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Conseil d’Etat, 1er mars 2004, n° 258505, Joseph S.-J.

Si l’obligation résultant des dispositions de l’article L. 600-4-1 du Code de l’urbanisme s’impose au juge saisi, en première instance ou en appel, de conclusions tendant à l’annulation ou à la suspension d’un acte intervenu en matière d’urbanisme, elle est sans incidence sur l’office du juge de cassation, auquel il appartient seulement de vérifier, d’une part, que le juge soumis à son contrôle ne s’est pas soustrait à cette obligation, d’autre part, que l’un au moins des moyens reconnus comme fondés par la décision qui lui est déférée justifie légalement le dispositif de cette dernière.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 258505

M. S.-J.

M. Campeaux
Rapporteur

M. Olson
Commissaire du gouvernement

Séance du 16 février 2004
Lecture du 1er mars 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 juillet et 30 juillet 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Joseph S.-J. ; M. S.-J. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 20 juin 2003 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, à la demande de M. Jean-Claude Gachet et de l’Association de protection du patrimoine de Megève, a suspendu l’exécution de l’arrêté du 28 mars 2003 par lequel le maire de Megève lui a accordé un permis de construire un ensemble à usage agricole et d’habitation ;

2°) de rejeter la demande de suspension de cet arrêté présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble par M. Gachet et l’Association de protection du patrimoine de Megève ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Campeaux, Auditeur,
- les observations de la SCP Boutet, avocat de M. S.-J., de Me Ricard, avocat de la commune de Megève et de la SCP Gatineau, avocat de l’association de protection du patrimoine de Megève,
- les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a suspendu, à la demande de l’Association de protection du patrimoine de Megève et de M. Jean-Claude Gachet, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’exécution de l’arrêté du maire de Megève du 28 mars 2003 accordant à M. S.-J. un permis de construire un ensemble à usage agricole et d’habitation ;

Sur l’intervention de la commune de Megève :

Considérant que la commune de Megève, qui était partie à l’instance devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, avait qualité pour se pourvoir en cassation contre l’ordonnance attaquée ; que, dès lors, son intervention n’est pas recevable ; qu’à supposer qu’elle doive être regardée comme un pourvoi en cassation présenté par la commune, celui-ci, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 18 août 2003, soit après l’expiration du délai de recours contentieux, serait tardif et, par suite, irrecevable ;

Sur les conclusions de M. S.-J. :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l’objet de l’Association de protection du patrimoine de Megève est notamment, aux termes de ses statuts, la défense et la protection des sites et la sauvegarde de l’environnement et du cadre de vie de cette commune ; qu’en estimant qu’un tel objet lui donnait intérêt pour demander la suspension de l’exécution d’un permis de construire délivré sur le territoire de cette commune, le juge des référés n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce ;

Considérant qu’en jugeant que le projet de construction autorisé par le permis litigieux était situé "à quelques dizaines de mètres" de la propriété de M. Gachet, le juge des référés a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, qui n’est pas susceptible d’être discutée devant le juge de cassation ; qu’il a pu en déduire, sans commettre d’erreur de droit, que cette situation conférait à M. Gachet un intérêt lui donnant également qualité pour demander la suspension de l’exécution du permis de construire délivré à M. S.-J. ;

Considérant que, lorsque la demande d’annulation d’une décision administrative faisant l’objet d’une demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative est irrecevable, il appartient au juge des référés, saisi en défense d’un moyen tiré de cette irrecevabilité, de rejeter la demande de suspension ; qu’il doit soulever d’office un tel moyen dans le cas où l’irrecevabilité des conclusions aux fins d’annulation ressort des pièces du dossier qui lui est soumis et n’est pas susceptible d’être couverte en cours d’instance ; qu’au surplus, au cas où il ordonne la suspension de l’exécution de la décision litigieuse, toute personne intéressée peut, si elle s’y croit fondée, lui demander, sur le fondement de l’article L. 521-4 du code de justice administrative, de mettre fin à cette suspension en invoquant l’irrecevabilité de la demande d’annulation ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. S.-J. n’est pas fondé à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a commis une erreur de droit en ordonnant la suspension du permis de construire litigieux sans vérifier que les recours en annulation de ce permis avaient été régulièrement notifiés par leurs auteurs respectifs en application de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, alors qu’il n’était saisi d’aucun moyen en ce sens et que cette irrecevabilité ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui était soumis ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme : "Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime susceptibles de fonder l’annulation ou la suspension, en l’état du dossier" ; que si l’obligation résultant des dispositions précitées s’impose au juge saisi, en première instance ou en appel, de conclusions tendant à l’annulation ou à la suspension d’un acte intervenu en matière d’urbanisme, elle est sans incidence sur l’office du juge de cassation, auquel il appartient seulement de vérifier, d’une part, que le juge soumis à son contrôle ne s’est pas soustrait à cette obligation, d’autre part, que l’un au moins des moyens reconnus comme fondés par la décision qui lui est déférée justifie légalement le dispositif de cette dernière ;

Considérant que pour ordonner la suspension de l’exécution du permis de construire délivré à M. S.-J., le juge des référés a jugé, en application des dispositions précitées, que six moyens invoqués par les requérants étaient de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision ; que M. S.-J. soutient en cassation que le juge des référés a commis diverses erreurs de droit ou de fait en regardant comme de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité du permis de construire, les moyens tirés de l’insuffisance du traitement des accès et des abords dans le document graphique joint à la demande de permis, en méconnaissance des prescriptions du 6° de l’article R. 421-2 du code de l’urbanisme, du défaut de consultation du conseil municipal pour la modification de l’accès à la voie publique, en violation de l’article R. 421-15 de ce code, de la méconnaissance de l’article NC 6 du règlement du plan d’occupation des sols de la commune de Megève relatif à la distance requise entre les constructions et les pistes d’évolution des skieurs, et enfin de la violation des articles R. 111-2 et R. 111-4 du code de l’urbanisme en raison des risques liés à la proximité de la piste de l’Auguille, tant pour la sécurité publique que pour celle des usagers de la voie publique ou des accès à la construction autorisée ; que, cependant, M. S.-J. ne conteste pas le motif de l’ordonnance, qui suffit à justifier le dispositif de celle-ci, fondé sur ce qu’était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire le moyen tiré de l’absence de titre du pétitionnaire pour élargir la voie d’accès à la construction projetée ; que, dans ces conditions, le pourvoi ne peut qu’être rejeté sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens dirigés contre l’ordonnance attaquée en tant qu’elle désigne d’autres moyens de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner M. S.-J. et la commune de Megève à verser conjointement à l’Association de protection du patrimoine de Megève une somme globale de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’intervention de la commune de Megève n’est pas admise.

Article 2 : La requête de M. S.-J. est rejetée.

Article 3 : M. S.-J. et la commune de Megève verseront à l’Association de protection du patrimoine de Megève une somme globale de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Joseph S.-J., à la commune de Megève, à M. Jean-Claude Gachet, à l’Association de protection du patrimoine de Megève et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

 


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