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Conseil d’Etat, 6 août 2008, n° 301336, Denis S.

D’une part, les indemnités versées par une compagnie d’assurances pour couvrir les charges déductibles du revenu foncier d’un contribuable ont, dans cette mesure, le caractère de recettes foncières de ce dernier et qu’il en va ainsi notamment dans le cas d’une police d’assurance décès-invalidité contractée sur sa tête par l’associé d’une société de personnes pour couvrir les mensualités d’un emprunt contracté par celle-ci ou pour son compte et, d’autre part, que les intérêts de cet emprunt présentent le caractère d’une charge déductible des résultats de cette société, y compris lorsque, en exécution des clauses de cette police d’assurance, une compagnie d’assurances, auprès de laquelle cet emprunt a été garanti, est conduite à se substituer à l’emprunteur dans le paiement des mensualités du prêt.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 301336

M. et Mme S.

M. Benoit Bohnert
Rapporteur

M. Pierre Collin
Commissaire du gouvernement

Séance du 16 mai 2008
Lecture du 6 août 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 février et 4 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. et Mme Denis S. ; M. et Mme S. demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 4 décembre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté leur requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du 14 octobre 2004 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1998 et 1999 et, d’autre part, à la décharge demandée ainsi qu’à la restitution, majorées des intérêts moratoires, des sommes perçues par le Trésor ;

2°) réglant l’affaire au fond, de prononcer la décharge des impositions en litige et de condamner l’Etat au versement des intérêts moratoires sur les sommes qui seront restituées ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 91-662 du 13 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benoit Bohnert, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de M. et Mme S.,

- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par acte notarié en date du 13 décembre 1996, M. et Mme S. ont constitué une société civile immobilière, dénommée "SCI STUD", dont il sont les seuls associés, afin d’acquérir des terrains et des immeubles et de les donner en location ; que, pour financer les acquisitions réalisées par la SCI STUD, M. et Mme S. ont souscrit pour le compte de cette société un emprunt auprès d’un établissement bancaire, garanti par une assurance décès-invalidité souscrite auprès d’une compagnie d’assurances ; que la SCI STUD a déposé les déclarations de résultats d’exploitation des immeubles qui, après déduction des intérêts versés au titre de cet emprunt, s’élèvent à 299 180 F en 1998 et 340 096 F en 1999 ; que M. et Mme S. ont déclaré ces sommes au titre de leurs revenus fonciers de ces mêmes années ; qu’à la suite d’un accident ayant entraîné pour M. S. une invalidité permanente, la compagnie d’assurances a versé, dans le cadre de ce contrat, une indemnité d’un montant de 208 751 F en 1998 et de 170 867 F en 1999 ; que par lettre en date du 10 mai 2001, M. et Mme S. ont demandé un dégrèvement partiel des impositions établies au vu de leurs déclarations au motif que les indemnités d’assurance, destinées à compenser un préjudice, n’auraient pas dû être incluses dans les revenus fonciers qu’ils avaient déclarés ; que l’administration n’a que partiellement fait droit à cette réclamation dans la mesure où, si elle a admis que ces indemnités, qui n’avaient pas leur source dans la propriété de l’immeuble, n’avaient pas à être déclarées en tant que revenus fonciers, elle a concomitamment remis en cause la déductibilité des intérêts d’emprunt couverts par ces indemnités ; qu’elle a en conséquence ramené le revenu net foncier à 255 533 F pour 1998 et 256 583 F pour 1999 ; que M. et Mme S. se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 4 décembre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté leur requête tendant à ce que leur soit accordée la décharge de la totalité des cotisations d’impôt sur le revenu et de contributions sociales qu’ils avaient contestées au titre des années 1998 et 1999 ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi ;

Considérant qu’aux termes du I de l’article 31 du code général des impôts, applicable à la détermination des revenus fonciers : "Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent : / 1° Pour les propriétés urbaines :. / d) les intérêts de dettes contractées pour la conservation, l’acquisition, la construction ou l’amélioration des propriétés." ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 29 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 1991 d’orientation pour la ville : "Sous réserve des dispositions des articles 33 ter et 33 quater, le revenu brut des immeubles ou parties d’immeubles donnés en location, est constitué par le montant des recettes brutes perçues par le propriétaire, augmenté du montant des dépenses incombant normalement à ce dernier et mises par les conventions à la charge des locataires et diminué du montant des dépenses supportées par le propriétaire pour le compte des locataires. Les subventions et indemnités destinées à financer des charges déductibles sont comprises dans le revenu brut" ; qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions, d’une part, que les indemnités versées par une compagnie d’assurances pour couvrir les charges déductibles du revenu foncier d’un contribuable ont, dans cette mesure, le caractère de recettes foncières de ce dernier et qu’il en va ainsi notamment dans le cas d’une police d’assurance décès-invalidité contractée sur sa tête par l’associé d’une société de personnes pour couvrir les mensualités d’un emprunt contracté par celle-ci ou pour son compte et, d’autre part, que les intérêts de cet emprunt présentent le caractère d’une charge déductible des résultats de cette société, y compris lorsque, en exécution des clauses de cette police d’assurance, une compagnie d’assurances, auprès de laquelle cet emprunt a été garanti, est conduite à se substituer à l’emprunteur dans le paiement des mensualités du prêt ; que par suite, en relevant que l’administration avait estimé à bon droit que l’indemnité d’assurance n’avait pas à être déclarée dans les revenus fonciers des contribuables mais que la charge du paiement des intérêts d’emprunt acquittés au cours des années 1998 et 1999 au titre du prêt souscrit par M. S., pour le compte de la SCI STUD, avait été couverte par le versement de cette indemnité, puis en se fondant sur cette circonstance pour juger que ces intérêts ne pouvaient, dès lors, être regardés comme ayant été supportés par le propriétaire du bien au sens du I de l’article 31 du code général des impôts, et en en déduisant que, pour déterminer le revenu foncier imposable afférent à ces années, l’administration avait pu légalement remettre en cause les déductions des intérêts des emprunts à hauteur des montants couverts par cette indemnité, la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit ; qu’il suit de là que les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de renvoyer l’affaire à la cour administrative d’appel de Nancy ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 4 décembre 2006 de la cour administrative d’appel de Nancy est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Nancy.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Denis S. et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.

 


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