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Tribunal administratif de Paris, 29 mai 2001, n° 9811703/6, Mouvement de Légalisation Contrôlée c/ Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé

Le classement, par la convention sur les substances psychotropes, faite à Vienne le 21 février 1971, du tétrahydrocannabinol au tableau I de ces substances n’autorisant, aux termes de son article 7, qu’une utilisation « à des fins scientifiques ou à des fins médicales très limitées », n’a pas pour effet d’abroger le classement du cannabis comme substance stupéfiante.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

N° 9811703/6

Mouvement de Légalisation Contrôlée c/ Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé

M. Célérier, Rapporteur

M. Guedj, Commissaire du gouvernement

Audience du 3 mai 2001

Lecture du 29 mai 2001

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal Administratif de Paris,

Vu la requête, enregistrée le 9 juillet 1998, présentée pour l’association Mouvement de Légalisation Controlée (MLC), association représentée par son président, M. Caballero, dont le siège social est 59 avenue Victor Hugo, 75016 Paris, par Maître Illouz, avocat ; l’association demande que le Tribunal constate son illégalité et annule l’arrêté du 22 février 1990 par lequel le ministre de la santé a fixé la liste des substances classées comme stupéfiants, en tant qu’il y classe le cannabis, annule l’article R. 5181 du code de la santé publique et annule. la décision implicite par laquelle le directeur général de l’Agence du médicament a refusé de l’autoriser à importer du cannabis ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention unique sur les stupéfiants de 1961 ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 mai 2001 :

- le rapport de M. Célérier, premier conseiller,

- les observations de Me Illouz, avocat du requérant,

- et les conclusions de M. Guedj, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, le 8 janvier 1998, le président de l’association Mouvement de Légalisation Contrôlée a demandé à l’Agence du médicament de l’autoriser à importer dix kgs de cannabis à des fins thérapeutiques, pour le compte de membres de l’association utilisant le cannabis pour soulager les affections dont ils souffrent, à raison d’un kg par personne et par an ; qu’il a demandé, en outre, une subvention pour assurer le suivi socio-thérapeutique de l’expérience de distribution contrôlée d’herbe de cannabis à des fins médicales ; qu’était joint à la demande un protocole dit de suivi socio-thérapeutique ; que, parallèlement à cette demande du président de l’association, MM. Cola, Piketty, Robert et Maffait ont demandé une autorisation d’importation et d’usage d’un kg d’herbe de cannabis à des fins thérapeutiques en vue de soulager leurs souffrances et affections consécutives aux graves maladies dont ils sont atteints ; que leur demande s’inscrit dans le cadre de la demande d’importation de dix kgs présentée par l’association dont ils sont membres ;

Considérant que les conclusions de la requête doivent être regardées, d’une part, comme dirigées contre le refus implicite opposé par le directeur général de l’Agence du médicament à la demande d’autorisation d’importer du cannabis à des fins thérapeutiques et, d’autre part, comme tendant par la voie de l’exception à ce que soit constatée l’illégalité de l’article R. 5181 du code de la santé publique et de l’arrêté du 22 février 1990, en tant qu’il classe le cannabis sur la liste des substances classées comme stupéfiants, actes réglementaires en application desquels la décision attaquée a été prise ;

Considérant que la convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 a inscrit le cannabis aux tableaux I et IV ; que selon son article 2. 5. b), relatif aux stupéfiants du tableau IV considérés par la convention comme ayant des propriétés particulièrement dangereuses : « Les parties devront si, à leur avis, la situation dans leur pays fait que c’est là le moyen le plus approprié de protéger la santé publique, interdire (...) l’importation (...) la détention ou l’utilisation des stupéfiants du tableau IV à l’exception des quantités qui pourront être nécessaires exclusivement pour la recherche médicale et scientifique, y compris les essais cliniques avec les dits stupéfiants, qui devront avoir lieu sous la surveillance et le contrôle directs de la dite partie ou être subordonnés à cette surveillance et à ce contrôle » ; que selon l’article 4 de la même convention : « Les parties prendront les mesures législatives et administratives qui pourront être nécessaires : (...) c) Sous réserve des dispositions de la présente convention, pour limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques (...) l’importation, la distribution (...) l’emploi et la détention des stupéfiants » ;

Considérant que le classement, par la convention sur les substances psychotropes, faite à Vienne le 21 février 1971, du tétrahydrocannabinol au tableau I de ces substances n’autorisant, aux termes de son article 7, qu’une utilisation « à des fins scientifiques ou à des fins médicales très limitées », n’a pas pour effet d’abroger le classement du cannabis comme substance stupéfiante ;

Considérant qu’en raison de l’autorité supérieure que la convention internationale unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 a acquise sur la loi interne dès sa publication au Journal officiel du 22 mai 1969, l’Etat était tenu de classer le cannabis comme stupéfiant ;

Considérant que l’article L. 626 du code de la santé publique, issu de la loi du 31 décembre 1970, punit ceux qui auront contrevenu aux dispositions des décrets en Conseil d’Etat concernant notamment l’importation, la détention, l’offre d’acquisition et l’emploi des substances ou plantes classées comme vénéneuses par voie réglementaire ainsi que tout acte se rapportant à ces opérations ; que l’article L. 627 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable, punissait ceux qui auront contrevenu aux dispositions des décrets prévus à l’article précédent et concernant les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants par voie réglementaire ; qu’enfin l’article L. 628 punit ceux qui auront de manière illicite fait usage de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants ;

Considérant qu’aux termes de l’article R. 5149 du code de la santé publique, issu du décret du 29 décembre 1988 relatif aux substances et préparations vénéneuses et modifiant le code de la santé publique : « Sont comprises comme substances vénéneuses (...) les substances stupéfiantes » ; que l’article R. 5171, issu du même décret, dispose que : « Sont interdits, à moins d’une autorisation expresse, (...) l’emploi des substances classées comme stupéfiants (...) L’autorisation est donnée par le ministre chargé de la santé » ; qu’enfin aux termes de l’article R. 5181 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du même décret : « Sont interdits la production, la mise sur le marché, l’emploi et l’usage : 1° Du cannabis (...) 2° Des tétrahydrocannabinols (...) Des dérogations aux dispositions énoncées ci-dessus peuvent être accordées par le ministre de la santé, aux fins de recherche, de contrôle ou de fabrication de dérivés autorisés. Cependant, le ministre chargé de la santé, le ministre chargé de l’agriculture et le ministre chargé de l’industrie peuvent, par arrêté conjoint, autoriser la culture, l’importation et l’exportation de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes » ;

Considérant que le classement du cannabis comme stupéfiant, au sens de l’article L. 627 du code de la santé publique, alors applicable et de l’article L. 628 du même code, résulte directement de l’article R. 5181 précité du code dé la santé publique, introduit dans sa partie réglementaire par le décret du 29 décembre 1988, en conformité avec la convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 publiée par décret le 22 mai 1969 ; que, dès lors, en tout état de cause, le moyen tiré de l’illégalité de l’arrêté du 22 février 1990 pour incompétence de son auteur en tant qu’il classe le cannabis comme stupéfiant ne peut être utilement invoqué à l’encontre de la décision attaquée ;

Considérant que l’interdiction de l’usage du cannabis, par le décret du 29 décembre 1988, se justifie par le danger que sa consommation représente pour la santé publique, en raison, notamment, de son caractère psychoactif, des effets secondaires qu’il peut entraîner et du risque d’accoutumance ; que le gouvernement était tenu de le classer comme stupéfiant par la convention du 30 mars 1961 ; qu’il est vrai que la convention précitée laisse une marge d’appréciation aux Etats sur les mesures de contrôle à prendre ; que, conformément à l’article 2-5 de la convention, l’auteur du décret du 29 décembre 1988 a choisi l’interdiction de l’utilisation du cannabis, sauf dérogations accordées, notamment aux fins de recherche, laquelle doit avoir lieu dans les conditions réglementaires applicables ; que, compte tenu des précautions qui s’imposent en matière de protection de la santé publique, le pouvoir réglementaire ne pouvait autoriser l’utilisation à des fins thérapeutiques du cannabis qu’après s’être assuré de son innocuité ou du moins que ses avantages étaient supérieurs à ses inconvénients ; qu’eu égard à l’état des connaissances scientifiques en la matière, à la date du décret contesté, le gouvernement a pu estimer, sans erreur manifeste d’appréciation, que l’interdiction de toute utilisation était là le moyen le plus approprié de protéger la santé publique ; que, d’ailleurs, ce choix n’exprime pas une position de principe en la matière puisque depuis lors, compte tenu de l’évolution des connaissances scientifiques, le décret du 31 mars 1999 a modifié l’article R. 5181 du code de la santé publique en autorisant des cannabinoïdes de synthèse qui présentent des garanties médicales et qui peuvent être utiles pour le traitement anti-cancéreux et anti-sida ; que le décret du 29 décembre 1988 ne méconnaît en rien l’article L. 628 du code de la santé publique qui renvoie à un classement des stupéfiants, celui-ci ayant lieu « par voie réglementaire » selon L. 627 alors applicable ; qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’illégalité de l’article R. 5181, en tant qu’il interdit l’usage du cannabis, doit être écarté ;

Considérant que, comme il a été rappelé ci-dessus, en ce qui concerne l’emploi du cannabis, seule la recherche peut être autorisée sous l’empire du décret du 29 décembre 1988 ; que la recherche biomédicale doit respecter les dispositions du livre 11 bis du code de la santé publique ; que le protocole de suivi socio-thérapeutique de l’association, qui ne vise qu’à questionner les malades mais non à étudier scientifiquement le cannabis et demande au ministère une subvention égale au budget prévisionnel d’une année, ne remplit pas les conditions réglementaires exigées pour une recherche bio-médicale ; que, de plus, la finalité de la demande de l’association n’est pas tant la recherche que l’utilisation contrôlée du cannabis, ce qui reste interdit, qu’il résulte de ce qui précède que l’Agence du médicament n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant d’autoriser l’association Mouvement de Légalisation Contrôlée à importer du cannabis à des fins thérapeutiques ainsi qu’en refusant aux membres de l’association cette même autorisation ; qu’en tout état de cause, comme il a été rappelé ci-dessus, les malades peuvent, désormais, obtenir l’autorisation d’utiliser des cannabinoïdes de synthèse pour soulager leurs souffrances dans des conditions conformes aux impératifs de protection de la santé publique ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la requête doit être rejetée ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête susvisée est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié au Mouvement de Légalisation Contrôlée, à l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et au ministre chargé de la santé publique.

 


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