format pour impression
(imprimer)

DANS LA MEME RUBRIQUE :
Conseil d’Etat, 29 juillet 2002, n° 234591, M. Daniel P.
Conseil d’Etat, 14 novembre 2008, n° 307365, Céline B. et autres
Conseil d’Etat, 3 décembre 2003, n° 223569, M. Daniel G.
Conseil d’Etat, 25 juin 2003, n° 236090, M. Pierre D.
Conseil d’Etat, 10 mars 2004, n° 250500, Christian B.
Conseil d’Etat, 30 avril 2003, n° 245751, SARL "La Nuit Bleue" et autres
Conseil d’Etat, 12 janvier 2004, n° 248702, Jacques C.
Conseil d’Etat, 5 juin 2002, n° 227373, M. Joseph B.
Conseil d’Etat, Section, 30 décembre 2003, n° 243943, Mme Catherine M.
Conseil d’Etat, 14 mars 2003, n° 251532, M. Jean L.




Conseil d’Etat, 8 mars 2002, n° 230829 et 230833, Ordre des avocats à la Cour de Paris et Conseil national des Barreaux

En permettant de donner des consultations et de rédiger des actes dans le domaine de la gestion du patrimoine, alors même qu’elles justifieraient de 5 ans d’expérience professionnelle, à des personnes seulement titulaires d’une capacité en droit, du diplôme de premier cycle des écoles de notariat, qui n’équivalent pas à une formation de plus de deux ans après le baccalauréat et à celles qui disposent d’un diplôme de ce dernier niveau, mais dans le seul domaine de la gestion, le garde des sceaux, ministre de la justice, ne peut être regardé comme ayant respecté l’exigence, posée à ce texte, d’une compétence juridique appropriée.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N°s 230829 230833

ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS
CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

Mlle Vialettes, Rapporteur

M. Lamy, Commissaire du gouvernement

Séance du 7 novembre 2001

Lecture du 8 mars 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu, 1°) sous le n° 230829, la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 28 février 2001, présentée par l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS, représenté par le bâtonnier en exercice. dont le siège est 11, place Dauphine, à Paris, (75053) ; L’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS demande que le Conseil d’Etat :

1) annule pour excès de pouvoir l’arrêté du 19 décembre 2000 du garde des sceaux, ministre de la justice, conférant l’agrément prévu à l’article 54-1° de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques aux conseils en gestion de patrimoine ;

2) condamne l’Etat à lui verser la somme de 19.678,71 F (soit 3 000 euros) au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu, 2°), sous le n° 230833, la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 28 février 2001, présentée par le CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, représenté par son président en exercice, dont le siège est 23, rue de la Paix à Paris (75002) ; le CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX demande que le Conseil d’Etat :

1) annule pour excès de pouvoir l’arrêté du 19 décembre 2000 du garde des sceaux, ministre de la justice, conférant l’agrément prévu par l’article 54-1° de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques aux conseils en gestion de patrimoine ;

2) condamne l’Etat à lui verser la somme de 5 000 F au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de l’éducation ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques modifiées ;

Vu le décret n° 97-875 du 24 septembre 1997 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Violettes, Auditeur,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS et du CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX sont dirigées contre le même arrêté ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant que la compagnie nationale des professionnels du patrimoine et la confédération nationale des avocats ont intérêt respectivement au maintien et à l’annulation de l’arrêté attaqué ; qu’ainsi leurs interventions sont recevables ;

Considérant qu’aux termes de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : "Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui", notamment, "s’il n’est titulaire d’une licence en droit ou s’il ne justifie. à défaut, d’une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d’actes en matière juridique..." ; qu’en vertu du même texte, cette "compétence juridique appropriée" résulte pour les activités non réglementées visées à l’article 60 de la même loi. d’un agrément donné pour la pratique du droit à titre accessoire de cette activité, "par un arrêté pris après avis d’une commission qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d’expérience juridique exigées" ;

Considérant que par l’arrêté attaqué le garde des sceaux, ministre de la justice, a accordé l’agrément aux conseils en gestion de patrimoine qui, soit possèdent certains diplômes, notamment de troisième cycle, en droit ou en gestion de patrimoine, soit possèdent des diplômes d’un rang inférieur mais justifient d’une expérience professionnelle "dans le domaine du droit général et fiscal du patrimoine" d’une durée au moins égale à 5 ans ;

Sur la légalité externe de l’arrêté attaqué :

Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’ensemble des dispositions de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 que la décision d’habiliter sous conditions les personnes exerçant une des activités non réglementés visés à l’article 60 à pratiquer le droit à titre accessoire de cette activité, relève de la compétence du garde des sceaux, ministre de la justice, et non de la compétence conjointe de ce dernier et du ministre chargé de l’éducation ;

Considérant, d’autre part, que Mme Raingeard de la Blétière, directrice des affaires civiles et du sceau, signataire de l’arrêté, avait reçu, par arrêté du 24 octobre 2000, publié au Journal officiel du 27 octobre suivant, délégation du garde des sceaux, ministre de la justice, pour signer en son nom "tous arrêtés, actes et décisions ressortissant à ses attributions, à l’exclusion des décrets" ;

Considérant, enfin, qu’il ressort des pièces du dossier que l’arrêté attaqué a été pris après avis, rendu le 18 novembre 1999, de la commission prévue par l’article 54 de la loi du 31 décembre1971 : que la circonstance que, contrairement à ce qui est prévu au 6ème alinéa du 1° du même article 54, cet avis n’ait pas été rendu dans les trois mois de la saisine de la commission par la compagnie nationale des professionnels du patrimoine et par l’association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine, est sans incidence sur la régularité de la procédure d’élaboration de cet arrêté ; que la commission a été régulièrement saisie pour avis de la situation, au regard de l’article 54, des personnes qui exercent l’activité non réglementée de conseil en gestion de patrimoine ; que les autres moyens avancés pour critiquer cette procédure consultative ne sont assortis d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien fondé ;

Sur la légalité interne de l’arrêté attaqué :

Considérant, en premier lieu, que l’arrêté attaqué n’a pas pour objet de définir les obligations professionnelles qui incombent aux conseils en gestion de patrimoine qui bénéficient de l’agrément, et que son auteur ne tenait de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 aucune habilitation à cet effet ; qu’ainsi ne peut qu’être écarté le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué n’assujettit pas les intéressés à l’obligation d’assurance, à l’interdiction du démarchage et de la publicité et au secret professionnel ; que, d’ailleurs, ces obligations s’imposent aux personnes habilitées à donner des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous seing privé, pour autrui, de manière habituelle et rémunérée, en vertu des articles 55 et 66-4 de la loi qui rappellent notamment l’obligation de respecter le secret professionnel conformément aux dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ;

Considérant, en second lieu, qu’en vertu de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971, l’agrément est donné aux personnes qui exercent une même activité non réglementée visée à l’article 60 sous réserve de satisfaire aux conditions de qualification ou d’expérience juridique qu’il édicte ; que par suite, si le décret du 24 septembre 1997 prévoit que la procédure d’agrément implique une saisine de la commission par les personnes morales habilitées à représenter l’activité professionnelle non réglementée en cause, les requérants ne sont pas fondés à en déduire que l’agrément ne pourrait qu’être réservé aux seuls adhérents desdites personnes morales ;

Considérant, enfin, que l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS et le CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX soutiennent que les conditions mises par l’arrêté attaqué à la pratique de la consultation juridique et de la rédaction d’actes par les conseils en gestion de patrimoine ne permettraient pas de garantir qu’ils possèdent la compétence juridique appropriée exigée par l’article 54 de la loi ; qu’il est soutenu, en particulier, que les diplômes prévus seraient insuffisants et que l’expérience professionnelle exigée serait trop limitée ;

Considérant qu’en estimant que les titulaires d’un diplôme d’études approfondies ou d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en droit, d’une maîtrise en droit, d’un diplôme du 3ème cycle en gestion du patrimoine, de celui de premier clerc de notaire ou d’un mastère en gestion de patrimoine d’une école supérieure de commerce reconnu par la conférence des grandes écoles disposent de la compétence juridique appropriée pour la consultation juridique relevant directement de l’activité de gestion du patrimoine et pour la rédaction d’actes sous seing privé qui en constituent l’accessoire nécessaire, dans les termes de l’article 60 de la loi, le garde des sceaux, ministre de la justice, n’a pas entaché son arrêté d’une erreur d’appréciation ; qu’il en va de même des personnes qui, justifiant d’une expérience professionnelle de 5 ans dans le domaine du droit général et fiscal du patrimoine, possèdent un diplôme d’études universitaires générales de droit, un brevet de technicien supérieur ou un diplôme universitaire de technologie du secteur juridique ;

Considérant, en revanche, qu’en permettant de donner des consultations et de rédiger des actes dans le domaine de la gestion du patrimoine, alors même qu’elles justifieraient de 5 ans d’expérience professionnelle, à des personnes seulement titulaires d’une capacité en droit, du diplôme de premier cycle des écoles de notariat, qui n’équivalent pas à une formation de plus de deux ans après le baccalauréat et à celles qui disposent d’un diplôme de ce dernier niveau, mais dans le seul domaine de la gestion, alors d’ailleurs que la commission prévue au 1° de l’article 54 de la loi avait retenu, dans tous ces cas, une durée d’expérience professionnelle d’au moins 7 ans, le garde des sceaux, ministre de la justice, ne peut être regardé comme ayant respecté l’exigence, posée à ce texte, d’une compétence juridique appropriée ; que son arrêté doit donc, dans cette mesure, être annulé ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce de faire droit aux conclusions de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS et du CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX tendant à la condamnation de l’Etat à leur verser les sommes qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

Considérant que la confédération nationale des avocats, intervenante en demande, n’étant pas partie à la présente instance, les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Les interventions de la compagnie nationale des professionnels du patrimoine et de la confédération nationale des avocats sont admises.

Article 2 : L’article 1er de l’arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 19 décembre 2000, est annulé en tant qu’il accorde l’agrément prévu par l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 aux conseils en gestion de patrimoine titulaires d’une capacité en droit, du diplôme de premier cycle des écoles de notariat ou d’un diplôme sanctionnant une formation dans le domaine de la gestion de niveau au moins égal au niveau III et homologuée dans les conditions prévues par la loi d’orientation sur l’enseignement technologique du 16 juillet 1971.

Article 3 : L’Etat versera à l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS la somme de (19 678,71 F) 3 000 euros et au CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX celle de (5 000 F) 762.25 cures au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS et du CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la confédération nationale des avocats tendant au remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS, au CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, au garde des sceaux, ministre de la justice, à la compagnie nationale des professionnels du patrimoine et à la confédération nationale des avocats.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site