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Conseil d’Etat, 18 juin 2003, n° 224761, Association foncière urbaine des terrains ensablés du Cap-Ferret et autres

Si l’article R. 11-14-10 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique impose au commissaire enquêteur d’informer le préfet de son intention de visiter les lieux afin de lui permettre d’avertir au moins quarante-huit heures à l’avance les propriétaires et occupants de cette visite, cette disposition ne concerne que les visites nécessitant l’entrée du commissaire enquêteur dans des propriétés privées à l’exception des locaux d’habitation ; qu’elle ne s’applique pas à la visite des lieux publics libres d’accès. S’il est constant que le commissaire enquêteur a procédé à la visite des lieux soumis à enquête en pénétrant dans des lieux publics libres d’accès, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il ait dû entrer dans des propriétés privées ; qu’ainsi le moyen tiré de l’absence d’information préalable du préfet ne saurait être accueilli.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 224761

ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et autres

M. Devys
Rapporteur

Mme Prada Bordenave
Commissaire du gouvernement

Séance du 28 mai 2003
Lecture du 18 juin 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-section réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 septembre 2000 et 8 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE (AFUR) DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET, dont le siège est Mairie annexe du Cap-Ferret 12, avenue de l’Océan à Lège-Cap-Ferret (33950), M. Pascal L., Mme Véronique L. ; l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et M. et Mme L. demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 29 juin 2000 de la cour administrative d’appel de Bordeaux en tant que la cour a rejeté leur demande tendant à l’annulation du jugement du 29 mai 1997 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur requête tendant à l’annulation de l’arrêté du 14 mars 1996 du préfet de la Gironde qui a déclaré cessibles les terrains appartenant à ses membres ;

2°) de condamner l’Etat et le conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres à leur verser une somme de 15 000 F (2 286,74 euros) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu la loi n° 75-602 du 10 juillet 1975 portant création du conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres ;

Vu la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;

Vu le décret du 18 décembre 1927 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Devys, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et de M. et Mme L. et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres,
- les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et M. et Mme L. ont excipé, à l’encontre de l’arrêté du 14 mars 1996 déclarant cessibles les terrains appartenant aux membres de cette association, de l’illégalité de l’arrêté du 14 juin 1994 par lequel le préfet de la Gironde a déclaré d’utilité publique l’opération d’acquisition de ces terrains, au motif, d’une part, que l’existence même de l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET, dont l’objet était notamment la réalisation des travaux de restauration et de protection des dunes, rendait inutile le recours à une expropriation, dès lors que le préfet, en cas de carence de l’association, pouvait obtenir les mêmes résultats par ses pouvoirs de mise en demeure, d’autre part, que la prétendue défaillance de l’association ne pouvait conférer un intérêt public à l’opération d’expropriation litigieuse ; que la cour n’a pas répondu à ce moyen ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, l’arrêt attaqué doit être annulé ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut " régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie " ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler les affaires au fond ;

Considérant que les requêtes présentées par l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et par M et Mme L. présentent à juger des questions connexes et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la recevabilité des interventions :

Considérant que Mme S. et autres ne justifient pas d’un intérêt à se joindre à la requête de M. et Mme L. dirigée contre l’arrêté de cessibilité du 14 mars 1996 en tant qu’il prononce la cessibilité des seules parcelles de ces derniers ; qu’ils sont donc sans qualité pour intervenir dans l’instance formée par M et Mme L. contre le jugement du 29 mai 1997 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de ces derniers ; que, par suite, leur intervention ne peut être admise ;

Sur les moyens tirés de l’illégalité de l’arrêté du 14 juin 1994 déclarant d’utilité publique l’acquisition de terrains situés dans le secteur dunaire des "ensablés" à Lège-cap-Ferret :

Considérant que si l’article R. 11-14-10 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique impose au commissaire enquêteur d’informer le préfet de son intention de visiter les lieux afin de lui permettre d’avertir au moins quarante-huit heures à l’avance les propriétaires et occupants de cette visite, cette disposition ne concerne que les visites nécessitant l’entrée du commissaire enquêteur dans des propriétés privées à l’exception des locaux d’habitation ; qu’elle ne s’applique pas à la visite des lieux publics libres d’accès ; que, s’il est constant que le commissaire enquêteur a procédé à la visite des lieux soumis à enquête en pénétrant dans des lieux publics libres d’accès, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il ait dû entrer dans des propriétés privées ; qu’ainsi le moyen tiré de l’absence d’information préalable du préfet ne saurait être accueilli ;

Considérant qu’il résulte de l’article R. 11-14-14 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique qu’à l’expiration du délai d’enquête, le commissaire enquêteur entend toute personne qu’il lui paraît utile de consulter ainsi que l’expropriant s’il le demande ; que les observations de l’expropriant formulées à cette occasion peuvent prendre la forme écrite ; qu’ainsi, le commissaire enquêteur a pu reprendre certains éléments d’une note produite par le conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres dans son rapport d’enquête et dans ses conclusions sans méconnaître les dispositions de l’article R. 11-14-14 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ; que, par ailleurs, la circonstance que, dans ses conclusions, le commissaire enquêteur se soit approprié certaines observations produites par le bénéficiaire de l’expropriation n’est pas de nature à entacher son avis d’un défaut de motivation ou d’un manquement à son obligation d’impartialité, dès lors qu’il ressort du dossier qu’il a formulé un avis personnel et circonstancié ;

Considérant que le dossier soumis à l’enquête publique comporte l’estimation sommaire du coût des acquisitions foncières ; que, par suite, le moyen tiré de l’insuffisance du dossier d’enquête manque en fait ;

Considérant que l’opération que la déclaration d’utilité publique avait pour objet de permettre n’était incompatible avec aucune disposition du plan d’occupation des sols ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que l’enquête publique préalable à l’arrêté du 14 juin 1994 aurait dû également porter sur la mise en conformité du plan d’occupation des sols de la commune de Lège-Cap-Ferret doit être écarté ;

Considérant qu’une opération ne peut être légalement reconnue d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social qu’elle comporte, ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ;

Considérant qu’aux termes de l’article 44 de la loi du 2 février 1995 dont les dispositions ont été reprises à l’article L. 243-1 du code de l’environnement, le conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres a pour mission de mener, dans les cantons côtiers, "une politique de sauvegarde de l’espace littoral, de respect des sites naturels et de l’équilibre écologique... " ; qu’il résulte de l’article 2 de la loi du 10 juillet 1975, dont les dispositions ont été reprises à l’article L. 243-2 du code de l’environnement, que, pour la réalisation de ces objectifs, "l’établissement public peut procéder à toutes opérations foncières... Il peut exproprier tous droits immobiliers... " ;

Considérant qu’eu égard aux objectifs poursuivis par le conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, à la protection particulière dont bénéficient les terrains dont il se rend propriétaire, et à l’intérêt écologique que représente la zone de dunes du Cap-Ferret, à la fragilité de cette zone et au risque d’ensablement de zones urbanisées en raison de l’avancée des dunes, l’acquisition des terrains concernés revêt en elle-même un caractère d’utilité publique ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET, qui regroupe la majorité des propriétaires concernés par l’opération litigieuse, a été créée en 1977 pour permettre le remembrement de parcelles, la modification des droits de propriété, ainsi que la réalisation des travaux d’aménagement et d’équipement nécessaires afin de permettre la constructibilité des terrains ; que la seule circonstance que des travaux de stabilisation des dunes pouvaient être réalisés par ladite association, soit à son initiative soit, en cas de carence de sa part, à l’initiative du préfet, qui dispose du pouvoir de la mettre en demeure d’exécuter les travaux relevant de son objet, ne peut avoir pour effet de retirer son utilité publique à l’opération litigieuse, dès lors que cette opération a un objectif, notamment d’ordre écologique, plus large que celui poursuivi par l’association ; qu’ainsi, si la défaillance de l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET ne pouvait conférer par elle-même un intérêt public à l’expropriation des terrains nécessaires aux aménagements relevant de l’association, le fait que l’opération litigieuse porte notamment sur les terrains situés dans le périmètre de l’association et qu’une partie des travaux de stabilisation aurait pu être réalisée par cette association ne saurait retirer son utilité publique à l’opération en cause ;

Considérant que le coût de l’acquisition des terrains et la réalisation des travaux ne sauraient être regardés comme excessifs, eu égard à l’utilité publique que revêt l’opération de stabilisation des dunes ; que l’atteinte à la propriété privée doit être appréciée compte tenu des effets de l’inscription en 1992 du secteur en zone de risque naturel, laquelle a rendu inconstructibles les terrains concernés ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le périmètre des surfaces à exproprier comprenne des parcelles qui ne seraient pas nécessaires à l’opération de stabilisation des dunes ; qu’ainsi, eu égard à l’utilité publique qui s’attache à la stabilisation du massif dunaire et à la préservation de cet espace naturel, l’atteinte portée à la propriété privée et le coût prévu de l’opération ne sont pas de nature à retirer son utilité publique au projet ; que, par suite, le moyen tiré du détournement de pouvoir ne peut qu’être écarté ;

Considérant que l’arrêté du 14 juin 1994 n’a pas modifié l’objet de l’association foncière urbaine ; qu’ainsi le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure prévue par les dispositions du décret du 18 décembre 1927 manque en fait ;

Sur les vices propres à l’arrêté de cessibilité du 14 mars 1996 :

Considérant qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que les titulaires de droits réels immobiliers existant sur un immeuble à exproprier doivent figurer sur l’arrêté de cessibilité ; qu’ainsi, l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET, qui n’était propriétaire d’aucun des terrains concernés et n’était titulaire que d’hypothèques, n’avait pas à figurer dans la liste prévue à l’article R. 11-19 et à être rendue de ce fait destinataire de l’avis du dépôt du dossier d’enquête parcellaire en mairie ; que, par ailleurs, elle a pu avoir connaissance du dépôt de ce dossier en mairie, dans la mesure où les propriétaires qui sont membres de cette association ont tous été rendus destinataires de l’avis en informant ; que, dès lors le moyen tiré de la violation des articles L. 11-8, R. 11-19 et R. 11-22 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique n’est pas fondé ;

Considérant qu’en émettant, à l’issue de l’enquête parcellaire, un avis favorable à la cessibilité des terrains en cause, le commissaire-enquêteur a implicitement mais nécessairement émis un avis sur l’emprise des ouvrages projetés ; qu’ainsi, le moyen tiré de la violation des dispositions de l’article R. 11-25 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique doit être écarté ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’arrêté de cessibilité mentionne toutes les parcelles à exproprier ; que sa notification à chacun des propriétaires concernés pouvait légalement intervenir par extrait individuel ne mentionnant que les parcelles appartenant au destinataire de la notification ; qu’ainsi, le moyen tiré de la violation de l’article R. 11-28 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique doit être écarté ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d’une part, que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat et le conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, qui ne sont pas, dans la présente affaire, les parties perdantes, soient condamnés à verser à l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et à M. et Mme L. la somme qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

Considérant, d’autre part, qu’il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et M. et Mme L. à verser au conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :


Article 1er : L’intervention de Mme S. et autres n’est pas admise.

Article 2 : L’arrêt en date du 29 juin 2000 de la cour administrative d’appel de Bordeaux est annulé en tant qu’il a rejeté les demandes de l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et de M. et Mme L. tendant à l’annulation des jugements du 29 mai 1997 du tribunal administratif de Bordeaux.

Article 3 : Les requêtes présentées par l’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et par M. et Mme L. devant la cour administrative d’appel de Bordeaux sont rejetées.

Article 4 : L’ASSOCIATION FONCIERE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET et M. et Mme L. verseront au conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres une somme globale de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION FONCIÈRE URBAINE DES TERRAINS ENSABLES DU CAP-FERRET, à M. Pascal L., à Mme Véronique L. et autres, au conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, au ministre de l’écologie et du développement durable et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

 


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