de ski dans leur nouveau régime vieillesse en ce qui concerne la durée d’assurance, sur la base des points de cotisation qu’ils avaient acquis dans le dispositif professionnel spécifique auquel ils adhéraient ; que si ces modalités ne retiennent pas une stricte proportionnalité entre points ou fractions de points acquis et trimestres validés, ils ont pour objet de traiter la situation particulière des moniteurs qui n’ont exercé qu’une activité épisodique chaque année, d’une part, et celle des directeurs d’école de ski qui ont au contraire exercé leur activité à titre permanent, d’autre part ; qu’un tel dispositif, qui tend notamment à prendre en compte la circonstance que les professionnels concernés ont ou n’ont pas pu acquérir des droits, en termes de trimestres d’assurance, dans d’autres régimes d’assurance vieillesse, ne méconnaît ni l’intention du législateur ni le principe d’égalité ; que le moyen tiré d’une discrimination illégale entre directeurs d’école de ski et directeurs de compagnie de guides alpins n’est pas, en tout état de cause, assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administratives :
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES des sommes que celle-ci demande au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 5 et 6 du décret n° 2007-369 du 20 mars 2007 sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE DES PROFESSIONS LIBERALES, au Premier ministre et au ministre du travail, des relations sociales de la famille et de la solidarité.