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Conseil d’Etat, 3 décembre 2001, n° 216660, M V.

L’autorité administrative compétente peut, dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires applicables, fixer et modifier librement les dispositions statutaires applicables aux agents publics contractuels et notamment celles qui sont relatives aux conditions de leur rémunération.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 216660

M. V.

Mme Ducarouge, Rapporteur

M. Lamy, Commissaire du gouvernement

Séance du 7 novembre 2001

Lecture du 3 décembre 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

Vu la requête, enregistrée le 24 janvier 2000 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Jacques V ; M. V demande que le Conseil d’Etat annule pour excès de pouvoir la décision implicite en date du 15 janvier 2000 résultant du silence gardé par l’administration sur sa demande en date du 14 septembre 1999 tendant à obtenir l’abrogation des dispositions, concernant les non titulaires ingénieurs sur contrat, du décret n° 98-612 du 16 juillet 1998 fixant les conditions exceptionnelles d’intégration d’agents non titulaires du ministère de la défense dans des corps de fonctionnaires de catégorie A, celle du décret n° 88-541 du 4 mai 1988 relatif à certains agents sur contrat des services à caractère industriel ou commercial du ministère de la défense, celle de l’arrêté du 4 mai 1988 fixant les modalités de recrutement, le régime de rémunération et de déroulement de carrière des agents régis par le décret n° 88-541 du 4 mai 1988 relatif à certains agents sur contrat des services à caractère industriel ou commercial du ministère de la défense et celle de la décision n° 102099 DGA/D du 25 juillet 1990 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi du 7 octobre 1946 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, notamment son article 2 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, modifiée notamment par la loi n° 96-452 du 28 mai 1996, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat ;

Vu le décret n° 49-1378 du 3 octobre 1949 modifié fixant le statut des agents sous contrat du ministère de la défense ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ducarouge, Conseiller d’Etat,

- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;

Considérant que M. V a demandé le 14 septembre 1999 au Premier ministre d’abroger les dispositions du décret n° 98-612 du 16 juillet 1998 fixant les conditions exceptionnelles d’intégration d’agents non titulaires du ministère de la défense dans des corps de fonctionnaires de catégorie A en tant qu’elles concernent les non titulaires ingénieurs sur contrat, le décret n° 88-541 du 4 mai 1988 relatif à certains agents sur contrat des services à caractère industriel ou commercial du ministère de la défense, l’arrêté du 4 mai 1988 fixant les modalités de recrutement, le régime de rémunération et de déroulement de carrière des agents régis par le décret précité du même jour, ainsi que la « décision à caractère réglementaire » n° 102099 DGA/D du 25 juillet 1990 ;

Sur les conclusions dirigées contre le refus d’abroger la « décision à caractère réglementaire n° 102099 DGA/D du 25 juillet 1990 » :

Considérant que la prétendue décision dont M. V demande l’abrogation constitue une simple lettre d’information adressée par le directeur général de l’armement sur ses projets concernant la situation des ingénieurs civils sur contrat et les invitant à faire part de leurs observations ; que cette lettre ne présente pas le caractère d’une décision administrative faisant grief ; que M. V n’est, dès lors, pas recevable à en demander l’abrogation ;

Sur les conclusions dirigées contre le refus d’abroger le décret n° 88-541 du 4 mai 1988 l’arrêté du 4 mai 1988 et le décret n° 98-612 du 16 juillet 1998 :

En ce qui concerne le décret n° 88-541 du 4 mai 1988 relatif à certains agents sur contrat des services à caractère industriel ou commercial du ministère de la défense :

Considérant, en premier lieu, que l’autorité administrative compétente peut, dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires applicables, fixer et modifier librement les dispositions statutaires applicables aux agents publics contractuels et notamment celles qui sont relatives aux conditions de leur rémunération ; que, dès lors, le décret du 4 mai 1988, qui se borne à instituer pour les agents concernés un nouveau régime statutaire différent de celui qui avait été prévu par le décret modifié n° 49-1378 du 3 octobre 1949, pouvait légalement renvoyer à un arrêté pris conjointement par le ministre de la défense, le ministre chargé du budget et le ministre chargé de la fonction publique, la détermination des règles de recrutement, du régime de rémunération et de déroulement de carrière de ces agents ;

Considérant, il est vrai, que M. V soutient qu’en ce qui concerne la détermination du régime de la rémunération, l’article 55 de la loi du 22 février 1901 dispose que toute mesure ayant pour effet d’augmenter le nombre et les traitements des fonctionnaires et agents rémunérés sur le budget de l’Etat devait faire l’objet d’un décret contresigné par le ministre des finances et que, dès lors, le décret contesté ne pouvait, sur ce point, renvoyer à un arrêté interministériel ;

Mais considérant qu’aux termes de l’article 125 de la loi du 7 octobre 1946 : "Le contreseing du ministre des finances est obligatoire pour tous les arrêtés, décrets ministériels relatifs aux traitements et indemnités des fonctionnaires et agents de l’Etat.." ; que cette dernière disposition doit être regardée comme ayant implicitement abrogé les dispositions antérieures de l’article 55 de la loi du 22 février 1901 en tant qu’elles portaient sur les traitements des fonctionnaires et agents rémunérés sur le budget de l’Etat ; qu’ainsi, le décret du 4 mai 1988 a pu déléguer à un arrêté contresigné par le ministre des finances, la détermination du régime de rémunération des agents en cause ;

Considérant, en deuxième lieu, que si le Conseil d’Etat statuant au contentieux par une décision du 24 juillet 1984 a jugé, à l’occasion d’un litige individuel, que le ministre de la défense et le ministre de l’économie, des finances et du budget n’avaient pu légalement prévoir, par une décision interministérielle du 12 novembre 1968 entachée d’incompétence, que les ingénieurs sous contrat exerçant leur activité dans certains services de la direction générale de l’armement seraient rémunérés dans les conditions fixées par la convention collective des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne, et s’il a, par une décision du 3 janvier 1989, annulé le refus implicite du ministre de la défense et du ministre de l’économie, des finances et du budget d’abroger cette décision interministérielle, le décret du 4 mai 1988, qui ne méconnaît nullement l’autorité qui s’attache à la chose jugée par ces deux décisions, pouvait légalement, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, régler les conditions de recrutement, de déroulement de carrière et de rémunération des agents contractuels du ministère de la défense ;

Considérant, en troisième lieu, que la seule circonstance que le décret contesté ait prévu son application à des agents recrutés sous un régime défini antérieurement, notamment par le décret n° 49-1378 du 3 octobre 1949 modifié fixant le statut des agents sous contrat du ministère de la défense, ne saurait lui donner un caractère rétroactif ;

Considérant, en quatrième lieu, qu’aux termes des dispositions de l’article 2 de la loi du 13 juillet 1983 : « la présente loi s’applique aux fonctionnaires civils des administrations de l’Etat .. Dans les services et les établissements publics à caractère industriel ou commercial, elle ne s’applique qu’aux agents qui ont la qualité de fonctionnaire » et qu’aux termes de l’article 3 de la même loi : « Sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils permanents de l’Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont (..) occupés (..) par des fonctionnaires régis par le présent titre » ; qu’il résulte des termes mêmes de ces dispositions que la loi du 13 juillet 1983 a exclu de son champ d’application les personnels des services et établissements publics de l’Etat qui présentent un caractère industriel ou commercial ; que les services du ministère de la défense dont l’activité est retracée dans les comptes de commerce des fabrications d"armement, des constructions navales et des exploitations industrielles des ateliers aéronautiques de l’Etat, ont, pour l’application de la règle énoncée à l’article 2 de la loi du 13 juillet 1983, la nature de services de l’Etat à caractère industriel ou commercial ; qu’ainsi ni les agents des services à caractère industriel ou commercial de l’Etat ni ceux des services du ministère de la défense dont l’activité est retracée dans des comptes de commerce n’entrent dans le champ d’application de ces dispositions et de celles de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat ; que par suite le décret du 4 mai 1988 a pu, sans méconnaître les dispositions des lois du 13 juillet 1983 et du 11 janvier 1984, prévoir que, dans les services à caractère industriel ou commercial du ministère de la défense dont l’activité est retracée dans des comptes de commerce, l’Etat peut employer, outre des agents sur contrat recrutés en application des dispositions du décret du 3 octobre 1949, des agents sur contrat dont le recrutement et le régime de rémunération et de déroulement de carrière sont déterminés par un arrêté conjoint du ministre de la défense, du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la fonction publique ;

En ce qui concerne l’arrêté du 4 mai 1988 fixant les modalités de recrutement. le régime de rémunération et de déroulement de carrière des agents régis par le décret n° 88-541 du 4 mai 1988

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que cet arrêté, contresigné par le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget, n’a pas été pris par une autorité incompétente ; qu’il n’a pas pour objet de fixer ou d’autoriser des recrutements supplémentaires d’agents ; qu’il pouvait légalement déterminer les modalités de l’évolution des rémunérations des agents qu’il concerne et prévoir que leur rémunération ne pourrait être inférieure aux salaires garantis par les accords entre l’union des industries métallurgiques et mécaniques et les organisations syndicales signataires ;

En ce qui concerne le décret n° 98-612 du 16 Juillet 1998

Sur la légalité externe

Considérant que M. V soutient que le décret aurait été pris après des avis du comité technique paritaire et de la commission des statuts du Conseil supérieur de la fonction publique de l’Etat viciés par des informations inexactes, comme ne concernant que les services de la direction générale de l’armement qui n’ont pas un caractère industriel ou commercial ; que toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment du tableau critiqué par M. V, qui concerne non seulement les ingénieurs et cadres technico-commerciaux des services de la direction générale de l’armement qui n’ont pas un caractère industriel ou commercial mais aussi ceux qui relèvent de services dont l’activité est retracée par un compte de commerce, lesquels, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, doivent être regardés comme ayant la nature de services à caractère industriel ou commercial, que ces avis aient été rendus au vu d’une information incomplète ou tronquée ;

Sur la légalité interne :

Considérant que le moyen tiré de ce que les ingénieurs sous contrat auraient dû bénéficier d’une titularisation dans le corps des ingénieurs et spécialistes civils de la défense ne peut qu’être rejeté, dès lors qu’aucune disposition législative n’en imposait la création et qu’il n’a d’ailleurs jamais été créé ;

Considérant que, si, aux termes de l’article 80 de la loi du 11 janvier 1984 : "Les décrets en Conseil d’Etat prévus à l’article 79 ci-dessus fixent : 1 ° Pour chaque ministère, les corps auxquels les agents non titulaires mentionnés aux articles 73, 74 et 76 peuvent accéder ; ces corps sont déterminés en tenant compte, d’une part, des fonctions réellement exercées par ces agents et du niveau et de la nature des emplois qu’ils occupent, d’autre part, des titres exigés pour l’accès à ces corps", ces dispositions ont été complétées par l’article 45 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 aux termes duquel : "Les corps dans lesquels les agents non titulaires du niveau de la catégorie A, mentionnés aux articles 73, 74 et 76 de la présente loi, peuvent être titularisés sont les corps au profit desquels interviennent les mesures prévues par le protocole d’accord du 9 février 1990 sur la rénovation de la grille des rémunérations et des classifications. Les titres exigés pour l’accès à ces corps sont déterminés par décret en Conseil d’Etat" ; qu’il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 dont il n’appartient pas au Conseil d’Etat d’apprécier la conformité à la Constitution, que les agents non titulaires du niveau de la catégorie A, quelles que soient les fonctions qu’ils exercent et le niveau et la nature des emplois qu’ils occupent, ne peuvent accéder aux corps de fonctionnaires de la catégorie dite "A supérieure" ; que, par suite, l’auteur du décret attaqué a pu légalement prévoir, en application des dispositions analysées ci-dessus de l’article 80 de la loi du 11 janvier 1984, telle que modifiée par l’article 45 de la loi du 28 mai 1996, que les agents non titulaires du niveau de la catégorie A n’avaient vocation qu’à être titularisés dans des corps d’attachés d’administration centrale, d’ingénieurs d’études et de fabrication ou de niveau équivalent et n’ouvrir aucune possibilité de titularisation dans un corps de catégorie supérieure ; qu’ainsi, M. V n’est pas fondé à soutenir que les dispositions de l’article 1er du décret du 16 juillet 1998 méconnaîtraient les dispositions de l’article 80 de la loi du 11 janvier 1984 modifiée ;

Considérant, en outre, que les règles posées par le décret s’appliquent à tous les agents non titulaires susceptibles d’être titularisés dans un corps de catégorie A ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être écarté ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. V n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l’abrogation du décret et de l’arrêté du 4 mai 1988 et du décret du 16 juillet 1998 ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

Considérant que la présente décision n’impliquant aucune mesure d’exécution, les conclusions à fin d’injonction présentées par M. V ne peuvent qu’être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. V est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jacques V, au Premier ministre, au ministre de la fonction publique et de la réforme de l’Etat et au ministre de la défense.

 


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