CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 234415
ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS
M. Thiellay
Rapporteur
M. Guyomar
Commissaire du gouvernement
Séance du 9 décembre 2002
Lecture du 30 décembre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juin et 8 octobre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS, dont le siège est 11, place Dauphine à Paris (75001) ; l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 3 avril 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement du 21 juin 2000 du tribunal administratif de Paris qui avait annulé la décision du préfet de police du 6 janvier 1999 rejetant le recours gracieux de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS contre la décision du 18 août 1998 du préfet de police refusant de modifier les conditions d’accueil des avocats au centre de rétention administrative de Vincennes ;
2°) de rejeter le recours présenté par le ministre de l’intérieur devant la cour administrative d’appel de Paris ;
3°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur et au préfet de police d’autoriser l’installation au centre de rétention administrative de Vincennes d’une permanence d’avocats, d’une ligne téléphonique et d’un télécopieur au sein des locaux affectés aux échanges avec les avocats, sous peine d’unne astreinte de 3 000 F (457,35 euros) par jour de retard au terme d’un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir ;
4°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 30 000 F (4 573,47 euros) au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Thiellay, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du CONSEIL DE l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS,
les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction issue de la loi du 11 mai 1998 : « Peut être maintenu, s’il y a nécessité, par décision écrite motivée du représentant de l’Etat dans le département, dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pendant le temps strictement nécessaire à son départ, l’étranger qui : / 1 ° soit, devant être remis aux autorités compétentes d’un Etat de la Communauté européenne en application de l’article 33, ne peut quitter immédiatement le territoire français ; / 2° soit, faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion, ne peut quitter immédiatement le territoire français ; / 3° soit, devant être reconduit à la frontière, ne peut quitter immédiatement le territoire français (...). Dès le début du maintien, l’intéressé peut demander l’assistance d’un interprète, d’un médecin, d’un conseil et peut, s’il le désire, communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix ; il en est informé au moment de la notification de la décision de maintien ; mention en est faite sur le registre prévu ci-dessus émargé par l’intéressé. Il peut, le cas échéant, bénéficier de l’aide juridictionnelle » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS a saisi le préfet de police, le 7 mai 1998, afin d’obtenir l’amélioration des conditions dans lesquelles les étrangers placés en rétention administrative au centre de Vincennes peuvent avoir accès aux conseils d’un avocat ; que l’ordre demandait la mise en place d’une permanence tous les jours entre 14 heures et 17 heures et la mise à disposition des avocats d’un local, équipé d’un téléphone et d’un télécopieur où les entretiens avec les clients puissent se dérouler en toute confidentialité ;
Considérant que, si le législateur, par la loi du 11 mai 1998 quia modifié l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, a prévu que la faculté de demander l’assistance d’un conseil doit s’exercer « dès le début du maintien » en rétention, cette disposition, dont la portée ne soulève aucune difficulté d’interprétation qui justifierait une référence aux travaux préparatoires, implique seulement que les personnes placées en rétention puissent demander l’assistance d’un avocat, sans qu’il soit nécessaire qu’un avocat soit, grâce àune permanence, accessible à tout moment ; que, par suite, l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS n’est pas fondé à soutenir que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, qui a rejeté pour ce motif ses conclusions sur ce point, est entaché d’une erreur de droit ;
Considérant qu’après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 21 juin 2000, la cour administrative d’appel de Paris a estimé que « si le conseil de l’ordre des avocats à la cour de Paris souligne l’insuffisance, à la date de la décision attaquée, des moyens accordés au centre de rétention administrative de Vincennes en vue d’assurer le droit à l’assistance d’un conseil dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges, le seul refus administratif contesté d’autoriser l’installation d’une permanence d’avocats au centre de rétention des étrangers de Vincennes, n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation » ; qu’elle n’a pas, en se bornant à exercer un tel contrôle sur la décision du préfet de police, qui est relative au choix par l’administration des moyens à mettre en oeuvre pour appliquer les dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945, méconnu sa compétence ni entaché son arrêt d’une erreur de droit ;
Considérant, en revanche, que la cour administrative d’appel de Paris a, en estimant qu’elle était saisie du "seul refus administratif contesté d’autoriser l’installation d’une permanence d’avocats au centre de rétention des étrangers de Vincennes", dénaturé la portée des conclusions qui lui étaient présentées, l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS demandant également, par un appel incident, l’annulation de la décision du préfet de police du 6 janvier 1999 en tant qu’elle refusait la mise en place d’un local adapté à des échanges confidentiels entre les avocats et les personnes placées en rétention et équipé d’une ligne de téléphone et d’un télécopieur ; qu’il y a lieu, pour ce motif, d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 3 avril 2001, en ce qui concerne l’appel incident de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur l’appel incident de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif de Paris, qui était saisi de conclusions tendant à l’annulation de la décision du préfet de police refusant, d’une part, la mise en place d’une permanence d’avocats et, d’autre part, l’installation d’un local adapté aux échanges confidentiels entre les avocats et les personnes placées en rétention et équipé d’une ligne de téléphone et d’un télécopieur, a omis de statuer sur ce dernier point ; que, par suite, le jugement du tribunal administratif de Paris du 21 juin 2000 doit être annulé en tant-qu’il a omis de statuer sur les conclusions de l’ORDRE- DES-AVOCATS A LA COUR DE PARIS relatives à un local adapté et équipé ; qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer sur ces conclusions ;
Sur la recevabilité de la requête de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS :
Considérant que, contrairement à ce que soutient le préfet de police, l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS a intérêt à demander l’annulation de la décision attaquée ; que le bâtonnier de cet ordre a qualité pour déférer cette décision au juge administratif ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que les dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 impliquent que, pour permettre l’exercice de leurs droits par les personnes maintenues en rétention, et compte tenu notamment de la brièveté du délai de recours contentieux en matière de reconduite à la frontière, l’administration mette à la disposition des avocats un local permettant la confidentialité de leurs échanges avec les personnes en rétention et équipé des moyens adéquats pour faire usage des voies de recours ouvertes aux intéressés ; que, par suite, en refusant la mise à la disposition des avocats, au centre de rétention de Vincennes, d’un local adapté, répondant aux caractéristiques sollicitées par l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS, le préfet de police a méconnu les dispositions prises par le législateur pour garantir les droits des étrangers placés en rétention administrative ; que sa décision du 6 janvier 1999 doit, dans cette mesure, être annulée ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant qu’aux ternes de l’article L.911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ; que la présente décision implique nécessairement que le ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales installe, au centre de rétention de Vincennes, un local adapté, permettant des échanges confidentiels avec les étrangers placés en rétention, et équipé notamment d’une ligne téléphonique et d’un télécopieur ; qu’il y a lieu de lui enjoindre de procéder à cette installation dans le délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761 du code de justice administrative ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à verser à l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 3 avril 2001 est annulé en tant qu’il concerne les conclusions de l’appel incident de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS.
Article 2 : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 21 juin 2000 sont annulés.
Article 3 : La décision du préfet de police du 6 janvier 1999 est annulée en tant qu’elle refuse la mise en place au centre de Vincennes d’un local adapté et équipé pour les avocats.
Article 4 : Il est enjoint au ministre de l’intérieur, de lasécurité intérieure et des libertés locales d’installer, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, au centre de rétention de Vincennes, un local adapté, permettant notamment des échanges confidentiels entre les avocats et les étrangers placés en rétention, et équipé notamment d’une ligne téléphonique et d’un télécopieur.
Article 5 : L’Etat est condamné à verser à l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à l’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE PARIS, au préfet de police et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieuritet des libertés locales.