CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 253748
SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE
M. Bouchez
Rapporteur
M. Piveteau
Commissaire du gouvernement
Séance du 19 novembre 2003
Lecture du 3 décembre 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 5ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 31 janvier 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE, dont le siège est Zone industrielle de la Punarun Punaavia, BP 3569 à Papeete (98713), représentée par son président-directeur général en exercice ; la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE demande au Conseil d’Etat d’annuler l’ordonnance du 28 novembre 2002 par laquelle la cour administrative d’appel de Paris a annulé l’ordonnance du 27 mai 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Papeete condamnant la société d’équipement de Tahiti et des Iles (SETIL) à verser à la société requérante une provision de 119 851 586 F CFP ainsi que la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Bouchez, Conseiller d’Etat,
les observations de Me Odent, avocat de la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE et de Me Blondel, avocat de la société d’équipement de Tahiti et des Iles,
les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la société d’équipement de Tahiti et des Iles (SETIL) a passé, le 26 août 1999, un marché de travaux publics avec la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE et la société JL Polynésie en vue de la réalisation de la route de contournement de l’aérodrome de Papeete Faa’a ; que, saisi sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative par la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE, qui n’avait pas reçu de la société d’équipement de Tahiti et des Iles depuis juillet 2001 les acomptes au titre de situations mensuelles correspondant à des travaux exécutés auxquels elle estimait avoir droit, le juge des référés du tribunal administratif de Papeete a accordé à l’entreprise une provision représentant le montant des acomptes dus ; que, sur appel de la société d’équipement de Tahiti et des Iles, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris a annulé l’ordonnance du premier juge et rejeté la demande présentée devant lui par la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie" ;
Considérant que si l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde, arrêté lors de l’établissement du décompte définitif, détermine les droits et obligations définitifs des parties, cette règle ne fait toutefois pas obstacle, eu égard notamment au caractère provisoire d’une mesure prononcée en référé, à ce qu’il soit ordonné au maître d’ouvrage de verser au titulaire d’un tel marché une provision au titre d’une obligation non sérieusement contestable lui incombant dans le cadre de l’exécution du marché, alors même que le décompte général et définitif n’aurait pas encore été établi ; que, notamment, lorsque le maître de l’ouvrage ne procède pas au versement d’acomptes auxquels a droit le titulaire du marché, ce dernier peut demander au juge des référés le versement d’une provision représentative de tout ou partie de leur montant ; que, par suite, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit en se fondant, pour annuler la décision du premier juge et rejeter la demande de la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE, sur la seule circonstance que le marché en cause n’avait pas encore donné lieu à l’établissement du décompte général et définitif ; qu’il y a lieu, par suite, d’annuler l’ordonnance attaquée ;
Considérant qu’en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant que le marché relatif à la réalisation de la route de contournement de l’aérodrome de Papeete Faa’a a été passé en 1999 entre la société d’équipement de Tahiti et des Iles et la société requérante ; que l’article 1.3 du cahier des clauses administratives particulières applicable désigne la société d’équipement de Tahiti et des Iles comme maître d’ouvrage, agissant comme concessionnaire des aérodromes d’Etat en Polynésie française ; que ce même article précise que, la date d’expiration de la concession étant arrêtée au 1er décembre 2000, l’Etat pourra "se subroger à la société d’équipement de Tahiti et des Iles dans tous ses droits et prendre dans ce cas la suite des obligations de celle-ci pour l’exécution du présent marché" ; qu’il résulte de l’instruction que la concession de la société d’équipement de Tahiti et des Iles, prolongée jusqu’au 30 juin 2001, a pris définitivement fin à cette date, à compter de laquelle ont cessé les versements d’acomptes à la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE ; que, dans ces conditions, si cette entreprise apportait la preuve des prestations réalisées, le débiteur de la créance afférente aux acomptes ne pouvait néanmoins être déterminé avec certitude ; que, par suite, c’est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Papeete a estimé que l’obligation dont se prévalait la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE pouvait être regardée comme non sérieusement contestable ; que la société d’équipement de Tahiti et des Iles est, dès lors, fondée à demander l’annulation de l’ordonnance du 27 mai 2002, par laquelle elle a été condamnée à verser à la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE la provision de 119 851 586 F CFP ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire application de ces dispositions et de condamner la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE à verser à la société d’équipement de Tahiti et des Iles la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’ordonnance du 28 novembre 2002 du juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris et l’ordonnance du 27 mai 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Papeete sont annulées.
Article 2 : La demande présentée par la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE devant le tribunal administratif de Papeete et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de la société d’équipement de Tahiti et des Iles tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE BERNARD TRAVAUX POLYNESIE, à la société d’équipement de Tahiti et des Iles (SETIL), au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer et au ministre de l’outre mer.