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Conseil d’Etat, 16 juin 2008, n° 285385, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ Association Montjoie

La responsabilité de l’Etat peut être engagée, même sans faute, à raison du risque spécial créé pour les tiers du fait de la mise en œuvre d’une des mesures de liberté surveillée prévues par l’ordonnance du 2 février 1945. Cette responsabilité peut notamment être engagée lorsque, au cours de la phase d’instruction d’une infraction mettant en cause un mineur, le juge d’instruction ou des enfants décide de le placer pendant une période d’épreuve sous le régime de la liberté surveillée.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 285385

GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE
c/ association Montjoie

Mlle Aurélie Bretonneau
Rapporteur

M. Mattias Guyomar
Commissaire du gouvernement

Séance du 7 mai 2008
Lecture du 16 juin 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux

Vu le pourvoi, enregistré le 22 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 7 juillet 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté son appel dirigé contre le jugement du 1er juillet 2002 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat à garantir l’association Montjoie et son assureur, la Mutuelle assurances des instituteurs de France (MAIF), de la totalité des sommes mises à leur charge au titre de la réparation du préjudice ayant résulté pour la société Socamaine et son assureur, le Gan, de l’incendie provoqué le 5 août 1989 par un mineur dont l’association Montjoie avait la garde, dans la double limite, d’une part, du préjudice effectivement subi par la société Socamaine et son assureur le Gan et, d’autre part, du montant des demandes préalables présentées le 22 décembre 1997 par l’association Montjoie et par la MAIF ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 mai 2008, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ;

Vu le code civil ;

Vu le code des assurances ;

Vu l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Aurélie Bretonneau, Auditeur,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Socamaine, de Me Le Prado, avocat de l’association Montjoie et de la Mutuelle assurance des instituteurs de France, et de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la société Gan incendie accident,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans la nuit du 4 au 5 août 1989, un mineur placé auprès de l’association Montjoie a provoqué un incendie dans les entrepôts de la société Socamaine ; qu’à la suite de cet incendie, la victime et son assureur ont recherché la responsabilité de l’association devant le juge judiciaire ; qu’ils ont obtenu la condamnation de l’association et de l’assureur de cette dernière, la Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), à les indemniser du préjudice résultant de l’incendie provoqué par le mineur dont l’association avait la garde ; que l’association et son assureur se sont retournés contre l’Etat en demandant au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, par lettres du 22 décembre 1997, le versement d’une somme de 37 741 592, 79 francs (5 753 668 euros) en remboursement de la somme exposée ; que par un jugement avant-dire droit du 1er juillet 2002, le tribunal administratif de Paris a condamné l’Etat à garantir l’association Montjoie et la MAIF de la totalité des sommes mises à leur charge, dans la double limite du préjudice effectivement subi par la société Socamaine et du montant des demandes préalables présentées au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; que la cour administrative d’appel de Paris a confirmé ce jugement par un arrêt du 7 juillet 2005 contre lequel le ministre se pourvoit en cassation ;

Sur la compétence territoriale :

Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article R. 312-2 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret n°2002-547 du 19 avril 2002, applicable aux faits de l’espèce : " Lorsqu’il n’a pas été fait application de la procédure de renvoi prévue à l’article R. 351-3 et que le moyen tiré de l’incompétence territoriale du tribunal administratif n’a pas été invoqué par les parties avant la clôture de l’instruction de première instance, ce moyen ne peut plus être ultérieurement soulevé par les parties ou relevé d’office par le juge d’appel ou de cassation " ; que la cour administrative d’appel, après avoir estimé, par une appréciation souveraine des mémoires devant le tribunal administratif, exempte de dénaturation, que le moyen tiré de l’incompétence territoriale du tribunal administratif n’avait pas été invoqué par les parties avant la clôture de l’instruction de première instance, a pu, sans erreur de droit, en déduire que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE n’était pas recevable à le soulever pour la première fois devant le juge d’appel ; qu’en jugeant ainsi que la compétence territoriale du tribunal administratif de Paris n’était plus susceptible d’être discutée, elle a nécessairement et sans insuffisance de motivation écarté le moyen tiré de ce que l’affaire aurait dû être renvoyée devant le tribunal administratif de Nantes sur le fondement des articles R. 342-1 à R. 342-3 relatifs à la connexité ;

Sur la responsabilité de l’Etat :

Considérant que la responsabilité de l’Etat peut être engagée, même sans faute, à raison du risque spécial créé pour les tiers du fait de la mise en œuvre d’une des mesures de liberté surveillée prévues par l’ordonnance du 2 février 1945 ; que cette responsabilité peut notamment être engagée lorsque, au cours de la phase d’instruction d’une infraction mettant en cause un mineur, le juge d’instruction ou des enfants décide de le placer pendant une période d’épreuve sous le régime de la liberté surveillée ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juges du fond qu’un mineur initialement placé, par une ordonnance du tribunal pour enfants du Mans du 18 mai 1989, à l’association Montjoie à compter du 26 avril 1989 sur le fondement de l’article 375 du code civil, a fait l’objet, le 5 juillet 1989, dans le cadre de l’instruction d’une plainte déposée à la suite d’un incendie volontaire, d’une mesure de liberté surveillée prise à titre préjudiciel sur le fondement de l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945 ; qu’en se fondant sur l’intervention de cette seule mesure pour estimer que la responsabilité de l’Etat était engagée à raison des dommages causés aux tiers par ce mineur, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ; que la circonstance qu’elle ait, à tort, précisé que la mesure de liberté surveillée dont ce mineur faisait l’objet était prise sur le fondement de l’article 10 de l’ordonnance du 2 février 1945 et que l’association Montjoie devait dès lors être regardée comme une " personne digne de confiance " au sens de cet article n’est pas de nature à entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué, dès lors que cette mention erronée revêtait en l’espèce un caractère surabondant ;

Considérant que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en déduisant de ce qui précède que l’association Montjoie et la MAIF, condamnées par le juge judiciaire à réparer les dommages causés à la société Socamaine par un mineur délinquant, étaient recevables, par la voie de l’action en garantie, à rechercher la responsabilité de l’Etat pour ces mêmes dommages devant la juridiction administrative ;

Sur la part du préjudice mise à la charge de l’Etat :

Considérant, d’une part, que pour contester la part du préjudice mise à la charge de l’Etat, le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, se bornait, devant la cour administrative d’appel, à demander l’élargissement de la mission d’expertise à l’évaluation de la part du préjudice devant rester à la charge de la société Socamaine du fait qu’elle aurait construit un bâtiment ayant une faible résistance au feu ; que, par suite, le moyen tiré de l’existence d’une faute de la société Socamaine est nouveau en cassation ; que, n’étant pas d’ordre public, ils n’est pas recevable ;

Considérant, d’autre part, que si le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE fait valoir que l’Etat, qui aurait déjà pris en charge le paiement d’une partie des sommes mises à la charge de l’association Montjoie par le biais de subventions exceptionnelles accordées dans le cadre de la tarification journalière, ne pouvait être condamné à s’acquitter de ces sommes une nouvelle fois, cette circonstance n’avait pas été invoquée devant les juges du fond et ne ressortait pas des pièces qui leur étaient soumises ; que, dès lors, il n’est pas recevable à s’en prévaloir pour la première fois en cassation et à soutenir que la cour administrative d’appel aurait méconnu ses obligations en n’opposant pas cette circonstance aux prétentions de l’association Montjoie tendant à obtenir la prise en charge par l’Etat de l’intégralité des sommes mises à sa charge ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat le versement à l’association Montjoie et à la MAIF de la somme globale de 2 350 euros ;

Considérant en revanche que la société Socamaine et la société Gan incendie accident, qui n’ont été appelées en la cause que pour produire des observations, ne sont pas parties à l’instance au sens de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que leurs conclusions tendant à l’application de ces dispositions ne peuvent par suite qu’être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est rejeté.

Article 2 : L’Etat versera à l’association Montjoie et à la Mutuelle assurance des instituteurs de France une somme globale de 2 350 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la société Socamaine et de la société Gan incendie accident tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, à l’association Montjoie, à la Mutuelle assurance des instituteurs de France, à la société Socamaine et à la société Gan incendie accident.

 


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