COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANCY
N° 97NC02711
SOCIETE LE NID
M. KINTZ
Président
M. VINCENT
Rapporteur
M. ADRIEN
Commissaire du Gouvernement
Arrêt du 10 avril 2003
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE NANCY
(Troisième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 29 décembre 1997 au greffe de la cour et complétée par mémoires enregistrés les 10 juillet 1998 et 15 juin 2000, présentés pour la SOCIETE LE NID, dont le siège social est 31, rue Grandville à Nancy (Meurthe-et-Moselle), par Me Joffroy, avocat au barreau de Nancy ;
La SOCIETE LE NID demande à la cour :
1°/ d’annuler le jugement du 23 septembre 1997 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa requête tendant à condamner solidairement l’Etat et la commune de Neuves-Maisons à l’indemniser des préjudices subis du fait de l’élaboration d’un plan d’exposition aux risques naturels concernant les terrains dont elle est propriétaire sur le territoire de la commune de Neuves-maisons et, par voie de conséquence, à lui rembourser les dépenses engagées inutilement par elle, s’élevant à la somme de 5 299 783 francs (807 946,71€), les frais financiers découlant du blocage de l’opération de lotissement, s’élevant à la somme de 4 872 090,10 (742 745,35 €) francs majorée des intérêts au taux légal, ainsi qu’une somme de 431 400 francs (65 766,51€) majorée des intérêts au taux légal en réparation du préjudice lié à la résolution de la vente de trois pavillons ;
2°/ de faire droit aux dites conclusions ;
3°/ de condamner solidairement l’Etat et la commune de Neuves-Maisons à lui payer la somme de 100 000 francs au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ainsi qu’à supporter la charge des dépens ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu la loi n° 87-565 du 22 juillet 1987 relative à l’organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l’incendie et à la prévention des risques majeurs modifiée par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 20 mars 2003 :
le rapport de M. VINCENT, Président,
les observations de Me BERNEZ, pour la SCP LEBON-MENNEGAND-BERNEZ, avocat de la SOCIETE LE NID, et de M. MARCOT, directeur de cabinet, pour la commune de Neuves-Maisons,
et les conclusions de M. ADRIEN, Commissaire du Gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu’après avoir écarté l’application des dispositions de l’article L 160-5 du code de l’urbanisme invoquées par la SOCIETE LE NID aux fins d’obtenir l’indemnisation du préjudice subi du fait de l’inconstructibilité d’une partie des parcelles dont elle est propriétaire sur le territoire de la commune de Neuves-Maisons et faisant l’objet d’un arrêté de lotissement, résultant de l’approbation d’un plan de prévention des risques de mouvements de terrain des coteaux de Moselle par arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle en date du 14 décembre 1995, les premiers juges ont également écarté le moyen tiré de la responsabilité de l’Etat du fait des conséquences préjudiciables de la loi susmentionnée du 22 juillet 1987 modifiée par la loi du 2 février 1995 instituant des plans de prévention des risques naturels prévisibles valant servitude d’utilité publique ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal n’aurait pas examiné d’office la possibilité d’engager la responsabilité sans faute de l’administration du fait de la rupture de l’égalité devant les charges publiques qui résulterait de l’institution d’une servitude d’utilité publique manque en fait ;
Sur les conclusions fondées sur les fautes qu’auraient commises l’Etat et la commune de Neuves-Maisons :
Considérant, d’une part, que s’il n’est pas contesté que les premières études destinées à analyser les risques dus aux mouvements de terrain des coteaux de Moselle ont débuté en 1984 et que les communes concernées ont été consultées le 15 décembre 1986 concernant l’élaboration d’un projet de plan d’exposition aux risques naturels, l’arrêté préfectoral du 27 avril 1987 prescrivant l’établissement d’un tel document a été public au recueil des actes administratifs du département, avec mention dans deux journaux locaux, ledit arrêté et le plan y annexé délimitant le périmètre mis à l’étude étant eux-mêmes tenus à la disposition du public aux mairies des communes concernés dont celle de Neuves-Maisons, ainsi qu’au siège de la préfecture et de la direction départementale de l’équipement ; que la SOCIETE LE NID était ainsi en mesure de prendre connaissance de ces documents et, par là-même, d’être informée que la constructibilité des parcelles dont elle était propriétaire sur le territoire de la commune de Neuves-Maisons était susceptible de faire à l’avenir l’objet de restrictions ; qu’en l’absence de tout caractère contraignant du projet de plan de prévention au stade précité de son élaboration, le fait pour la commune de Neuves-Maisons de délivrer le 29 juin 1988 un arrêté de lotissement à la SOCIETE LE NID, auquel était d’ailleurs annexé un plan détaillé faisant apparaître les parcelles qu’il était envisagé de placer en zone " rouge " et en zone " bleue " et ainsi susceptibles de faire l’objet d’une interdiction ou d’une restriction du droit de construire, n’est pas constitutif d’une faute ; que les périmètres ainsi délimités et les dispositions applicables dans chaque zone n’étant pas encore définitivement arrêtés, la commune de Neuves-Maisons n’a par ailleurs pas commis de faute en prescrivant la réalisation d’études complémentaires de sol destinées à parfaire le diagnostic des risques encourus et à préciser les mesures à mettre en œuvre concernant la pose des fondations ; que, par suite, le moyen tiré de l’attitude fautive de l’administration en ce qu’elle ne l’aurait pas informée de l’élaboration du plan d’exposition aux risques et l’aurait laissée librement procéder à la réalisation du lotissement considéré ne peut qu’être écarté ;
Considérant, d’autre part, qu’il résulte de l’instruction qu’après dépôt du rapport technique de synthèse en 1990, un arrêté préfectoral du 7 octobre 1991 a rendu public le projet de plan ; qu’en raison de l’avis défavorable du commissaire-enquêteur, et en fonction de la réglementation alors applicable, l’instruction du dossier a alors été poursuivie à l’échelon national avant que, selon les nouvelles dispositions issues de la loi précitée du 2 février 1995, le préfet de Meurthe-et-Moselle n’approuve par l’arrêté susmentionné du 14 décembre 1995 le plan d’exposition aux risques comme valant plan de prévention des risques naturels prévisibles aux termes de ladite loi, ce qui a eu pour effet de le rendre opposable aux tiers ; que si la procédure d’élaboration du plan considéré s’est ainsi déroulée sur une durée particulièrement longue, notamment en ce qui concerne la phase postérieure à la publication du projet, la société requérante n’établit toutefois pas le lien de causalité entre le préjudice qu’elle invoque et l’importance du délai séparant les premières études de l’approbation du plan de prévention, dont il n’est au demeurant pas prouvé qu’il résulterait d’une négligence fautive de l’administration ;
Sur les conclusions fondées sur la responsabilité sans faute de l’administration :
En ce qui concerne l’application des dispositions de l’article L 160-5 du code de l’urbanisme :
Considérant qu’aux termes de l’article L 160-5 du code de l’urbanisme " N’ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code ... concernant, notamment, l’utilisation du sol ...l’interdiction de construire dans certains zones .. Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ... " ; que seules sont susceptibles d’être indemnisées sur ce fondement les servitudes instituées en application du code de l’urbanisme à l’exclusion de celles instaurées par des dispositions qui n’ont pas été incorporées dans ce code ;
Considérant qu’il est constant que le plan d’exposition aux risques naturels prévisibles de mouvements de terrain des coteaux de Moselle, approuvé comme valant plan de prévention des risques par arrêté du 14 décembre 1995 du préfet de Meurthe-et-Moselle et assorti d’un règlement prévoyant l’interdiction de toute construction en " zone rouge " et diverses contraintes quant à la conception des constructions en " zone bleue ", a été pris en application de la loi susvisée du 22 juillet 1987 modifiée par l’article 16 de la loi du 2 février 1995, exclusivement codifiée sur ce point à l’article L 562-1 du code de l’environnement ; que les servitudes qu’il institue ne sont ainsi pas au nombre de celles visées par les dispositions précitées du code de l’urbanisme, alors même qu’aux termes de l’article 40-4 de la loi du 22 juillet 1987 modifiée, le plan de prévention des risques approuvé vaut servitude d’utilité publique et est ainsi annexé au plan d’occupation des sols conformément aux articles L 126-1 et R 126-1 du code de l’urbanisme ;
En ce qui concerne les conclusions fondées sur la rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques :
Considérant que, contrairement à ce que soutient la SOCIETE LE NID, le plan d’exposition aux risques naturels de mouvements de terrain ne poursuit pas un simple objectif de régulation économique en évitant d’éventuels litiges entre lotisseurs et acquéreurs, mais vise à préserver la sécurité des populations exposées à ces risques ; qu’eu égard au but d’intérêt général ainsi poursuivi, le législateur doit, en l’absence de dispositions expresses en sens contraire, être regardé comme ayant entendu exclure la responsabilité de l’Etat à raison des conséquences dommageables que les dispositions de la loi susmentionnée de 1987 et de ses textes d’application ont pu comporter pour les lotisseurs mis dans l’impossibilité de commercialiser les parcelles situées dans des zones déclarées inconstructibles par les plans de prévention ; qu’au regard de l’objectif de sécurité des habitants auquel répondent ces dispositions et compte tenu de l’étendue géographique des périmètres de protection instaurés par le plan de prévention des risques de mouvements de terrain des coteaux de Moselle, qui régit de la même façon l’ensemble des propriétés concernées, les servitudes affectant les parcelles en cause ne sauraient par ailleurs être regardées comme faisant supporter à la société requérante une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi et ainsi de nature à ouvrir droit à indemnisation ; que, par suite, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement et la commune de Neuves-Maisons, la SOCIETE LE NID n’est pas fondée à se prévaloir d’une rupture de l’égalité devant les charges publiques pour rechercher la responsabilité de l’Etat ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la SOCIETE LE NID n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa requête tendant à condamner conjointement et solidairement l’Etat et la commune de Neuves-Maisons à lui verser diverses sommes en réparation des préjudices liés à l’inconstructibilité d’une partie des parcelles du lotissement en cause ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat et la commune de Neuves-Maisons, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, soient condamnés à verser à la SOCIETE LE NID la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la SOCIETE LE NID à verser à la commune de Neuves-Maisons la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
ARTICLE 1er : La requête de la SOCIETE LE NID est rejetée ainsi que les conclusions de la commune de Neuves-Maisons tendant à l’application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
ARTICLE 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE LE NID, au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, au ministre de l’écologie et du développement durable et à la commune de Neuves-Maisons.