CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 243430
SYNDICAT DES COMMISSAIRES ET HAUTS-FONCTIONNAIRES DE LA POLICE NATIONALE et autres
M. Maisl
Rapporteur
M. Olson
Commissaire du gouvernement
Séance du 24 novembre 2003
Lecture du 12 décembre 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 21 février 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le SYNDICAT DES COMMISSAIRES ET HAUTS-FONCTIONNAIRES DE LA POLICE NATIONALE (SCHFPN), dont le siège est 1, place des Reflets, Immeuble Vision 80, appartement 114 à Courbevoie-La Défense (92400), représenté par son président en exercice, d’autre part, par M. André-Michel V. et M. Eric S., tous deux commissaires divisionnaires de la police nationale, et faisant élection de domicile à la SCP Bettinger 19, boulevard de Courcelles à Paris (75008) ; les requérants demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a rejeté leur demande tendant à la publication de l’arrêté du 16 septembre 1983 modifiant l’arrêté du 12 juin 1970 relatif aux conditions d’application aux personnels de la police nationale des dispositions du décret n° 67-290 du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l’Etat et des établissements publics de l’Etat à caractère administratif en service à l’étranger ;
2°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur de procéder à la publication de l’arrêté du 16 septembre 1983 dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de condamner l’Etat à leur verser, à chacun, la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
Vu le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 ;
Vu le décret n° 68-207 du 16 février 1968 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Maisl, Conseiller d’Etat,
les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales :
Considérant, en premier lieu, que si les mesures de publicité auxquelles donne lieu un texte réglementaire ne sont pas susceptibles de faire par elles-mêmes l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, le refus de l’autorité administrative de publier un règlement qu’elle a édicté constitue une décision faisant grief, dès lors qu’il a pour effet de priver les personnes régies par ce texte du droit de se prévaloir de ses dispositions ;
Considérant, en deuxième lieu, que le SYNDICAT DES COMMISSAIRES ET HAUTS-FONCTIONNAIRES DE LA POLICE NATIONALE, dont l’objet est notamment, aux termes de l’article 2 de ses statuts, la "défense des intérêts moraux, économiques et professionnels de ses membres", ainsi d’ailleurs que MM. V. et S., commissaires divisionnaires de la police nationale, et co-auteurs de la requête, justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour agir contre la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé de publier, à leur demande, l’arrêté du 16 septembre 1983 relatif aux conditions d’application aux personnels de la police nationale des dispositions du décret du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l’Etat en service à l’étranger ;
Considérant, en troisième lieu que, contrairement à ce que soutient le ministre en défense, la requête établit, comme l’exigent les dispositions de l’article R. 421-2 du code de justice administrative, la date du dépôt de la demande qui a fait naître la décision implicite de rejet attaquée ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées à la requête par le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales doivent être écartées ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
Considérant que, sauf lorsqu’elle justifie, sous le contrôle du juge, de circonstances particulières y faisant obstacle, l’autorité administrative est tenue de publier dans un délai raisonnable les règlements qu’elle édicte ;
Considérant, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, que le ministre de l’intérieur a refusé de procéder, à la demande des requérants présentée le 17 octobre 2001, à la publication de l’arrêté interministériel du 16 septembre 1983 qui fait application aux personnels de la police nationale des dispositions du décret du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l’Etat en service à l’étranger, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il aurait été abrogé à la date à laquelle le ministre a opposé ce refus ; qu’alors que l’arrêté prévoit, dans son article 2, qu’il fera l’objet d’une publication au Journal officiel de la République française, le ministre n’invoque aucune circonstance particulière de nature à faire obstacle à une telle publication ; qu’il a, ainsi, méconnu l’obligation énoncée ci-dessus, qui constitue un principe général du droit ; que les requérants sont, par suite, fondés à demander l’annulation de la décision attaquée ;
Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution" ; qu’aux termes de l’article L. 911-3 du même code : "Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction (...) d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet" ;
Considérant que la présente décision implique nécessairement que les ministres prennent, en qualité de signataires de l’arrêté, une mesure d’exécution consistant dans la publication de l’arrêté du 16 septembre 1983 dans la mesure où cet arrêté n’est pas abrogé ; qu’il y a lieu d’enjoindre au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales de faire les diligences nécessaires pour que soit publié ledit arrêté au journal officiel de la République française, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer au SYNDICAT DES COMMISSAIRES ET HAUTS-FONCTIONNAIRES DE LA POLICE NATIONALE (SCHFPN), à M. V. et à M. S. la somme globale de 1 000 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé de faire procéder à la publication de l’arrêté du 16 septembre 1983 est annulée.
Article 2 : Il est fait injonction au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales de faire les diligences nécessaires pour que l’arrêté du 16 septembre 1983 soit publié au journal officiel de la République française, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L’Etat paiera une somme globale de 1 000 euros au SYNDICAT DES COMMISSAIRES ET HAUTS-FONCTIONNAIRES DE LA POLICE NATIONALE (SCHFPN), à M. V. et à M. S..
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT DES COMMISSAIRES ET HAUTS-FONCTIONNAIRES DE LA POLICE NATIONALE (SCHFPN), à M. André-Michel V., à M. Eric S., au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, au ministre des affaires étrangères, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et au ministre de la fonction publique, de la réforme de l’Etat et de l’aménagement du territoire.