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Conseil d’Etat, 25 juin 2008, n° 286910, Edith B.

Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d’accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d’invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d’invalidité en cas de maintien en activité déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l’atteinte à l’intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions. Elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d’agrément ou des troubles dans les conditions d’existence, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien lui incomberait.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 286910

Mme B.

M. Herbert Maisl
Rapporteur

M. Jean-Philippe Thiellay
Commissaire du gouvernement

Séance du 30 mai 2008
Lecture du 25 juin 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 14 novembre 2005 et 13 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Edith B. ; Mme B. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 29 mars 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir annulé le jugement du 17 mai 2001 et réformé le jugement du 7 février 2002 du tribunal administratif de Poitiers, a condamné le centre hospitalier de Saintes à verser à Mme B. une indemnité de 15 000 euros et la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) statuant au fond, de condamner le centre hospitalier de Saintes à lui verser la somme de 60 979, 60 euros au titre du préjudice économique et 152 449, 02 euros au titre des préjudices personnels avec les intérêts de droit et la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saintes le versement d’une somme de 3.000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Herbert Maisl
Rapporteur,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de Mme B., et de la SCP Capron, Capron, avocat du centre hospitalier de Saintes,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B., qui a été employée à partir de 1982 par le centre hospitalier de Saintes en qualité d’agent hospitalier puis d’aide soignante, a contracté une hépatite C à laquelle la commission départementale de réforme des agents hospitaliers a reconnu le 5 janvier 1995 le caractère d’une maladie professionnelle ; qu’après avoir bénéficié d’un congé de maladie à compter de janvier 1999 puis d’un mi-temps thérapeutique à compter du mois de mai suivant, elle a été admise à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité à compter du 1er octobre 2000 ; que, le 23 septembre 1999, elle a saisi le tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier à lui verser une indemnité réparant les troubles dans les conditions d’existence et les pertes de revenus résultant de son état de santé ; qu’elle a présenté en cours d’instance des conclusions additionnelles tendant au versement de l’allocation temporaire d’invalidité prévue par l’article 80 de la loi du 9 janvier 1986 ; que, par un jugement du 17 mai 2001, le tribunal administratif a considéré que les dispositions statutaires instituant des avantages en faveur des agents atteints d’une invalidité imputable au service faisaient obstacle à l’exercice d’un recours indemnitaire mais il a ordonné une expertise afin de déterminer si les conditions d’octroi de l’allocation temporaire d’invalidité étaient réunies ; que, par un jugement du 7 février 2002, le tribunal a admis Mme B. au bénéfice de cette prestation ; que, saisie par l’intéressée et par le centre hospitalier, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé les jugements, condamné le centre hospitalier au versement d’une indemnité de 15 000 euros au titre des troubles dans les conditions d’existence et rejeté la demande relative aux pertes de revenus ; que Mme B. et, par voie d’un pourvoi incident, le centre hospitalier demandent l’annulation de cet arrêt rendu le 29 mars 2005 ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par Mme B., ni les moyens invoqués par le centre hospitalier de Saintes ;

Considérant que l’arrêt attaqué annule les jugements du tribunal administratif non seulement en tant qu’ils rejetaient les conclusions indemnitaires de Mme B. mais également en tant qu’ils admettaient l’intéressée au bénéfice de l’allocation temporaire d’invalidité ; que, faute d’avoir énoncé les raisons pour lesquelles elle faisait droit à l’appel du centre hospitalier de Saintes tendant à la remise en cause de cet avantage, la cour a insuffisamment motivé son arrêt ; que ce dernier encourt, par suite, la cassation ;

Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

En ce qui concerne l’allocation temporaire d’invalidité :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens invoqués par le centre hospitalier de Saintes ;

Considérant qu’aux termes de l’article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d’irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de la décision attaquée ou, dans le cas mentionné à l’article R. 421-2, de la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation (.) " ; qu’aux termes de l’article R. 421-1 : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (.) " ; qu’aux termes de l’article R. 421-2 : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet " ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les conclusions de Mme B. tendant à l’octroi de l’allocation temporaire d’invalidité ont été présentées dans le mémoire en réplique que l’intéressée a produit le 24 janvier 2000 devant le tribunal administratif de Poitiers ; que le centre hospitalier, qui n’a pas formulé devant les premiers juges d’observations relatives à ces conclusions additionnelles, a soutenu en appel, à titre principal, qu’elles étaient irrecevables comme ayant été présentées plus de deux mois après la saisine du tribunal administratif ;

Considérant que Mme B. n’a pas justifié avoir saisi l’administration d’une réclamation préalable tendant à l’octroi de l’allocation temporaire d’invalidité, ayant fait naître une décision de refus ; que les conclusions relatives à l’octroi de l’allocation temporaire d’invalidité, prévue par l’article 80 de la loi du 9 janvier 1986, étaient dès lors irrecevables ; que le centre hospitalier est par suite fondé à demander l’annulation du jugement du 7 février 2002 du tribunal administratif de Poitiers, en tant qu’il a admis Mme B. au bénéfice de l’allocation, et le rejet de la demande tendant à son octroi ;

En ce qui concerne les indemnités demandées par Mme B. :

Considérant que les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d’accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente d’invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d’invalidité en cas de maintien en activité déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l’atteinte à l’intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions ; qu’elles ne font, en revanche, obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des dommages ne revêtant pas un caractère patrimonial, tels que des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d’agrément ou des troubles dans les conditions d’existence, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien lui incomberait ;

Considérant qu’il ressort de l’instruction et n’est d’ailleurs pas sérieusement contesté par le centre hospitalier de Saintes que l’hépatite C dont Mme B. est atteinte revêt le caractère d’une maladie professionnelle contractée dans l’exercice de ses fonctions ;

Considérant que, selon le rapport de l’expert commis par le tribunal administratif de Poitiers, Mme B. souffre, en raison de sa contamination, d’une grande asthénie physique et psychique ; qu’elle est astreinte à un suivi médical régulier et a dû entreprendre un traitement antiviral ; qu’elle éprouve légitimement des craintes relatives à une évolution défavorable de son état de santé ; que les répercussions de l’affection ont rendu nécessaire un suivi psychiatrique ; qu’il sera fait une juste appréciation des troubles qu’elle subit dans ses conditions d’existence et de la réparation qui lui est due à ce titre en condamnant le centre hospitalier de Saintes à lui verser une somme de 40 000 euros ;

Considérant que Mme B. demande en outre une indemnité au titre des pertes de revenus qu’elle subit du fait de son état ; qu’elle ne pourrait toutefois prétendre à la réparation des conséquences pécuniaires de la maladie professionnelle que si cette dernière devait être regardée comme la conséquence d’une faute de service du centre hospitalier de Saintes ; que, si elle soutient qu’en raison d’un manque chronique d’effectifs, constitutif d’une faute dans l’organisation du service, elle aurait été amenée à effectuer sur des patients des actes ne relevant pas de sa compétence, elle ne fournit pas d’éléments suffisamment circonstanciés pour établir l’existence d’une faute ;

Sur les intérêts :

Considérant que Mme B. a droit aux intérêts sur la somme de 40 000 euros qui lui est allouée par la présente décision à compter du 28 juin 1999, date de sa réclamation préalable ; qu’elle a demandé la capitalisation des intérêts le 14 novembre 2005 ; qu’à cette date il était dû plus d’un an d’intérêts ; que la capitalisation doit être ordonnée à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme B. est fondée à demander l’annulation des jugements du tribunal administratif de Poitiers, en tant qu’ils rejettent ses conclusions indemnitaires ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Saintes la somme de 4 000 euros que demande Mme B. au titre des frais exposés par elle devant le Conseil d’Etat et le juge du fond et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, en revanche d’accueillir les conclusions du centre hospitalier tendant au remboursement des mêmes frais ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 29 mars 2005 est annulé.

Article 2 : Le jugement du 17 mai 2001 du tribunal administratif de Poitiers et les articles 1e et 2 de son jugement du 7 février 2002 sont annulés.

Article 3 : Le centre hospitalier de Saintes versera à Mme B. une somme de 40 000 euros portant intérêts au taux légal à compter du 28 juin 1999. Les intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts le 14 novembre 2005 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 4 : Le centre hospitalier de Saintes versera à Mme B. une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme B. et du centre hospitalier de Saintes est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Edith B. et au centre hospitalier de Saintes.

Copie pour information en sera communiquée à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.

 


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