CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 255375, 255565
M. G.
DEPARTEMENT DES BOUCHES-DU-RHONE
M. Salesse
Rapporteur
Mme Boissard
Commissaire du gouvernement
Séance du 16 janvier 2004
Lecture du 21 janvier 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux
Vu 1°), sous le n° 255375, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 mars et 6 mai 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. André G. ; M. G. demande que le Conseil d’Etat :
1°) annule le décret n° 2003-156 du 27 février 2003 portant remodelage de cantons dans le département des Bouches-du-Rhône ;
2°) condamne l’Etat à lui verser 4 600 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré présentée le 16 janvier 2004 par le DEPARTEMENT DES BOUCHES-DU-RHONE ;
Vu la Constitution ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 90-1103 du 11 décembre 1990 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Salesse, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. G.,
les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les deux requêtes sont dirigées contre le même décret du 27 février 2003 qui modifie dans le DEPARTEMENT DES BOUCHES-DU-RHONE les limites de 28 cantons et en crée 5 supplémentaires ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant que l’article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales dispose que : "Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d’Etat après consultation du conseil général" ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation du décret dans son ensemble :
Sur la légalité externe :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le rapport de présentation, les documents cartographiques et les données chiffrées communiqués à l’assemblée départementale, qui n’a adressé aucune demande de renseignements complémentaires au préfet, donnaient une information suffisante au Conseil général pour qu’il se prononce sur le projet de remodelage de cantons qui lui était soumis pour avis ; qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose une consultation des communes du département faisant l’objet d’un remodelage des limites cantonales ; que si le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales a estimé utile de consulter certains conseils municipaux, la circonstance qu’il n’a pas étendu sa consultation à toutes les communes du département n’est pas de nature à entacher la procédure d’irrégularité ; que le décret n’avait ni à viser les avis des communes consultées ni à être motivé ;
Sur la légalité interne :
Considérant qu’en choisissant, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, d’entreprendre par priorité le remodelage de ceux des cantons du département dont la population dépasse 50 000 habitants, le Premier ministre n’a pas commis d’erreur de droit ; que la circonstance que le décret attaqué laisserait subsister, pour les cantons qui n’ont pas été remodelés, des inégalités démographiques importantes est sans influence sur sa légalité ; que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation des articles 1 et 3 du décret attaqué :
Considérant qu’il résulte de l’ensemble des dispositions de la Constitution, notamment de ses articles 3, 24 et 72, que le principe d’égalité des citoyens devant le suffrage s’applique à l’élection des assemblées délibérantes des collectivités locales ; qu’il suit de là que, s’il appartient au gouvernement, sous réserve de ne porter atteinte à aucune disposition législative régissant l’organisation administrative, de procéder, afin notamment de tenir compte de l’évolution démographique, au remodelage des circonscriptions cantonales d’un département, de telles opérations ne peuvent légalement augmenter les disparités d’ordre démographique existantes ; qu’elles ne sauraient avoir notamment pour objet ni, en principe, pour effet d’accroître, sauf pour des motifs d’intérêt général, l’écart de la population de chaque canton à la population cantonale moyenne dans le département ;
Considérant qu’en l’espèce la population cantonale moyenne qui était de 34 636 habitants avant le remodelage contesté est ramenée par l’effet de celui-ci à 31 650 ;
Sur l’article 3 du décret attaqué :
Considérant que l’article 3 du décret procède à un nouveau découpage complet des cantons de la ville de Marseille en portant leur nombre de 22 à 25 et en les insérant, en s’inspirant des principes de la loi du 11 juillet 1986, dans les limites des 8 circonscriptions législatives de manière à ce que chacune de celles-ci soit partagée en 3 cantons, sauf la 8ème circonscription qui comprendra 4 cantons ; que ce remodelage réduit les disparités démographiques en créant des cantons plus homogènes puisque, alors qu’avant le redécoupage, le canton le moins peuplé comptait 7 838 habitants et le plus peuplé 56 756, les chiffres correspondants passent, respectivement, à 25 491 et à 42 752 habitants ; que, pour 24 des 25 nouveaux cantons, l’écart à la population cantonale moyenne départementale a été réduit ;
Considérant que si le nouveau canton "Saint-Lambert" (26 238 habitants), qui prend la suite de celui de Marseille 13, compte 5 412 habitants de moins que la nouvelle moyenne départementale (31 650), soit un écart supérieur à celui (2 392) qui séparait l’ancienne moyenne départementale (34 636) et la population de l’ancien canton de Marseille 13 (37 028), il y a lieu de relever également, s’agissant des données d’ordre démographique, d’une part, que la division en trois cantons - dont celui de Saint-Lambert - de la troisième circonscription législative, qui compte un peu plus de 80 000 habitants, conduit à trois cantons d’environ 27 000 habitants chacun et que, d’autre part, en réduisant la population de ce canton antérieurement plus peuplé que la moyenne, la nouvelle délimitation est en cohérence avec l’ensemble du remodelage qui abaisse la population moyenne départementale ; qu’ainsi il ne résulte pas du rapprochement de l’ensemble de ces chiffres que l’accroissement de l’écart avec la moyenne départementale révèle une méconnaissance du principe d’égalité des citoyens devant le suffrage ;
Considérant que si le gouvernement est tenu lors d’une opération de remodelage des cantons de respecter les limites des arrondissements du département, aucune disposition législative ou réglementaire n’impose le respect des limites des arrondissements municipaux prévus par l’article L. 2511-3 du code général des collectivités territoriales ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’article 3 du décret attaqué ;
Sur l’article 1er du décret attaqué :
Considérant que l’article 1er du décret attaqué a pour objet de substituer cinq nouveaux cantons aux quatre cantons d’Aix-en-Provence Centre, Aix-en-Provence Nord-Est, Aix-en-Provence Sud-Ouest et Peyrolles-en-Provence ; que pourtant la population du nouveau canton d’Aix-en Provence I, qui remplace celui d’Aix-en-Provence Centre, est de 41 292 habitants alors que celle du canton d’Aix-en Provence Centre en comptait 39 291 ; qu’ainsi l’écart entre la population de ce nouveau canton et la nouvelle moyenne départementale est notablement supérieur à l’écart de la population de l’ancien canton à l’ancienne moyenne départementale ; qu’aucun motif d’intérêt général ne justifie cet accroissement ; que, dès lors, les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’article 1er du décret attaqué qui revêt un caractère indivisible ;
Sur les conclusions de M. G. tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à verser à M. G. une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’article 1er du décret du 27 février 2003 est annulé.
Article 2 : L’Etat versera 3 000 euros à M. G. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. G. et du DEPARTEMENT DES BOUCHES-DU -RHONE est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. André G., au DEPARTEMENT DES BOUCHES-DU-RHONE et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.