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Conseil d’Etat, 16 février 2004, n° 219516, Jean de W. T.

Lorsqu’un fermier conteste devant le tribunal paritaire des baux ruraux le congé qu’il a reçu pour reprise de terres par leur propriétaire et que cette reprise a donné lieu à autorisation au titre du contrôle des structures des exploitations agricoles, cette juridiction est tenue de surseoir à statuer sur la validation du congé tant que l’autorisation préfectorale n’est pas devenue définitive.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 219516

M. de W. T.

Mme de Salins
Rapporteur

M. Stahl
Commissaire du gouvernement

Séance du 26 janvier 2004
Lecture du 16 février 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mars et 31 juillet 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean de W. T. ; M. de W. T. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 3 février 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif d’Amiens qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 215 520 F (32 855, 81 euros) en réparation du préjudice subi du fait de l’impossibilité d’exploiter les 5 ha 38 a 80 ca de terres sises à Rubescourt en raison de l’illégalité de l’arrêté du 14 décembre 1984 du préfet de la Somme l’autorisant à exploiter ses terres ;

2°) statuant au fond, de condamner l’Etat à lui verser une indemnité de 304 050 F (46 352, 12 euros) ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 15 000 F (2 286, 74 euros) au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code rural ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme de Salins, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat de M. de W. T.,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme de W. T., qui souhaitait reprendre au profit de son fils, M. Jean de W. T., des terres données à bail à M. François, a donné congé à ce dernier avec effet au 1er octobre 1985 ; que M. François a, d’une part, contesté ce congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux et, d’autre part, attaqué pour excès de pouvoir, devant le tribunal administratif d’Amiens, l’autorisation d’exploitation délivrée à M. de W. T. par un arrêté du préfet de la Somme du 14 décembre 1984 ; qu’en application des dispositions de l’article L. 411-58 du code rural, le tribunal paritaire des baux ruraux a sursis à statuer sur le congé contesté, dans l’attente d’une décision définitive des juridictions administratives sur l’arrêté du préfet de la Somme ; que, par décision en date du 24 mars 1995, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêté pour incompétence ; que M. de W. T. a demandé la condamnation de l’Etat à réparer les conséquences dommageables de la décision illégale du préfet ainsi que de la faute résultant du caractère anormalement long de la procédure suivie devant la juridiction administrative pour statuer sur la requête de M. François ; que, par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel de Douai a rejeté l’appel formé par M. de W. T. contre le jugement par lequel le tribunal administratif d’Amiens avait refusé de faire droit à cette demande ;

Sur le préjudice découlant de l’illégalité du préfet de la Somme :

Considérant que, si l’illégalité de la décision du préfet a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat à l’égard de M. de W. T., celui-ci n’est en droit d’en obtenir réparation que pour autant qu’il en est résulté pour lui un préjudice direct et certain ;

Considérant, d’une part, qu’il résulte des dispositions de l’article L. 411-58 du code rural que, lorsqu’un fermier conteste devant le tribunal paritaire des baux ruraux le congé qu’il a reçu pour reprise de terres par leur propriétaire et que cette reprise a donné lieu à autorisation au titre du contrôle des structures des exploitations agricoles, cette juridiction est tenue de surseoir à statuer sur la validation du congé tant que l’autorisation préfectorale n’est pas devenue définitive ; que, dès lors, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’impossibilité dans laquelle M. de W. T. s’est trouvé d’exploiter les terres en cause trouvait son origine dans l’action entreprise par le preneur évincé devant le tribunal paritaire des baux ruraux en vue de faire échec à la reprise des terres qu’il exploitait et dans l’obligation, faite à cette juridiction par la loi, de surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative se soit définitivement prononcée sur l’autorisation préfectorale ;

Considérant, d’autre part, qu’en jugeant que, même si la décision du préfet n’avait pas été illégale, le preneur aurait pu la contester et en estimant qu’à l’issue de la procédure, M. de W. T. aurait atteint un âge qui ne lui permettait plus d’entreprendre l’exploitation des terres en cause, la cour s’est livrée à une appréciation souveraine qui, en l’absence de dénaturation, ne peut être discutée devant le juge de cassation ; qu’elle en a exactement déduit qu’en l’absence de lien direct de causalité entre la faute commise par le préfet et le dommage subi par M. de W. T., celui-ci ne pouvait obtenir la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice dont il se prévalait à ce titre ;

Sur le préjudice résultant de la longueur excessive de la procédure juridictionnelle :

Considérant qu’il résulte des stipulations de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lorsque le litige entre dans leur champ d’application, ainsi que, dans tous les cas, des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives, que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ;

Considérant que, pour écarter les conclusions de M. de W. T. fondées sur le caractère excessif de la procédure suivie devant la juridiction administrative, la cour administrative d’appel de Douai a jugé que la responsabilité de l’Etat ne pouvait être engagée en l’absence d’une faute lourde ; qu’en statuant ainsi, alors qu’une telle condition n’est pas applicable lorsque est en cause le droit des justiciables à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable, la cour a commis une erreur de droit ; que, par suite, M. de W. T. est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué, en tant qu’il se prononce sur ce point qui, contrairement à ce que soutient le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, et des affaires rurales, avait été invoqué devant les juges du fond ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que, au regard de l’objet de la requête enregistrée le 23 août 1985 au tribunal administratif d’Amiens à l’encontre de la décision du préfet, et sur laquelle ce tribunal a statué le 29 décembre 1989 avant que le Conseil d’Etat n’infirme ce jugement par la décision précitée du 20 février 1995, ainsi que des caractéristiques de la procédure suivie successivement devant ces deux juridictions, une durée totale de procédure de près de neuf ans et six mois pour statuer sur une requête qui ne présentait pas de difficulté particulière revêt un caractère excessif de nature, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, à engager la responsabilité de l’Etat ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’en prolongeant le délai pendant lequel l’effet du congé donné au preneur se trouvait suspendu par application des dispositions de l’article L. 411-58 du code, cette durée excessive a fait perdre à M. de W. T. une chance sérieuse d’exploiter les terres litigieuses à l’issue du délai raisonnable dans lequel aurait dû être jugée la contestation portée devant la juridiction administrative ; qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par le requérant en lui allouant à ce titre une somme de 5 000 euros ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. de W. T. est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté sa demande tendant, dans cette mesure, à une telle indemnisation ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai en date du 3 février 2000 est annulé, en tant qu’il statue sur le préjudice résultant de la longueur excessive de la procédure juridictionnelle.

Article 2 : L’Etat versera à M. de W. T. la somme de 5 000 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif d’Amiens en date du 17 décembre 1996 est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : L’Etat versera à M. de W. T. une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par M. de W. T. devant la cour administrative d’appel de Douai et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d’Etat sont rejetés.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Jean de W. T., au garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

 


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