CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 209938
M. C.
M. Desrameaux, Rapporteur
M. Schwartz, Commissaire du gouvernement
Séance du 18 février 2002
Lecture du 13 mars 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 4ème et 6ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux
Vu, enregistrée le 29 juin 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’ordonnance du 23 juin 1999 par laquelle le président du tribunal administratif de Paris transmet au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de la justice administrative, le dossier de la requête de M. Maurice C. ;
Vu la requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 14 juin 1999, présentée par M. Maurice C., professeur des universités ; M. C. demande
1°) l’annulation pour excès de pouvoir des mesures de reclassement contenues dans les arrêtés des 20 juillet 1988, 5 février 1990, 2 mai 1990, 10 octobre 1990, 21 avril 1993, 19 mars 1996 et 22 février 1999 ;
2°) qu’il soit enjoint au ministre de l’éducation nationale, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard, de procéder à la reconstitution de carrière, en tenant compte de ses activités en France et en Belgique depuis 1970 ;
3°) la condamnation de l’Etat à lui verser une somme de 1 0321 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le Traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 39 ;
Vu décret n° 85-465 du 28 avril 1985 relatif aux règles de classement des personnes nommées dans les corps d’enseignants chercheurs des établissements d’enseignement supérieur et de la recherche relevant du ministre de l’éducation nationale,
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Desrameaux, Maître des Requêtes,
les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;
Sur la compétence du Conseil d’Etat
Considérant qu’aux termes de l’article R. 341-I du code de justice administrative : "Lorsque le Conseil d’Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence de premier ressort d’un tribunal administratif" ;
Considérant qu’eu égard à la connexité existant entre les conclusions de la requête de M. C. tendant à l’annulation, en tant qu’ils ne prennent pas en compte ses services effectués en France et en Belgique entre 1970 et 1982, d’une part, de l’arrêté du ministre de l’éducation nationale du 2 février 1999 le nommant dans le corps des professeurs des universités et, d’autre part, des arrêtés du 20 juillet 1988 le nommant maître de conférences stagiaire, du 5 février 1990 le titularisant dans ce corps, du 2 mai 1990, du 10 octobre 1990, du 21 avril 1993 et du 19 mars 1996 prononçant des avancements d’échelon, le Conseil d’Etat est compétent, en application des dispositions précitées du code de justice administrative, pour connaître en premier et dernier ressort de l’ensemble des conclusions dirigées contre ces décisions ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’aux termes de l’article 4 du décret susvisé du 26 avril 1985 : "Les personnes nommées dans un corps mentionné à l’article 1er du présent décret qui, avant leur nomination, avaient la qualité d’agent non titulaire de l’Etat, des collectivités locales ou de leurs établissements publics, sont classées à un échelon de corps déterminé en prenant en compte, sur la base des durées de service fixées pour l’avancement à l’ancienneté dans chacun des échelons du corps, une fraction de leur ancienneté de service dans les conditions prévues aux a (...) ci-après : a) Les services accomplis dans un emploi du niveau de la catégorie A sont retenus à raison de la moitié de leur durée jusqu’à douze ans et à raison des trois quarts au-delà de cette durée de douze ans (...)./ Les services pris en compte doivent avoir été accomplis de façon continue en qualité d’agent non titulaire" ;
Considérant que le ministre de l’éducation nationale s’est fondé sur les dispositions précitées pour refuser de prendre en compte les services accomplis par M. C. en Belgique en qualité de chercheur et de professeur des universités entre 1974 et 1982 et, par voie de conséquence, en raison de la discontinuité d’activité en résultant, ceux accomplis en France entre 1970 et 1973 ;
Considérant qu’aux termes de l’article 39 du traité instituant la Communauté européenne : "I. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la Communauté au plus tard après l’expiration de la période de transition. 2. Elle implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l’emploi la rémunération et les autres conditions de travail. 3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique : a) de répondre à des emplois effectivement offerts ; b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des Etats membres ; c) de demeurer, dans des conditions qui feront l’objet de règlements d’application établis par la Commission, sur le territoire d’un Etat membre, après y avoir occupé un emploi" ;
Considérant qu’il résulte de ces stipulations telles qu’elles ont été interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes notamment dans son arrêt du 23 février 1994 rendu dans l’affaire C. 419/92 que, lorsqu’un Etat membre prévoit, à l’occasion du recrutement du personnel, de prendre en compte des activités professionnelles antérieures exercées par les candidats au sein d’une administration publique, il ne peut, à l’égard des ressortissants communautaires, opérer de distinction selon que ces activités ont été exercées dans le service public de ce même Etat membre ou dans celui d’un autre Etat membre ;
Considérant qu’il suit de là que les dispositions précitées de l’article 4 du décret du 26 avril 198 qui prennent en compte, pour le classement des personnes recrutées dans l’enseignement supérieur, les services accomplis antérieurement en qualité d’agent non titulaire de l’Etat , des collectivités locales ou de leurs établissements, ne peuvent être regardées comme excluant la prise en compte de services de même nature lorsqu’ils ont été accomplis dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, que, dès lors, M. C. est fondé à soutenir qu’en excluant, à l’occasion des mesures de reclassement dont il a fait l’objet comme maître de conférences puis professeur des universités, la prise en compte des services de chercheur et de professeur accomplis par lui en Belgique entre 1974 et 1982 et, par voie de conséquence de ses services accomplis en France entre 1970 et 1973, le ministre de l’éducation nationale a fait une inexacte application de l’article 4 du décret du 26 avril 198 ; qu’il y a lieu, en conséquence, d’annuler les arrêtés attaqués ;
Sur les conclusions à fin d’injonction
Considérant que la présente décision implique seulement que le ministre de l’éducation réexamine les droits à reclassement de M. C. en tenant compte des services de la nature de ceux que mentionne l’article 4 du décret du 26 avril 1985 accomplis par l’intéressé de 1970 à 1982 ; qu’il y a lieu, en application de l’article L. 911-2 du code de justice administrative, de prescrire au ministre de procéder à ce réexamen dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à M. C. une somme de 1 570 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les arrêtés du 20 juillet 1988, du 5 février 1990, du 2 mai 1990, du 10 octobre 1990, du 21 avril 1993, du 19 mars 1996, du 22 février 1999 du ministre de l’éducation nationale sont annulés en tant qu’ils fixent les droits à reclassement de M. C.
Article 2 : Le ministre de l’éducation nationale réexaminera, dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision, les droits à reclassement de M. C. compte tenu des services effectués par lui entre 1970 et 1982.
Article 3 : L’Etat versera à M. C. la somme de 1 570 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Maurice C. et au ministre de l’éducation nationale.