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Conseil d’Etat, 18 juin 2008, n° 295831, Robert G.

Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 295831

M. G.

M. Damien Botteghi
Rapporteur

Mme Catherine de Salins
Commissaire du gouvernement

Séance du 16 mai 2008
Lecture du 18 juin 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux

Vu le jugement du 6 juin 2006 par lequel le tribunal administratif de Pau a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la demande de M. Robert G. ;

Vu la requête, enregistrée le 25 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Robert G. ; M. G. demande :

1°) d’annuler la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 19 mars 2004 refusant de faire droit à sa demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 986 706, 96 euros, avec les intérêts et les intérêts des intérêts, en réparation du préjudice matériel et moral résultant du délai excessif de procédure et des fautes commises par la juridiction administrative ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 573 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré enregistrée le 19 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat présentée pour M. G. ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et son premier protocole ;

Vu la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Damien Botteghi, Auditeur,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. G.,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la requête de M. G. tend à rechercher la responsabilité de l’Etat, d’une part en raison de la durée excessive de la procédure suivie devant la juridiction administrative et, d’autre part, du fait de fautes lourdes que cette dernière aurait commises dans l’exercice de la fonction juridictionnelle ;

Sur les conclusions relatives à la durée excessive de la procédure suivie devant les juridictions administratives :

Considérant qu’il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu’ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. G. a saisi le 17 mai 1985 le tribunal administratif de Pau d’une demande d’annulation d’une décision relative à sa situation professionnelle, qui a été rejetée le 24 juin 1986 ; que, saisi par la voie de l’appel par le ministre de l’éducation nationale, le Conseil d’Etat a statué par une décision du 29 décembre 1997 qui lui a été notifiée le 18 octobre 1999 ; que, face à l’inaction de l’administration, l’intéressé a demandé au juge administratif l’exécution de la décision sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, puis a introduit un recours en rectification d’erreur matérielle ; que ces instances, déterminantes pour la solution donnée en définitive au litige, doivent en principe être incluses dans le décompte du délai mis par le juge administratif pour se prononcer à titre définitif sur le litige opposant M. G. à l’administration de l’Education nationale ; que, toutefois, si le Conseil d’Etat a statué en qualité de juge de l’exécution et de juge en rectification d’erreur matérielle par des décisions des 3 juillet 2002 et 19 novembre 2003, l’intéressé a obtenu de l’autorité administrative dès le 29 janvier 2001 l’entière exécution de la décision du 18 octobre 1999 ; que c’est, par suite, seulement jusqu’à la date du 29 janvier 2001 que doit s’apprécier le délai mis par la juridiction administrative pour se prononcer sur le litige que M. G. lui avait soumis ; que ce délai a ainsi été de 15 ans et 8 mois ; qu’un tel délai, s’agissant d’un litige qui ne présentait pas de difficulté particulière et dont l’issue avait une incidence importante sur la situation professionnelle de l’intéressé, est excessif ; que M. G. est par suite fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu ;

Considérant qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par le requérant en lui allouant une somme de 14 000 euros, y compris tous intérêts à la date de la présente décision ; que les autres préjudices allégués, relatifs à la perte des salaires qui auraient dû être versés depuis la rentrée scolaire de 1985, à la perte de pensions correspondantes et à la perte de chance d’être titularisé, résultent des illégalités commises par l’administration de l’éducation nationale et ne peuvent par suite être réparés au titre du fonctionnement défectueux de la juridiction administrative ;

Sur les conclusions relatives aux fautes lourdes qu’aurait commises la juridiction administrative :

Considérant que M. G. ne peut utilement invoquer, pour engager la responsabilité de la juridiction administrative, les principes posés par l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, qui ne lui sont pas applicables ;

Considérant qu’en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d’ouvrir droit à indemnité ; que si l’autorité qui s’attache à la chose jugée s’oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l’Etat peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entachée d’une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ;

Considérant, d’une part, que le requérant ne peut utilement rechercher la responsabilité de l’Etat à raison des décisions du Conseil d’Etat des 3 juillet 2002 et 19 novembre 2003 au motif que ces décisions auraient méconnu l’autorité de la chose jugée par une décision du Conseil d’Etat du 29 décembre 1997 ;

Considérant, d’autre part, que, contrairement à ce que soutient M. G., la formation de jugement ayant statué sur la décision du 19 novembre 2003 n’était pas irrégulièrement composée ; que la responsabilité de l’Etat ne peut donc être engagée à ce titre ;

Considérant, enfin, que les décisions des 3 juillet 2002 et 19 novembre 2003 du Conseil d’Etat ne méconnaissent pas, en tout état de cause, les principes de confiance légitime et de sécurité juridique garantis par le droit communautaire ainsi qu’un accord-cadre du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée mis en œuvre par la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 dès lors que ni ce principe ni ce texte n’étaient applicables dans le litige relatif à la situation de M. G. réglé par ces décisions ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. G. tendant à ce que la responsabilité de l’Etat soit engagée à raison de l’exercice par le Conseil d’Etat de la fonction juridictionnelle ne peuvent qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de cet article et de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais engagés par M. G. et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’Etat versera à M. G. les sommes de 14 000 euros, tous intérêts compris à la date de la présente décision, et de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 2 : Le surplus des conclusions de M. G. est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Robert G. et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée pour information au chef de la mission permanente d’inspection des juridictions administratives.

 


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