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Conseil d’Etat, 7 août 2008, n° 289842, Hippolyte N.-F.

Si dans l’appréciation que la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France porte sur le comportement d’un étranger qui a utilisé des faux documents pour chercher à pénétrer ou séjourner en France, l’existence d’une menace pour l’ordre public peut résulter des seules conditions de recherche, d’obtention et d’usage de ces faux documents, il ressort des pièces du dossier que, depuis un usage plus de quatre ans avant la décision attaquée de faux documents pour se rendre en France , M. N.-F. n’a commis aucune infraction.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 289842

M. N.-F.

M. Gilles Pellissier
Rapporteur

Mlle Célia Verot
Commissaire du gouvernement

Séance du 2 juillet 2008
Lecture du 7 août 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 février et 26 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Hippolyte N.-F. ; M. N.-F. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 16 juin 2005 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision du consul général de France à Bangui lui refusant un visa d’entrée et de court séjour en France ;

2°) d’enjoindre au consul général de France à Bangui de lui délivrer le visa demandé ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement à la SCP de Chaisemartin-Courjon de la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée sous réserve que celle-ci s’abstienne de percevoir la part contributive de l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code du séjour de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, notamment son article 37 ;

Vu le décret n° 2000-1093 du 10 novembre 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Gilles Pellissier, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mlle Célia Verot, Commissaire du gouvernement ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur l’autre moyen de la requête ;

Considérant que pour rejeter, par la décision attaquée du 16 juin 2005, le recours formé par Mme H. pour le compte de son époux, M. N.-F., ressortissant de nationalité centrafricaine, contre la décision du consul général de France à Bangui du 15 mars 2004 refusant de délivrer à M. N.-F. le visa de long séjour qu’il sollicitait pour rejoindre son épouse, la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France s’est fondée d’une part, sur le caractère frauduleux du mariage, d’autre part, sur la menace pour l’ordre public que constituait la présence en France de M. N.-F. en raison de l’usage qu’il avait fait de faux documents à l’occasion d’une précédente demande d’admission sur le territoire ;

Considérant en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que Mme H. et M. N.-F. se sont mariés le 25 octobre 2003 ; qu’il n’est pas contesté qu’ils vivaient ensemble depuis le mois de mars 2003 et que leur vie commune n’a cessé que du fait de la reconduite à la frontière dont M. N.-F. a fait l’objet le 14 décembre 2003 ; qu’il ressort également des pièces du dossier que M. N.-F. avait reconnu l’enfant que portait sa future épouse et qui est décédé à la naissance ; qu’enfin, Mme Houe a effectué en France les démarches nécessaires à la contestation du refus de visa de long séjour qui avait été opposé à son époux ; que si l’administration fait valoir que M. N.-F. a manifesté à plusieurs reprises une volonté de s’installer en France, que son mariage est intervenu alors qu’il avait été invité à quitter le territoire français et qu’il a déclaré aux autorités de police lors de son interpellation que son mariage arrangeait sa situation, elle n’établit pas de façon certaine que le mariage de M. N.-F. et de Mme H. n’avait d’autre but que d’obtenir le droit de séjourner régulièrement sur le territoire français ; que le motif tiré du caractère frauduleux du mariage n’est donc pas de nature à justifier légalement la décision attaquée ;

Considérant en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2 - Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui" ;

Considérant que, si dans l’appréciation que la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France porte sur le comportement d’un étranger qui a utilisé des faux documents pour chercher à pénétrer ou séjourner en France, l’existence d’une menace pour l’ordre public peut résulter des seules conditions de recherche, d’obtention et d’usage de ces faux documents, il ressort des pièces du dossier que, depuis un usage plus de quatre ans avant la décision attaquée de faux documents pour se rendre en France , M. N.-F. n’a commis aucune infraction ; qu’aucun autre élément de nature à démontrer que la présence en France de M. N.-F. constituerait une menace pour l’ordre public n’est invoqué par le ministre des affaires étrangères ; que, dans ces circonstances, en estimant que la présence de M. N.-F. sur le territoire français créait une menace pour l’ordre public d’une gravité telle qu’elle justifiait l’atteinte portée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France a méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales précitées ; que ce motif n’est, par suite, pas non plus de nature à justifier la décision attaquée ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. N.-F. est fondé à demander l’annulation de la décision de la commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France du 16 juin 2005 ;

Sur les conclusions tendant à ce que soit prescrite la délivrance d’un visa d’entrée en France à M. N.-F. :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (.) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution" ; qu’eu égard aux motifs de la présente décision et alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation de M. N.-F. se serait modifiée, en droit ou en fait, depuis l’intervention de la décision attaquée, l’exécution de cette décision implique nécessairement la délivrance d’un visa de long séjour à l’intéressé ; que, par suite, il y a lieu, pour le Conseil d’Etat, d’enjoindre au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire de faire délivrer à M. N.-F. un visa de long séjour dans le délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que M. N.-F. a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à la SCP de Chaisemartin - Courjon de la somme de 1 500 euros, sous réserve que cette SCP renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France en date du 16 juin 2005 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire de faire délivrer à M. N.-F. un visa de long séjour sur le territoire français dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision.

Article 3 : L’Etat versera à la SCP de Chaisemartin - Courjon une somme de 1 500 euros en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que cette SCP renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Hippolyte N.- F., au ministre des affaires étrangères et européennes et au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

 


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