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Conseil d’Etat, référé, 10 août 2001, n° 237047, Commune d’Yerres

la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnées à la double condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées et qu’elles soient adaptées par leur contenu à l’objectif de protection pris en compte.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au Contentieux

N° 237047

Commune d’Yerres

Ordonnance du 10 août 2001

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANçAIS

LE JUGE DES RÉFÉRÉS

Vu la requête, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 8 août 2001, présentée pour la COMMUNE D’YERRES, représentée par son maire en exercice, domicilié à l’Hôtel de Ville d’Yerres (91330) et tendant à ce que le juge des référés du Conseil d’Etat :

1°) annule l’ordonnance du 25 juillet 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a suspendu les effets de l’arr^été du maire d’Yerres en date du 19 juillet 2001 réglementant la circulation des mineurs de moins de 13 ans sur le territoire de la commune et rejette la demande de suspension présentée par le préfet de l’Essonne ;

2°) subsidiairement, réforme l’ordonnance attaquée en tant qu’elle suspend les effets de l’arrêté du maire d’Yerres sur la partie du territoire de la commune délimitée par les secteurs Tournelles, Renouveau et Gambetta ;

3°) condamne l’Etat à lui verser la somme de 10 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La commune d’Yerres soutient que l’ordonnance attaquée est insuffisamment motivée et entachée de défaut de réponse à conclusion ; qu’elle est entachée d’erreur de droit en retenant le taux de délinquance des mineurs, et à fortiori le taux de délinquance générale, comme constituant un critère déterminant d’appréciation ; que la baisse de ces taux doit être nuancée ; que le sentiment d’insécurité de la population augmente ; que le contrat local de sécurité démontre la gravité de la délinquance juvénile ; que l’ordonnance attaquée n’a pas recherché si, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat, l’objectif de protection des mineurs ne justifiait pas la mesure attaquée ; que le caractère essentiellement urbain de la commune, sa facilité d’accès par le RER et les constatations opérées par le contrat de ville font obstacle à ce que la mesure d’interdiction soit limitée aux seuls quartiers visés par le contrat local de sécurité ; que, contrairement à ce qu’énonce l’ordonnance attaquée, la commune a pris de nombreux autres mesures pour prévenir les risques encourus par les mineurs, lesdites mesures ne constituant d’ailleurs pas une condition de la légalité de la décision de police litigieuse ; que, subsidiairement, les quartiers qualifiés de sensibles par le contrat local de sécurité pourraient, en vertu de la jurisprudence du Conseil d’Etat, faire l’objet de la mesure suspendue à tort dans son ensemble ;

Vu l’ordonnance attaquée et l’arrêté du maire d’Yerres du 19 juillet 2001,

Vu, enregistré le 9 août 2001, la mémoire en défense présenté par le préfet de l’Essonne qui conclut au rejet de la requête par les motifs que l’ordonnance est suffisamment motivée et n’est pas entachée de défaut de réponse à conclusion ; que la jurisprudence du Conseil d’Etat invoquée concerne des communes où la délinquance est manifestement plus élevée qu’à Yerres, commune qui n’est pas réellement touchée par la délinquance des mineurs, comme l’a dailleurs reconnu son maire ; qu’il n’avance aucun commencement de preuve du caractère nocturne de la délinquance existante ; que même dans les trois quartiers qualifiés de sensibles par le contrat local de sécurité, rien n’établit que la délinquance soit le fait des mineurs ; qu’au regard de la situation locale, l’interdiction générale et absolue visant les mineurs de moins de 13 ans fait naître un doute sérieux sur sa légalité et justifie sa suspension ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative, notamment son livre V ;

Après avoir convoqué une audience publique, d’une part, la commune d’Yerres, d’autre part, le préfet de l’Essonne ;

Vu le procès verbal de l’audience publique du 10 août 2001 à 9h30 à laquelle ont été entendues :

- Me Vier, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune d’yerres,

- Mme Lamoth, adjoint au maire d’Yerres,

- le représentant du préfet de l’Essonne ;

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L. 2136-6 du code général des colectivités territoriales, reproduites sous les articles L. 554-1 et L. 554-3 du code de justice administrative, lorsqu’il défère au tribunal administratif un acte qu’ul estime contraire à la légalité, “le représentant de l’Etat peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué (...). Lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les 48 heures. La décision relative à la suspension est susceptible d’appel devant le Conseil d’Etat dans la quinzaine de sa notofication. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ou un conseiller d’Etat délégué à cet effet statue dans les 48 heures” ;

Considérant que sur le fondement de ces dispositions, le préfet de l’Essonne a demandé au président du tribunal administratif de Versailles de suspendre l’exécution de l’arrêté du 19 juillet 2001 par lequel le maire d’Yerres a interdit, pour la période du 19 juillet au 6 septembre 2001 et sur tout le territoire de la commune, entre 22 heures et 6 heures, la circulation des mineurs de moins de 13 ans non accompagnés d’une personne majeure, et prévu qu’un mineur méconnaissant cette interdiction pourra en cas d’urgence, être reconduit à son domicile par des agents de la police nationale, lesquels informeront sans délai le procureur de la République de tous les faits susceptibles de donner lieu à l’engagement de poursuites ou à la saisine du juge des enfants ; que par ordonnance du 25 juillet 2001, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif, statuant en référé, a suspendu l’exécution de l’arrêté du 19 juillet 2001 ; que la commune d’Yerres demande en appel l’annulation de cette ordonnance ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier ainsi que de l’audience tenue par le juge des référés du Conseil d’Etat qu’en édictant ces dispositions le maire a entendu essentiellement contribuer à la protection des mineurs de moins de 13 ans contre les dangers auxquels ils sont tout particulièrement exposés dans la commune d’Yerres aux heures susmentionnées, et qui tiennent tant au risque d’être personnellement victimes d’actes de violence qu’à celui d’être mélés, incités ou accoutumés à de tels actes ;

Considérant que ni l’article 372-2 du code civil, selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l’enfant sont confiées par la loi à ses père et mère, qui ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d’éducation, ni les articles 375 à 375-8 du même code selon lesquels l’autorité judiciaire peut, en cas de carence des parents, et si la santé ou la moralité d’un mineur sont en danger, prononcer des mesures d’assistance éducative, ni, enfin, les pouvoirs généraux que les services de police peuvent exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs, ne font obstacle à ce que, pour contribuer à la protection des mineurs, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu’il tient des articles L2212-1 du code général des collectivités territoriales ;

Considérant toutefois que la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnées à la double condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées et qu’elles soient adaptées par leur contenu à l’objectif de protection pris en compte ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, notamment du contrat local de sécurité, ainsi que des débats à l’audience publique tenue par le juge des référés du Conseil d’Etat, qu’on constate dans la ville d’Yerres la constitution de bandes de mineurs et une importance croissante de la part prise par ceux-ci dans la délinquance ; que, même si celle-ci n’est pas spécifiquement imputable aux mineurs de 13 ans, la protection de ceux-ci justifie des mesures destinées à prévenir les risques qu’ils encourent en circulant seuls la nuit dans la ville, lesquels sont et vont être accompagnées de mesures d’action sociale destinées aux adolescents et distinctes de l’activité des services de police ; que si les quartiers Tournelles, renouveau et Gambetta semblent particulièrement sensibles, comme l’indique le contrat local de sécurité, la taille réduite de cette ville de 28 000 habitants et la configuration de ses voies de communication permettant une grande mobilité des bandes de délinquants issues ou non de la ville, qui est desservie par le RER, rendraient irréaliste une réglementation limitée à ces seuls quartiers, comme il ressort nettement des développements et conclusions présentés à l’audience par la commune ; que les mesures contenues dans l’arrêté du maire ne méconnaissent par elle-mêmes ni les dispositions du code de procédure pénale relatives au contrôle d’identité ni, dès lors qu’elles ne sont applicables qu’en cas d’urgence, celles de l’exécution forcée ; que ces mesures sont adaptées aux circonstances particulières à la ville d’Yerres, nonobstant celle que les taux de délinquance y seraient inférieurs à ceux des communes voisines au regard des statistiques de l’activité policière ; que s’il parait excessif par rapport aux fins poursuivies que l’interdiction de circulation commence dès 22 heures, il n’y a cependant pas lieu de suspendre, en tant qu’il concerne la zone urbaine, l’exécution de l’arrêté susmentionné, dès lors que le représentant de la commune s’est engagé devant le juge des référés du Conseil d’Etat en le confirmant par écrit à le modifier pour repousser de 22 à 23 heures le début de la période réglementée ;

Considérant en revanche qu’il n’existe pas de justification sérieuse pour appliquer cette réglementation hors du territoire urbanisé de la commune, c’est à dire dans la zone boisée qui constitue près de 30 % du territoire de la commune ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune d’Yerres n’est fondée à demander la réformation de l’ordonnance attaquée, laquelle est suffisamment motivée, qu’en tant qu’elle a suspendu l’application générale de l’arrêté du 19 juillet 2001 de son maire au lieu de n’en suspendre les effets qu’en dehors de la partie urbanisée de la commune ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de condamner l’Etat à payer à la commune d’Yerres la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

O R D O N N E

Article 1er : Jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le déféré du préfet de l’Essonne présenté contre l’arrêté du maire d’Yerres du 19 juillet 2001 réglementant la circulation des mineurs de 13 ans sur le territoire de la commune d’Yerres, les effets de cet arrêté sont suspendus sur la partie non urbanisée de la commune.

Article 2 : L’ordonnance du 25 juillet 2001 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la commune d’Yerres est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la COMMUNE D’YERRES, au préfet de l’Essonne et au ministre de l’intérieur.

Copie en sera transmise au Procureur de la République près le tribunal de Grande Instance d’Evry.

 


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