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Conseil d’Etat, 28 juillet 1999, n° 141112, M. Griesmar

L’article L 12 b) du code des pensions civiles et militaires de retraite accorde aux femmes fonctionnaires une bonification pour chacun de leurs enfants. Le juge pose une question préjudicielle auprès de la Cour de justice des Communautés européennes sur la question de savoir si les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires sont au nombre des rémunérations visées à l’article 119 du traité CE qui prévoit l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes et, dans l’affirmative, si eu égard aux stipulations du paragraphe 3 de l’article 6 de l’accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale joint au traité sur l’Union européenne, selon lesquelles l’article 141 "ne peut empêcher un Etat membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à l’exercice d’une activité professionnelle par les femmes ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle", les dispositions de l’article L 12 b) du code des pensions civiles et militaires de retraite méconnaissent l’article 119.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 141112

M. GRIESMAR

M. de la Verpillière, Rapporteur

M. Lamy, Commissaire du gouvernement

Lecture du 28 Juillet 1999

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu le requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 7 septembre et 25 novembre 1992, présentés pour M. Joseph GRIESMAR ; M. GRIESMAR demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêté du 1er juillet 1991 lui concédant une pension de retraite en totalité ou en tant que ce titre ne prend pas en compte trois annuités au titre du b) de l’article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité de Rome instituant la communauté économique européenne devenue la communauté européenne ;

Vu le traité sur l’union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;

Vu la directive n° 76/207 (CEE) du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail ;

Vu la directive n° 79/7 (CEE) du Conseil du 19 décembre 1978 relative à lamise en oeuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ;

Vu la directive n° 86/378 (CEE) du Conseil du 24 juillet 1986 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. de la Verpillière, Conseiller d’Etat,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de M. GRIESMAR,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. GRIESMAR, magistrat, père de trois enfants, demande l’annulation de l’arrêté du 1er juillet 1991 qui lui a concédé une pension de retraite en tant que cet arrêté n’a validé que les annuités correspondant à ses années de services effectifs sans y ajouter la bonification prévue au b) de l’article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite au bénéfice des femmes fonctionnaires pour chacun de leurs enfants ;

Sur le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué n’est pas motivé :

Considérant qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose la motivation d’un arrêté concédant une pension de retraite civile ou militaire ; qu’ainsi, le moyen doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de ce que le b) de l’article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite méconnaîtrait le principe constitutionnel d’égalité entre les sexes :

Considérant qu’il n’appartient pas au Conseil d’Etat statuant au contentieux d’apprécier la conformité d’une loi à un principe de valeur constitutionnelle ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;

Sur le moyen tiré de l’incompatibilité du b) de l’article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, avec les objectifs de la directive n° 76/207 (CEE) du 19 février 1976 :

Considérant que le requérant ne saurait utilement se fonder sur la méconnaissance par le b) de l’article L 12 des objectifs de la directive n° 76/207/CEE du 19 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, qui ne traite pas des régimes de retraite ;

Sur les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 119 du traité de Rome, des objectifs de la directive n° 86/378 (CEE) du 24 juillet 1986 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale et des objectifs de la directive n° 79/7 (CEE) du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale :

Considérant, d’une part, que l’article 119 du traité, pour l’application duquel est intervenue la directive n° 86/378 (CEE) du 24 juillet 1986 précitée, stipule : "Chaque Etat membre assure au cours de la première étape, et maintient par la suite, l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail/ Par rémunération il faut entendre, au sens du présent article, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier/ L’égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d’une même unité de mesure ; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail" ; que, cependant, l’article 6 de l’accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale joint au traité sur l’union européenne, après avoir rappelé les règles fixées par l’article 119 du traité, précise en son paragraphe 3 que : "Le présent article ne peut empêcher un Etat membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par les femmes ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle" ;

Considérant, d’autre part, que l’article 4 de la directive n° 79/7 (CEE) du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale stipule que : "1 Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne : - le champ d’application des régimes et les conditions d’accès aux régimes, - l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations, - le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations. 2. Le principe de l’égalité de traitement ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme en raison de la maternité" ; que selon l’article 7 de la même directive : "1 La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les Etats membres d’exclure de son champ d’application : a) la fixation de l’âge de la retraite pour l’octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d’autres prestations ; b) les avantages accordés en matière d’assurance vieillesse aux personnes qui ont élevé des enfants ; l’acquisition de droits aux prestations à la suite de périodes d’interruption d’emploi dues à l’éducation des enfants ; () 2. Les Etats membres procèdent périodiquement à un examen des matières exclues en vertu du paragraphe 1, afin de vérifier, compte tenu de l’évolution sociale en la matière, s’il est justifié de maintenir les exclusions en question" ;

Considérant que M. GRIESMAR soutient que le b) de l’article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, en tant qu’il réserve aux femmes le bénéfice de la bonification pour enfants qu’il institue, serait contraire au principe, qui figure à l’article 119 du traité de Rome, de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail ; que, selon lui, ces dispositions méconnaîtraient également les objectifs de la directive n° 79/7 (CEE) du 19 décembre 1978, notamment celui qu’énonce son article 4 ; Considérant que la réponse à ces moyens dépend de la question de savoir : 1°) si les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires sont au nombre des rémunérations visées à l’article 119 du traité de Rome, devenu l’article 141 du traité instituant la communauté européenne ; dans l’affirmative, eu égard aux stipulations du paragraphe 3 de l’article 6 de l’accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale, si le principe de l’égalité des rémunérations est méconnu par les dispositions du b) de l’article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; 2°) si, dans l’hypothèse où l’article 119 du traité de Rome ne serait pas applicable, les dispositions de la directive n° 79/7 (CEE) du 19 décembre 1978 font obstacle à ce que la France maintienne des dispositions telles que celles du b) de l’article L 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Considérant que ces questions soulèvent une contestation sérieuse ; qu’il y a lieu, par suite, en application des stipulations de l’article 177 du traité de Rome, devenu l’article 234 du traité instituant la communauté européenne, de surseoir à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice des communautés européennes se soit prononcée sur ces questions préjudicielles ;

D E C I D E :

Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête de M. GRIESMAR jusqu’à ce que la Cour de justice des communautés européennes se soit prononcée sur les questions suivantes :

1° Les pensions servies par le régime français de retraite des fonctionnaires sont-elles au nombre des rémunérations visées à l’article 119 du traité de Rome (article 141 du traité instituant la communauté européenne) ? Dans l’affirmative, eu égard aux stipulations du paragraphe 3 de l’article 6 de l’accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale, le principe de l’égalité des rémunérations est-il méconnu par les dispositions de l’article L 12 b) du code des pensions civiles et militaires de retraite ?

2° Dans l’hypothèse où l’article 119 du traité de Rome ne serait pas applicable, les dispositions de la directive n° 79/7 (CEE) du 19 décembre 1978 font-elles obstacle à ce que la France maintienne des dispositions telles que celles de l’article L 12 b) du code des pensions civiles et militaires de retraite ?

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Joseph GRIESMAR, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au ministre de la fonction publique, de la réforme de l’Etat et de la décentralisation.

 


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