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NOTES ET COMMENTAIRES :
Conclusions de Victor Haïm, AJDA 2003, p.296

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Cour administrative d’appel de Paris, formation plénière, 17 décembre 2002, n° 02PA01102, Commune de Yerres c/ Préfet de l’Essonne

Les pouvoirs généraux que les services de police peuvent exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs ne font pas obstacle à ce que, pour contribuer à leur protection, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions susvisées des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. La légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est toutefois subordonnée à la double condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées et qu’elles soient adaptées par leur contenu à l’objectif de protection pris en compte.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

N° 02PA01102

---------------
COMMUNE DE YERRES
c/ Préfet de l’Essonne
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M. RACINE
Président
---------------
M. ALFONSI
Rapporteur
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M. HAÏM
Commissaire du Gouvernement
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Séance du 2 décembre 2002
Lecture du 17 décembre 2002

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

(Formation plénière)

VU la requête enregistrée au greffe de la cour le 28 mars 2002 et régularisée le 29 mars 2002, présentée pour la COMMUNE DE YERRES, représentée par son maire en exercice, par Me SYMCHOWICZ, avocat ; la COMMUNE DE YERRES demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement en date du 24 janvier 2002 par lequel le tribunal administratif de Versailles a annulé l’arrêté du maire de Yerres du 19 juillet 2001 réglementant la circulation des mineurs de moins de treize ans sur le territoire de la commune du 19 juillet au 6 septembre 2001 ;

2°) à titre principal de prononcer un non lieu à statuer sur le déféré présenté par le préfet de l’Essonne devant le tribunal administratif de Versailles ;

3°) subsidiairement de rejeter le déféré du préfet de l’Essonne ou, à défaut d’annuler cet arrêté uniquement en tant qu’il interdit la circulation des mineurs entre 22 heures et 23 heures et dans les parties non urbanisées de la commune ;

4°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 3.000 euros en application de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

VU les autres pièces du dossier ;

VU l’ordonnance n° 45-174 du 2 novembre 1945 modifiée, relative à l’enfance délinquante ;

VU le code général des collectivités territoriales ;

VU le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 2 décembre 2002 :
- le rapport de M. ALFONSI, premier conseiller,
- les observations de Me SYMCHOWICZ, avocat, pour la COMMUNE DE YERRES, et celles de M. Picquet pour la préfecture de l’Essonne,
- et les conclusions de M. HAÏM, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que, par son arrêté du 19 juillet 2001, le maire de la COMMUNE DE YERRES a interdit, pour la période du 19 juillet au 6 septembre 2001 inclus, la circulation sur le territoire de la commune, entre 22 heures et 6 heures du matin, des mineurs âgés de moins de treize ans non accompagnés d’une personne majeure ; que, sur le fondement des dispositions de l’article L.2131-6 du code général des collectivités territoriales reproduites sous les articles L.554-1 et L.554-3 du code de justice administrative, le préfet de l’Essonne a demandé au président du tribunal administratif de Versailles de suspendre les effets de cet arrêté jusqu’à ce qu’il ait été statué sur son déféré tendant à l’annulation dudit acte ; que si, par ordonnance du 25 juillet 2001, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a fait droit à cette demande, le juge des référés du Conseil d’Etat, saisi par la voie de l’appel par la COMMUNE DE YERRES, a limité la mesure de suspension prononcée par le premier juge aux effets dudit arrêté sur la seule partie non urbanisée de la commune ; que par un nouvel arrêté pris le 13 août 2001 à la suite de l’ordonnance rendue le 10 août 2001, le maire de Yerres a modifié son précédent arrêté du 19 juillet 2001, d’une part, en limitant l’interdiction de circuler faite aux mineurs de moins de treize ans non accompagnés d’une personne majeure à la partie urbanisée du territoire de la COMMUNE DE YERRES et, d’autre part, en repoussant de 22 heures à 23 heures le début de la période réglementée, comme le représentant de la commune s’y était engagé devant le juge des référés du Conseil d’Etat ; que par le jugement attaqué, rendu sur le déféré du préfet de l’Essonne, le tribunal administratif de Versailles a annulé pour excès de pouvoir l’arrêté du 19 juillet 2001 modifié par l’arrêté du 13 août 2001 réglementant la circulation des mineurs de moins de treize ans sur certaines parties du territoire de la COMMUNE DE YERRES ;

Sur le régularité du jugement attaqué :

Considérant que ni la circonstance que le juge des référés du Conseil d’Etat n’a suspendu les effets de l’arrêté du 19 juillet 2001 que sur la partie non urbanisée du territoire communal jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le déféré du préfet de l’Essonne, ni celle que l’arrêté modificatif du 13 août 2001 a abrogé les dispositions de l’arrêté déféré qui réglementaient la circulation des mineurs de moins de treize ans, d’une part, entre 22 heures et 23 heures, et, d’autre part, sur la partie non urbanisée du territoire de la COMMUNE DE YERRES ne rendaient sans objet les conclusions de ce déféré ; que, d’ailleurs, il ressort du dispositif du jugement attaqué que l’annulation contentieuse prononcée par les premiers juges ne s’étend pas, en tout état de cause, aux dispositions susanalysées de l’arrêté du 19 juillet 2001 abrogées par l’arrêté modificatif du 13 août 2001 ; qu’il suit de là que la COMMUNE DE YERRES n’est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Versailles aurait entaché son jugement d’irrégularité en ne décidant pas qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le déféré du préfet de l’Essonne ;

Sur la légalité de l’arrêté du maire de Yerres du 19 juillet 2001 :

Considérant qu’aux termes de l’article L.2212-1 du code général des collectivités locales : "Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale..." ; qu’en vertu de l’article L.2212-2 du même code, la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique ; que les pouvoirs généraux que les services de police peuvent exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs ne font pas obstacle à ce que, pour contribuer à leur protection, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions susvisées des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales ; que la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est toutefois subordonnée à la double condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées et qu’elles soient adaptées par leur contenu à l’objectif de protection pris en compte ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, en particulier du contrat local de sécurité conclu le 11 janvier 2001, que si la ville de Yerres, dont le taux de criminalité et les faits de délinquance de voie publique, nettement inférieurs à ceux constatés dans les communes voisines, sont, à l’exception de l’année 1998, en baisse sur l’ensemble de la période étudiée par ce contrat, soit depuis 1996, n’est pas une ville qualifiée de sensible au regard des statistiques de l’activité policière en matière de criminalité ou de délinquance, elle connaît cependant, suivant ce document, qui identifie comme sensibles les quartiers Les Tournelles et Renouveau et le quartier Gambetta, concernés par une délinquance liée aux stupéfiants notamment en soirée, « un phénomène embryonnaire de bandes, de 20 à 30 jeunes, âgés de 15 à 18 ans » », notamment en raison de la présence d’un établissement d’enseignement drainant des élèves venant des communes voisines et d’une desserte par le réseau express régional de la SNCF située à proximité d’une patinoire ; que le contrat local de sécurité relève en outre une augmentation de la part relative des mineurs mis en cause pour des faits de délinquance de voie publique ; qu’ainsi, même si l’augmentation relative de la délinquance juvénile n’est pas spécifiquement imputable aux mineurs de moins de treize ans et bien que le taux de criminalité et de délinquance observés à Yerres reste inférieur à celui constaté dans les communes voisines de taille comparable, la mesure de restriction à la liberté de circulation des mineurs de moins de treize ans non accompagnés entre 23 heures et 6 heures contenue dans l’arrêté déféré, tel que modifié par l’arrêté du 13 août 2001, n’était ni dépourvue de justification tenant à l’existence de risques particuliers ni inadaptée à l’objectif de protection pris en compte ; que la circonstance que la COMMUNE DE YERRES n’a produit devant les premiers juges aucune pièce de nature à étayer les observations orales présentées par son représentant lors de l’audience publique tenue le 10 août 2001 devant le juge des référés du Conseil d’Etat est sans incidence sur la légalité de cet arrêté ; qu’il suit de là que c’est à tort que, pour annuler ledit arrêté tel que modifié par l’arrêté du 13 août 2002, le tribunal administratif de Versailles s’est fondé sur le motif que ni les risques que ferait courir à l’ordre public la circulation des mineurs de moins de treize ans non accompagnés ni ceux qu’ils encourraient eux-mêmes en circulant seuls entre 23 heures et 6 heures ne pouvaient être regardés comme établis ;

Considérant toutefois qu’il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens présentés par le préfet de l’Essonne devant le tribunal administratif de Versailles ;

Considérant, en premier lieu, que les pouvoirs de police à l’égard des mineurs que l’ordonnance n° 45-174 du 2 novembre 1945 modifiée relative à l’enfance délinquante réserve, sous le contrôle du juge judiciaire, aux services de la police nationale, ne faisaient pas obstacle à ce que, par l’article 2 de l’arrêté déféré, le maire de Yerres dispose que tout mineur de moins de treize ans en infraction avec les dispositions de cet arrêté pourra être reconduit à son domicile ou au commissariat de police par les agents de la police nationale, dès lors que les dispositions dudit article, qui ne sont applicables qu’en cas d’urgence, ne méconnaissent pas les règles relatives à l’exécution d’office ;

Considérant, en second lieu, que si le contrat local de sécurité identifie comme sensibles les seuls quartiers Tournelles, Renouveau et Gambetta, la taille réduite de la COMMUNE DE YERRES, qui comprend 28.000 habitants et la configuration de ses voies de communication permettant une grande mobilité des bandes de délinquants issues ou non de la comune, qui est desservie par le réseau express régional (RER), rendraient irréaliste une réglementation limitée à ces seuls quartiers ; que, par suite, la restriction à la circulation des mineurs de moins de treize ans édictée par le maire pouvait légalement s’appliquer à l’ensemble des parties urbanisées du territoire communal, sans que soit méconnu le principe d’égalité entre les habitants des quartiers décrits comme sensibles par le contrat local de sécurité et ceux qui n’y résident pas, dès lors que les mineurs de moins de treize ans dont la protection est recherchée s’y trouvent en fait exposés aux mêmes risques en raison des caractéristiques propres à cette agglomération ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE DE YERRES est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé l’arrêté du maire d’Yerres du 19 juillet 2001 modifié par son arrêté du 13 août 2001 ;

Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à la COMMUNE DE YERRES la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement en date du 24 janvier 2002 du tribunal administratif de Versailles est annulé.

Article 2 : Le déféré présenté par le préfet de l’Essonne devant le tribunal administratif de Versailles est rejeté.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la COMMUNE DE YERRES est rejeté.

 


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