CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 253586, 253666
DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES
MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER
M. Gounin
Rapporteur
M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement
Séance du 9 avril 2004
Lecture du 12 mai 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux
Vu, 1°) sous le numéro 253586, la requête, enregistrée le 24 janvier 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES, représenté par le président du conseil général en exercice domicilié en cette qualité au centre administratif départemental, route de Grenoble BP n° 7 (06201) Cedex 3 à Nice ; le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement du 5 novembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Nice, saisi par les consorts G. de la question préjudicielle soulevée par le tribunal de grande instance de Grasse dans son jugement du 14 décembre 1999, ayant sursis à statuer sur leur demande tendant à la condamnation du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES à leur verser une indemnité de 15 616 425 F, a déclaré illégal l’arrêté du 30 juin 1997 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a déclaré d’utilité publique le projet d’acquisition par l’Etat, pour la construction d’une réserve foncière, des terrains préalablement destinés à la création d’un hôpital psychiatrique sur le territoire de la commune de Valbonne ;
2°) de mettre à la charge des consorts G. une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2°) sous le n° 253666, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 janvier et 26 mai 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat présentés par le préfet des Alpes-Maritimes ; le préfet des Alpes-Maritimes demande au Conseil d’Etat d’annuler le jugement du 5 novembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Nice, saisi par les consorts G. de la question préjudicielle soulevée par le tribunal de grande instance de Grasse dans son jugement du 14 décembre 1999, ayant sursis à statuer sur leur demande tendant à la condamnation du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES à leur verser une indemnité de 15 616 425 F, a déclaré illégal l’arrêté du 30 juin 1997 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a déclaré d’utilité publique le projet d’acquisition par l’Etat, pour la construction d’une réserve foncière, des terrains préalablement destinés à la création d’un hôpital psychiatrique sur le territoire de la commune de Valbonne ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Gounin, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de MM. G. et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du préfet des Alpes-Maritimes,
les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n°s 253586 et 253666 sont dirigées contre le même jugement ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par les consorts G. à la requête du MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER :
Considérant que, par arrêté en date du 3 octobre 1967, le préfet des Alpes-Maritimes a déclaré d’utilité publique l’acquisition par le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES de terrains, situés sur le territoire de la commune de Valbonne, d’une superficie de 481 137 m², en vue de la création d’un hôpital psychiatrique ; que, par ordonnance en date du 4 octobre 1968, le juge de l’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Nice a exproprié les terrains en cause qui appartenaient à quatre personnes dont M. Jacques G. pour la parcelle cadastrée D. 24 d’une superficie de 94 475 m² ; que cependant le projet de création d’un hôpital psychiatrique à Valbonne ne reçut pas l’aval du ministre de la santé et fut définitivement abandonné par le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES au début de l’année 1976 ; que, par arrêté en date du 30 juin 1977, le préfet des Alpes-Maritimes déclara d’utilité publique "le projet d’acquisition par l’Etat, pour la constitution d’une réserve foncière, des terrains préalablement destinés à la création d’un hôpital psychiatrique sur le territoire de la commune de Valbonne" ; que, le 4 octobre 1977, le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES vendit à l’Etat les 481 137 m² de terrains acquis à la suite de la déclaration d’utilité publique en date du 3 octobre 1967 ; que les consorts G. ont saisi le tribunal administratif de Nice en application du jugement du 14 décembre 1999 par lequel le tribunal de grande instance de Grasse a sursis à statuer sur leur demande tendant à ce que le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES soit condamné à leur verser une indemnité pour les avoir indûment privés de l’exercice de leur droit de rétrocession des terrains expropriés à M. Jacques G., et a renvoyé les parties devant la juridiction administrative afin que soit appréciée la légalité de l’arrêté du préfet des Alpes-Maritimes en date du 30 juin 1977 ; que, par deux requêtes distinctes, le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES et le MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER, sur le fondement des dispositions de l’article R. 321-1 du code de justice administrative, relèvent appel du jugement du 5 novembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Nice a déclaré illégal ledit arrêté ;
Considérant que si la demande initiale que les consorts G. ont formée devant le tribunal administratif de Nice tendait à l’annulation de l’arrêté précité en date du 30 juin 1977, le tribunal administratif n’a dénaturé ni le sens ni l’objet de la demande en relevant que, dans le dernier état des écritures des consorts G., elle tendait exclusivement à l’appréciation de la légalité dudit arrêté, pour rejeter la fin de non-recevoir qu’avaient soulevée le préfet et le département ;
Considérant qu’aux termes des dispositions du II de l’article L. 11.5 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : "L’acte déclarant l’utilité publique précise le délai pendant lequel l’expropriation devra être réalisée. Ce délai ne peut, si la déclaration d’utilité publique est prononcée par arrêté, être supérieur à cinq ans (.)" et qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 12-6 du même code : "Si les immeubles expropriés en application du présent code n’ont pas reçu dans le délai de cinq ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique" ; qu’il résulte de ces dispositions qu’une nouvelle déclaration d’utilité publique relative aux mêmes terrains fait en principe obstacle à ce que le propriétaire exproprié en application d’une précédente déclaration d’utilité publique, ou ses ayants droits, exerce son droit de rétrocession à l’issue du délai de cinq ans mentionné au premier alinéa de l’article L. 12-6 du code de l’expropriation ; que, toutefois, il en va autrement dans l’hypothèse où la nouvelle déclaration d’utilité publique a eu pour seul objet d’empêcher l’exercice par les anciens propriétaires, ou leurs ayants droit, de leur droit de rétrocession ;
Considérant que, si l’administration soutient que la nouvelle déclaration d’utilité publique avait pour objet la constitution d’une réserve foncière, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la notice explicative jointe au dossier d’enquête de cette nouvelle déclaration d’utilité publique, que cette procédure a eu pour seul objet de faire obstacle au droit de rétrocession des anciens propriétaires ; que cet acte est donc entaché d’un détournement de pouvoir ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES et le MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a déclaré illégal l’arrêté du préfet des Alpes-Maritimes en date du 30 juin 1997 ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge des consorts G., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES et de l’Etat une somme de 3 000 euros qui sera versée par chacun d’entre eux globalement aux consorts G., au titre des frais exposés par ces derniers et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES et du MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DU LOGEMENT, DU TOURISME ET DE LA MER sont rejetées.
Article 2 : Le DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES et l’Etat verseront chacun aux consorts G. une somme globale de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des consorts G. tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES, au MINISTRE DE L’EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS, DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE, DU TOURISME ET DE LA MER, à M. Pierre Jules Jean G., à M. Alain Jacques Paul G., à M. Daniel Pierre Jean G. et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.