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Conseil d’Etat, 10 mars 2004, n° 253258, Jacques C.

C’est avec la société de personnes que l’administration fiscale doit engager la procédure de vérification des résultats sociaux régulièrement déclarés par cette société, au regard de la comptabilité qu’elle doit tenir en vertu de l’article 60 du code général des impôts. La notification de redressement adressée à la société à l’issue de cette vérification implique directement certains effets pour l’imposition personnelle des associés, tels que l’interruption du délai de prescription à leur égard ou l’inversion de la charge de prouver le mal fondé des redressements auxquels la société aurait acquiescé. Seule la société peut soumettre à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires le désaccord persistant sur les redressements qui lui ont été notifiés. L’administration ne peut légalement mettre des suppléments d’imposition à la charge personnelle des associés sans leur avoir notifié, dans les conditions prévues à l’article L. 57 du livre des procédures fiscales, les corrections apportées aux déclarations qu’ils ont eux mêmes souscrites, en motivant cette notification au moins par une référence aux rehaussements apportés aux bénéfices sociaux et par l’indication de la quote-part de ces bénéfices à raison de laquelle les intéressés seront imposés. Toutefois, dans le cas d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le gérant était l’unique associé, l’administration n’a pas à réitérer à son égard la notification précédemment adressée à la société.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 253258

M. C.

M. Boulard
Rapporteur

M. Séners
Commissaire du gouvernement

Séance du 16 février 2004
Lecture du 8 mars 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 janvier 2003 et 12 mai 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jacques C. ; M. C. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 14 novembre 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel formé par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, d’une part, annulé les articles 2 à 5 du jugement du 3 novembre 1998 du tribunal administratif de Toulouse accordant au requérant une réduction à l’impôt sur le revenu ainsi que du prélèvement social auxquels il a été assujetti au titre de l’année 1988 correspondant à une réduction de base de 6 886 277 F dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et d’une somme de 6 662 240 F au titre des plus-values imposables au taux de 16 %, et d’autre part, rétabli l’intéressé au rôle de l’impôt sur le revenu à concurrence des réductions prononcées en première instance ;

2°) de lui accorder la décharge des impositions contestées ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des impôts et de livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Boulard, Conseiller d’Etat,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de M. Jacques C.,
- les conclusions de M. Séners, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à l’issue d’une vérification de la comptabilité de son activité de loueur de fonds et de l’EURL établissements C., dont il était le gérant et l’associé unique, M. Jacques C. a été assujetti à des suppléments d’impôt sur le revenu au titre de l’année 1988 ; que par jugement du 3 novembre 1998, le tribunal administratif de Toulouse a déchargé M. C. des rappels d’impôt consécutifs au contrôle fiscal de l’EURL établissements C. et rejeté le surplus de la demande en décharge présentée au titre de son activité de loueur de fonds ; que M. C. demande l’annulation de l’arrêt du 14 novembre 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a d’une part annulé les articles 2 à 5 du jugement du 3 novembre 1998 du tribunal administratif de Toulouse accordant à M. C. une réduction d’impôt à l’impôt sur le revenu ainsi que du prélèvement social auxquels il a été assujetti au titre de l’année 1988 et l’a d’autre part rétabli au rôle de l’impôt sur le revenu à concurrence des réductions prononcées en première instance ;

Considérant que les membres d’une des sociétés de personnes énumérées à l’article 8 du code général des impôts sont personnellement assujettis à l’impôt sur le revenu pour la part des bénéfices sociaux correspondants à leurs droits dans la société ; que d’après l’article 60 de ce code, les sociétés de l’article 8 sont tenues aux obligations incombant normalement aux exploitants individuels ; qu’en vertu de l’article L. 53 du livre des procédures fiscales, la procédure de vérification des déclarations déposées par ces sociétés est suivie avec celles-ci ; que les articles L. 55 et suivants du même livre prévoient les conditions dans lesquelles d’une part, les déclarations fiscales ne peuvent être corrigées qu’après envoi d’une notification de redressement motivée, et d’autre part, le contribuable peut demander, lorsque le désaccord persiste sur le redressement notifié, que le litige soit soumis à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions que c’est avec la société de personnes que l’administration fiscale doit engager la procédure de vérification des résultats sociaux régulièrement déclarés par cette société, au regard de la comptabilité qu’elle doit tenir en vertu de l’article 60 du code général des impôts ; que la notification de redressement adressée à la société à l’issue de cette vérification implique directement certains effets pour l’imposition personnelle des associés, tels que l’interruption du délai de prescription à leur égard ou l’inversion de la charge de prouver le mal fondé des redressements auxquels la société aurait acquiescé ; que seule la société peut soumettre à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires le désaccord persistant sur les redressements qui lui ont été notifiés ; que l’administration ne peut légalement mettre des suppléments d’imposition à la charge personnelle des associés sans leur avoir notifié, dans les conditions prévues à l’article L. 57 du livre des procédures fiscales, les corrections apportées aux déclarations qu’ils ont eux mêmes souscrites, en motivant cette notification au moins par une référence aux rehaussements apportés aux bénéfices sociaux et par l’indication de la quote-part de ces bénéfices à raison de laquelle les intéressés seront imposés ; que toutefois, dans le cas d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le gérant était l’unique associé, l’administration n’a pas à réitérer à son égard la notification précédemment adressée à la société ; qu’ainsi la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit en écartant la nécessité d’une telle réitération ;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’EURL établissements C., société d’exploitation de la gravière C. créée le 5 juillet 1988 par M. Jacques C. après acquisition des parts détenues par sa mère et sa sœur dans la SARL établissements C., a cédé, le 6 décembre 1988, à la société LOCABTP son matériel d’exploitation, générant ainsi une plus value à court terme taxable au taux de 16 % prévu en application des dispositions de l’article 39 duodecies 2a du code général des impôts ; que M. C. a fait valoir qu’une compensation aurait dû être opérée par l’administration entre cette plus value et les moins values résultant de la perte de valeur des parts de l’EURL établissements C. dues à la cessation d’activité de l’EURL dès le 31 décembre 1988 ; que la cour, après avoir rappelé qu’une telle compensation n’était possible qu’au titre du même exercice a, sans dénaturer les pièces du dossier, souverainement apprécié qu’elle ne pouvait être admise dès lors que l’activité secondaire de transport des granulats produits par l’EURL établissements C. s’étant poursuivie jusqu’au 31 mars 1989, les moins values invoquées avaient été réalisées au titre d’un exercice différent de celui au titre duquel les plus values sont apparues ;

Considérant que le contrat d’assurance sur la vie qu’avait souscrit la SARL Ets C. impliquait qu’un capital serait versé, soit à M. C. son gérant, lors de son départ à la retraite, soit à la société s’il venait à décéder auparavant ; qu’à la suite de la réunion entre les mains de M. C. de toutes les parts de la SARL, celle-ci est devenue, le 5 juillet 1988, l’EURL Ets C. ; que si, en vertu de l’article 1844-3 du code civil, cette transformation n’a pas créé de personne morale nouvelle et n’a pas entraîné l’interruption dudit contrat, elle a néanmoins impliqué, fiscalement, la cessation d’activité d’une société passible de l’impôt sur les sociétés et la création d’une société de personnes dont les résultats sont entièrement imposables au nom de M. C. son unique associé, laquelle de ce fait ne peut déduire les salaires ou indemnités de départs en retraite versés à ce dernier ; que, par suite, l’aléa de la survie de M. C. jusqu’à son départ à la retraite a cessé de constituer une incertitude sur le caractère définitivement acquis, au point de vue fiscal, de la créance d’indemnité détenue par l’EURL en vertu dudit contrat d’assurance ; qu’ainsi cette créance, devenue certaine dans son principe et dans son montant, constituait à compter du 5 juillet 1988 un élément du résultat imposable de cette entreprise ; que la cour n’a donc pas commis d’erreur de droit en confirmant le bien fondé de la réintégration de cette créance dans l’assiette de l’impôt sur le revenu de M. C. ;

Considérant qu’aux termes de l’article 38 du code général des impôts : "Le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs de l’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiées." ; qu’aux termes de l’article 39 duodecies du code général des impôts : "1 - Par dérogation aux dispositions de l’article 38, les plus-values provenant de la cession d’éléments d’actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu’elles sont réalisées à court ou à long terme. 2 - Le régime des plus values à court terme est applicable : a) Aux plus-values provenant de la cession d’éléments acquis ou créés depuis moins de deux ans" ;

Considérant que, pour apprécier si un élément d’actif est cédé avant ou après le délai de deux an susmentionné, et nonobstant l’effet déclaratif du partage énoncé à l’article 883 du code civil, il convient de tenir compte de la date à laquelle cet élément est effectivement entré dans l’actif de l’entreprise ; que la cour, sans dénaturer les pièces du dossier dont elle était saisie, a estimé qu’il résultait des bilans produits en première instance dont la valeur probante n’était pas utilement contestée, que le fonds de commerce d’exploitation de la gravière de "La Ginestière" à Saverdun avait figuré à partir du 5 juillet 1988 seulement, date à laquelle M. C. en a acquis par licitation les 13, 3/16èmes lors du partage de l’indivision constituée par lui-même, sa mère et sa sœur, à l’actif de son entreprise individuelle de loueur de fonds et qu’avant cette date ledit fonds était inscrit à l’actif du bilan de l’indivision C. antérieurement loueur de fonds ; que cette décision de gestion était opposable tant au contribuable qu’à l’administration dès lors qu’elle n’était contraire à aucune disposition législative ou réglementaire ; que par suite la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’en application des dispositions précitées de l’article 39 du code général des impôts, la plus-value réalisée par M. C. lors de la cession dudit fonds à la SA Sablières de Garonne, le 13 décembre 1988, soit moins de deux ans après son acquisition, devait être soumise au régime d’imposition des plus-values à court terme ;

Considérant que la cour pour constater que M. C. avait réalisé une plus value de cession d’un actif professionnel en 1988 a, sans les dénaturer, apprécié souverainement les éléments qui lui étaient soumis en relevant queM. C. avait inscrit, à compter du 5 juillet 1988, les immobilisations antérieurement inscrites à l’actif de l’indivision C., à l’actif de sa propre entreprise individuelle de loueur de fonds et que lesdites immobilisations ne figuraient plus à l’actif du bilan de l’exercice suivant ; qu’elle n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que cette sortie d’actif constituait une reprise d’élément d’actif professionnel dans le patrimoine privé de M. C. et, pour l’entreprise individuelle de loueurs de fonds de M. C., une plus-value à court terme pour 13, 3/16èmes de leur valeur ;

Considérant enfin que la résiliation, le 31 décembre 1988, des baux consentis à la SARL établissements C. et à la société TPG puis à l’EURL établissements C., a fait entrer gratuitement les constructions édifiées par lesdits locataires à l’actif de l’entreprise individuelle de loueur de fonds de M. C. ; que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il en était résulté un accroissement de l’actif de celle-ci égal à la valeur vénale des biens en cause, dont le montant devait majorer les bénéfices de l’exercice clos le 31 décembre 1988 de l’entreprise individuelle de loueurs de fonds de M. C. ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C. demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête susvisée de M. C. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jacques C. et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

 


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