La loi du 10 janvier 1936
relative aux groupes de combat et de milices privées est une loi
de circonstance, dont l’objet est de lutter contre les menaces que font
peser les " ligues " sur la République. Il s’agit d’une loi de circonstance
car une première mouture du projet de loi avait prévu d’indiquer
dans la loi une liste nominative des associations concernées. Mais
pour des raisons de principe, cette formulation a été abandonnée.
Cette loi prévoit,
à côté d’une dissolution prononcée par le juge
judiciaire, une dissolution administrative applicable à certaines
associations et groupements de fait. C’est une loi qui déroge au
principe de la liberté d’association.
Cette loi de 1936 a
été complétée par des ajouts successifs qui
étendent son champ d’application au-delà de la protection
contre les groupements paramilitaires. En son état actuel, elle
permet la dissolution par décret du Président de la République,
pris en Conseil des ministres, des associations ou groupements de fait
qui présentent un certain nombre de caractéristiques tenant
soit à leur activité, soit à leur organisation, soit
à leur but.
Je présenterai
rapidement les différentes conditions relatives à la dissolution
de ces associations et de ces groupements de fait, telles qu’elles résultent
de la loi et de l’interprétation qui en a été donnée
par la jurisprudence, avant d’aborder les dispositions constitutionnelles
et conventionnelles applicables en la matière.
Avant de traiter de
ces questions, il convient de relever qu’en application de la loi du 11
juillet 1979 et du décret du 28 novembre 1983, ces mesures de dissolution
doivent être motivées et précédées d’une
procédure contradictoire. Le gouvernement n’a pas l’obligation de
prononcer une dissolution alors même que les conditions sont réunies.
Il apprécie, dans ce cas, l’opportunité d’une telle mesure.
I.– Les conditions
relatives à la dissolution administrative des associations et groupements
de faits
Sur les conditions
relatives à la dissolution administrative des associations et groupements
de fait résultant de la loi et de la jurisprudence administrative,
je prendrai en considération l’ensemble des hypothèses fixées
par la loi et dans lesquelles une dissolution administrative est possible.
J’insisterai particulièrement sur le cas qui est à la fois
le plus difficile à appréhender et qui me semble le plus
susceptible d’intéresser votre Commission, à savoir celui
visant spécifiquement les groupes de combat et les milices privées.
Examinons d’abord les
conditions autres que celles tenant à l’existence d’un groupe de
combat ou d’une milice privée.
A - Premièrement,
la provocation à des manifestations armées dans la rue.
L’article 1-1° de la loi
de 1936 vise les associations ou groupements de fait qui " provoqueraient
des manifestations armées dans la rue ". Doivent donc être
pris en compte des critères tenant à la nature de la provocation,
au caractère armé de la manifestation et au lieu de la manifestation.
– Premier
critère, la provocation.
Elle peut résulter d’une
incitation par diffusion de tracts et de journaux, ainsi que par l’accomplissement
d’attentats. Dans l’affaire du SAC, le commissaire du gouvernement Bruno
Genevois précisait que la commission d’actes de violence criminels,
qu’ils soient imputables à l’association ou à des individus
appartenant à l’association mais agissant isolément, n’entrait
pas dans le champ d’application de l’article 1-1° de la loi de 1936.
Par ailleurs, en 1936, le législateur a expressément rejeté
au vu des travaux préparatoires, la possibilité de dissoudre,
des groupements auteurs d’actes portant simplement atteinte à l’ordre
public. En revanche, il n’est pas nécessaire qu’il y ait eu un début
d’exécution.
– Deuxième
critère, le caractère armé de la manifestation.
Dans ses conclusions sur l’arrêt
Krivine du 21 juillet 1970, le commissaire du gouvernement Bertrand s’appuie
sur la jurisprudence de la Cour de cassation, relative aux textes réprimant
les manifestations armées, pour estimer que doivent être considérés
comme une arme tous les objets ou instruments qui, en fait, sont utilisés
comme tel.
– Troisième
critère, le lieu.
La loi indique qu’il doit s’agir
de la rue, mais le Conseil d’Etat a retenu une conception large de cette
exigence en considérant que, sous certaines conditions, l’occupation
armée d’un lieu privé pouvait être assimilée
à une manifestation armée dans la rue. Il en est ainsi de
l’occupation d’une cave à proximité d’une route nationale,
alors que l’occupation est rendue publique, ouverte à la population
et que les manifestants se sont retirés dans un camion avec des
armes apparentes.
B - Deuxièmement,
l’atteinte à l’intégrité du territoire.
Les conditions sont extrêmement
larges, puisqu’il suffit que les associations ou groupements de fait aient
pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire
national sans aucune autre condition.
C - Troisièmement,
l’atteinte à la forme républicaine du gouvernement.
Il s’agit de la deuxième
partie de l’article 1-3° de la loi de 1936, visant les associations
ou groupements de fait qui " auraient pour but... d’attenter par la force
à la forme républicaine du gouvernement ". Plusieurs critères,
cumulatifs, doivent être ici retenus ; ils tiennent aux objectifs
et à l’emploi de la force.
Dans ce cas, l’intention
suffit. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un début d’exécution.
Cependant, la jurisprudence est fluctuante. Alors que le commissaire du
gouvernement Andrieux, en 1936, considère que le fait de renoncer
à tenter le coup de force dans des conditions qui ne semblent pas
favorables à une réussite ne devrait pas être retenu
en faveur de l’association, le Conseil d’Etat estime, en 1970, que ne peuvent
être dissoutes des organisations qui avaient déconseillé
la tenue de manifestations armées durant le mois de mai 1968, estimant
que le rapport de force était favorable au gouvernement.
Quant à l’usage
de la force, cela signifie bien que la lutte pacifique contre la forme
républicaine du gouvernement n’est pas visée.
Dernier critère,
celui qui tient à la mise en cause de la forme républicaine
du gouvernement. Il s’agit d’une formulation relativement imprécise
– on la retrouve d’ailleurs dans la Constitution. Il peut s’agir d’une
action en faveur du rétablissement de la monarchie ou de l’instauration
d’une dictature. On pourrait également considérer qu’il s’agit
de protéger les éléments propres à la démocratie
libérale. Mais cette conception serait probablement trop extensive
et contraire, me semble-t-il, à la formulation du texte, et s’agissant
d’une mesure d’exception limitant l’exercice d’une liberté publique,
elle doit être interprétée de façon restrictive.
D - Quatrièmement,
l’atteinte au rétablissement de la légalité républicaine
et le soutien à la collaboration.
L’article 1-4° de
la loi de 1936 vise les associations ou groupements de fait " dont l’activité
tendrait à faire échec aux mesures concernant le rétablissement
de la légalité républicaine ". L’article 1-5, quant
à lui, vise ceux " qui auraient pour but, soit de rassembler des
individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec
l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ". Ces ajouts résultent
respectivement d’une ordonnance du 30 décembre 1944 et d’une loi
du 5 janvier 1951. Ce sont également des textes de circonstance,
mais ils doivent être considérés, selon le Conseil
d’Etat, comme encore applicables.
E - Cinquièmement,
la provocation à la discrimination.
L’article 1-6° de
la loi de 1936, ajouté par la loi du 1er juillet 1972, vise les
associations ou groupements de fait qui, " soit provoqueraient à
la discrimination, à la haine ou à la violence envers une
personne ou groupement de personnes à raison de leur origine ou
de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une
nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient
des idées ou théories tendant à justifier ou encourager
cette discrimination, cette haine ou cette violence ".
F - Sixièmement,
la provocation aux actes de terrorisme.
L’article 1-7° de
la loi de 1936, ajouté par la loi du 9 septembre 1986, vise les
associations ou groupements de fait qui " se livreraient, sur le territoire
français ou à partir de ce territoire, à des agissements
en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger
".
G - Enfin, les
conditions relatives à l’existence d’un groupe de combat ou d’une
milice privée.
L’article 1-2° de
la loi de 1936 vise les associations ou groupements de fait qui " en dehors
des sociétés de préparation au service militaire agréées
par le gouvernement, des sociétés d’éducation physique
et de sport, présenteraient, par leur forme et leur organisation
militaire, le caractère de groupes de combat ou de milices privées
".
Plusieurs critères
sont pris en compte. La difficulté réside dans l’utilisation
qui est faite de ces différents critères, d’autant plus que
la loi ne définit pas les notions de " groupes de combat ou de milices
privées ". En outre, les décisions du Conseil d’Etat sont
relativement sibyllines en ce qui concerne l’appréciation des motifs
retenus. C’est essentiellement dans des conclusions de commissaires du
gouvernement que l’on peut trouver une explication de ces motifs, ce qui
veut dire que l’analyse est très factuelle.
Nous envisagerons rapidement
la question, telle que posée en jurisprudence, et qui n’est probablement
pas étrangère au sujet qui intéresse votre Commission,
des liens qui peuvent exister entre un groupement susceptible d’être
considéré comme paramilitaire et un parti politique.
– Premièrement,
les critères.
Je les énumérerai
d’abord, avant d’essayer de voir comment on peut les structurer, pour vérifier
que l’on est bien dans le cadre de la loi de 1936.
Tout d’abord, l’organisation
interne des structures.
Dans le cadre de la
dissolution des Croix de feu et d’organisations qui lui sont liées,
le rapport au Président de la République prend en compte
l’existence d’une formation organisée en sections placées
sous les ordres de chefs, l’existence de moyens de concentration rapide,
une subordination complète aux supérieurs et, enfin, la formulation
de consignes secrètes.
La même année,
le commissaire du gouvernement Josse caractérise l’existence d’un
groupe de combat ou d’une milice privée par l’organisation militaire
en sections hiérarchisées par des grades, et dont les membres
sont soumis à une discipline absolue. En effet, il résulte
de la jurisprudence que n’importe quelle exigence de discipline ou d’obéissance
ne suffit pas à donner au groupement un caractère paramilitaire.
Dans l’affaire portant
sur la dissolution du SAC dont la jurisprudence date de 1985, la motivation
de l’acte de dissolution retient le caractère fortement hiérarchisé,
cloisonné et occulte de l’organisation. Le fichier des adhérents
est tenu secret et retiré du siège afin que ceux-ci ne puissent
être identifiés en cas de changement de majorité politique.
Ensuite, l’apparence
et l’entraînement.
La Cour d’appel de
Paris, dans une décision du 7 juin 1938 – on est dans le cadre d’une
dissolution judiciaire, mais peu importe, le critère peut être
également pris en considération –, retient, pour reconnaître
le caractère paramilitaire à une association, " la rapidité
de leur rassemblement par leur mobilité, leur discipline et leur
entraînement ". Par ailleurs, des indices de caractère paramilitaire
peuvent être trouvés dans le port d’uniformes, d’emblèmes
ou d’insignes de ralliement. La formation paramilitaire dans des camps
d’entraînement est, bien entendu, un critère important qui
a été retenu récemment par le Conseil d’Etat, dans
une affaire concernant le comité du Kurdistan.
Puis, le critère
important du recrutement.
Dans l’affaire du SAC,
le mode de recrutement est pris en compte en ce qu’il fait appel à
un système de parrainage et d’enquête. Seul le secrétaire
général accorde l’adhésion. La qualité du recrutement
peut être prise en considération. Ainsi, toujours concernant
le SAC, un indice favorable à la reconnaissance d’une milice est
contenu dans le fait que le recrutement est essentiellement masculin et
vise une proportion élevée de policiers et de membres de
sociétés de gardiennage, et, dans une bien moindre mesure,
de militaires. Chacun, en adhérant, est prié de faire connaître
son grade, son potentiel physique, sa disponibilité et les moyens
de transport et de transmission dont il dispose.
Enfin, les activités.
Dans l’affaire du Parti
national populaire en 1936, il s’agit d’un groupe d’intervention dans les
campagnes électorales, chargé d’assurer la protection des
réunions tenues par des " candidats nationaux ", termes utilisés
dans les statuts. Néanmoins, cette activité ne suffit pas
à caractériser en soi un groupe de combat ou une milice.
Elle doit être assurée par des groupes de combat organisés
et prévoir la réalisation d’actions violentes, notamment
des combats de rue.
En revanche, le fait
qu’une formation ne se soit pas comportée comme une formation d’attaque
est, sur ce plan, indifférent car, selon le commissaire du gouvernement
Detton, " qui dit défense, dit combat ". La volonté affichée
de participer à des coups de main peut être retenue.
Il semblerait que le
but de l’organisation puisse être pris en compte indépendamment
des pratiques. Ainsi, à l’encontre du SAC, est retenu le fait d’être
une organisation qui se veut apte à la guerre subversive. Cependant,
des pratiques violentes peuvent être prises en compte. Dans l’affaire
précitée de la dissolution du SAC, la motivation de l’acte
de dissolution retient, sous couvert d’objectifs civiques et sociaux, la
commission d’actes de violence à l’occasion d’événements
politiques et de conflits sociaux. Ce critère relatif à l’usage
des structures ne me semble pas déterminant, il sert plutôt
à caractériser le but du caractère paramilitaire du
système d’organisation. En effet, selon le commissaire du gouvernement
Detton, l’on ne s’occupe pas de l’usage des formations, mais il suffit
que leurs organisations les rendent aptes à des coups de main pour
que l’on soit en présence d’une milice privée. Cette considération
est reprise en 1995 par le Conseil d’Etat qui relève, à propos
du comité du Kurdistan, " les intentions séditieuses qui
la caractérisent et la rendent apte à des actions de commando
".
– Deuxièmement,
l’utilisation de ces critères.
Au-delà de leur énumération,
deux difficultés se rencontrent : d’une part, comment apporter la
preuve de la réalité des faits, et, d’autre part, comment
utiliser ces faits, une fois établis, pour affirmer qu’il s’agit
bien d’un groupe paramilitaire.
Tout d’abord, l’établissement
de la réalité des faits.
La situation idéale
est celle dans laquelle l’on peut inférer des statuts qu’il s’agit
d’une milice privée. Il en est ainsi si un règlement organique
s’applique à la police des rues, à la police des réunions,
aux combats de localités et s’accompagne de plans ou de schémas
tactiques. A défaut, c’est la réalité du fonctionnement
et des activités de l’association ou du groupement qu’il convient
de prendre en considération. Les déclarations publiques de
responsables de l’organisation peuvent également être retenues.
De manière générale,
s’il peut être tenu compte, non seulement des statuts et des documents
officiels, mais aussi des décisions et écrits divers, tracts,
articles de journaux émanant des dirigeants du groupe, agissant
en tant que tels, en revanche, ne doivent pas être retenus les écrits
ou déclarations de membres individuels qui peuvent ne pas refléter,
sur le point sur lequel ils s’expriment, la réalité du groupe.
Ensuite, la technique
du faisceau d’indices.
Il résulte de
la loi que les critères retenus doivent tenir à la fois à
la forme militaire et à l’organisation militaire du groupement.
Faute de définition des milices et des groupes de combat, c’est
essentiellement le caractère paramilitaire qui est pris en compte.
Plus précisément, l’analyse de la jurisprudence montre que
la méthode retenue est celle du faisceau d’indices. Ainsi, et pour
schématiser cette technique, la présence d’un seul critère
ne suffit pas, mais la réunion de tous les critères n’est
pas nécessairement exigée.
Dans ses conclusions
sur l’arrêt Croix de feu, le commissaire du gouvernement Detton indiquait
: " Peu importe l’absence d’uniformes et l’absence d’armes, ce qui importe,
c’est l’organisation, l’entraînement, l’esprit ". En ce sens également,
dans l’arrêt du 27 novembre 1936, Mouvement social français
des Croix de feu, le Conseil d’Etat ne s’intéresse ni aux buts poursuivis,
ni au fait de savoir si la violence a été ou non utilisée.
De la même manière,
le commissaire du gouvernement Bruno Genevois observe que, concernant le
SAC, font défaut " l’entraînement régulier et la pratique
des rassemblements qui forment et soudent une organisation tout en lui
donnant les formes extérieures d’une organisation militaire ". Après
avoir beaucoup hésité, il conclut, suivi par le Conseil d’Etat,
que l’absence de ces éléments extérieurs de l’organisation
ne doit pas conduire nécessairement à lui dénier le
caractère de milice privée. Ce qui veut bien dire que l’addition
des critères n’est pas nécessaire. Il retient, en revanche,
le caractère militaire des structures, des méthodes, des
valeurs et du recrutement.
Alors que le commissaire
du gouvernement Josse, en 1936, retenait, à propos du Parti national
populaire, le défilé en uniforme des unités avec drapeaux,
sonneries de clairon, ordres donnés au sifflet et revue des formations,
à l’occasion des fêtes de Jeanne d’Arc, le commissaire du
gouvernement Genevois considère, en 1985, que ces manifestations
sont liées à un contexte historique et ne doivent pas être
nécessairement retenues aujourd’hui comme un critère impératif.
En fait, le caractère
paramilitaire doit être apprécié au regard des conditions
actuelles dans lesquelles peut se manifester une telle activité.
Par ailleurs, le commissaire du gouvernement Josse ne semblait pas attacher
à ces manifestations un poids excessif, puisqu’il indique que ce
défilé ne prouve rien en lui-même, mais qu’il s’inscrit
dans un faisceau de présomptions précises et concordantes.
Les critères sont en effet fluctuants. Le commissaire du gouvernement
Detton exige que soient réunis les critères suivants : formations
hiérarchisées, discipline rigoureuse, exercices de rassemblement
; le commissaire du gouvernement Genevois, près de cinquante ans
plus tard, considère que ce dernier critère n’est pas indispensable.
Cependant, s’agissant
d’un acte portant atteinte au principe de la liberté d’association,
le juge administratif exerce un contrôle rigoureux sur les motifs
de la dissolution.
On notera enfin que
dans l’affaire du SAC, le Conseil d’Etat s’appuie sur le rapport de la
commission d’enquête parlementaire pour caractériser les faits
qui sont retenus par le décret de dissolution.
– Troisièmement,
la question des liens possibles entre une formation paramilitaire et un
parti politique peut être retenue.
Dans ses conclusions sur
un arrêt de 1936, le commissaire du gouvernement Josse précisait
: " Si un grand parti politique a constitué, en réunissant
une petite partie de ses adhérents, des formations paramilitaires,
ou qu’un parti s’est formé autour de ce noyau primitif qui était
un groupe de combat, si le parti a une vie actuelle propre, indépendante
de ces formations, l’illégalité de celles-ci ne touche en
rien la légalité de celui-là ".
II.– La question de
la constitutionnalité et la conventionnalité de la loi de
1936.
A - Tout d’abord, la
constitutionnalité de la loi de 1936
Dans sa décision
n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, reconnaissant le principe de la liberté
d’association comme principe constitutionnel, le Conseil constitutionnel
réserve l’hypothèse " de mesures susceptibles d’être
prises à l’égard de catégories particulières
d’associations ". On pourrait alors considérer que le principe de
la liberté d’association voit sa valeur constitutionnelle affirmée
en tenant compte de la législation de 1936, bien que cette réserve
vise en fait plus précisément le mécanisme de formation
de certaines associations particulières, tel qu’il est prévu
dans la loi de 1901.
On peut cependant s’interroger
sur la constitutionnalité de la loi de 1936, et ce d’autant plus
que le juge administratif a décidé qu’il pouvait écarter
l’application d’une loi inconstitutionnelle antérieure à
la Constitution dans une décision récente du tribunal administratif
de Strasbourg qui, à mon avis, peut faire jurisprudence.
En fait, et sans poursuivre
plus avant cet examen, il convient de considérer que ce sont des
exigences d’ordre constitutionnel qui justifient cette atteinte à
la liberté d’association (ordre public, forme républicaine
du gouvernement, indivisibilité de la République, dignité
de la personne humaine).
Plus efficace peut-être,
pour contester la loi de 1936, pourrait être l’argument relatif à
la compétence du juge administratif en la matière au lieu
et place du juge judiciaire. J’aurais tendance, pour ma part, à
considérer que l’article 66 de la Constitution, précisant
que l’autorité judiciaire est le gardien de la liberté individuelle,
doit être interprété de manière restrictive
en ce qui concerne essentiellement la sûreté et non pas la
liberté d’association. Il convient cependant de relever qu’en toute
hypothèse, la prise en compte des exigences constitutionnelles devrait
conduire à une interprétation restrictive des dispositions
de la loi de 1936.
B - Ensuite, la conventionnalité
de la loi de 1936.
Il s’agit en fait
de la question de la conformité de la loi de 1936 à la Convention
européenne des droits de l’homme. Cette question est d’autant plus
importante qu’il existe une jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme relative à la dissolution des associations
et que le Conseil d’Etat a considéré que l’article 11 de
la Convention relative à la liberté d’association s’appliquait
à une dissolution effectuée en vertu de la loi de 1936. Il
est donc certain que dans une contestation d’un décret de dissolution,
la Convention européenne des droits de l’homme sera invoquée.
Si l’article 11 de
la Convention reconnaît la liberté d’association comme principe
conventionnel, son alinéa 2 prévoit cependant des limites
à l’exercice de ce droit. Il est ainsi rédigé : "
L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet d’autres restrictions que
celles qui, prises par la loi, constituent des mesures nécessaires
dans une société démocratique, à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, à la défense
de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection
de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits
et libertés d’autrui. "
Quelques éléments
peuvent être tirés de l’application par la Cour européenne
des droits de l’homme de ces dispositions.
D’abord, une association,
fût-ce un parti politique, ne se trouve pas soustraite à la
protection de la Convention au seul motif que ses activités peuvent,
aux yeux des autorités nationales, porter atteinte aux structures
constitutionnelles d’un Etat et appeler des mesures restrictives. Par ailleurs,
selon la Cour, la liberté d’association vise non seulement la liberté
de créer une association, mais aussi sa dissolution qui doit satisfaire
aux exigences de l’article 11. En outre, la Cour associe l’article 11 à
l’article 10, en rappelant que la liberté d’expression vaut non
seulement pour les idées accueillies avec faveur ou considérées
comme indifférentes, mais aussi pour celles qui choquent ou inquiètent.
Si la restriction à
la liberté d’association peut être justifiée, la mesure
doit être strictement proportionnée au but légitime
poursuivi et les motifs retenus doivent être pertinents et suffisants.
En particulier, l’Etat doit apporter des éléments concrets,
propres à démontrer que l’association avait opté pour
une attitude présentant une menace réelle pour la société
ou l’Etat. Il peut s’agir d’une incitation à la violence ou d’une
remise en cause de l’ordre démocratique menaçant cet ordre.
En conclusion, on peut
considérer que, dans son ensemble, la loi de 1936 n’est pas contraire
à la Convention européenne des droits de l’homme – sauf,
peut-être, certaines de ses dispositions, notamment la première
partie du 3° de l’article premier concernant l’atteinte à l’intégrité
du territoire. En revanche, seule une application restrictive de ce texte
est susceptible d’être jugée conforme à la Convention.
Il conviendrait notamment de démontrer, non seulement le caractère
paramilitaire d’un groupement dissous, mais également les risques
qu’il fait concrètement peser sur la société et sur
l’Etat, même si sur ce point il convient de tenir compte à
la fois des activités et des buts.