COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
N° 01PA00075
M. R.
M. RACINE
Président
M. JARDIN
Rapporteur
M. DEMOUVEAUX
Commissaire du Gouvernement
Séance du 21 octobre 2002
Lecture du 5 novembre 2002
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS
(Formation Plénière)
VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 8 janvier 2001, présentée par M. Saïd André R. ; M. R. demande à la cour d’annuler le jugement du 15 décembre 2000 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision en date du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) le plaçant à l’isolement ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code de procédure pénale ;
VU la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 21 octobre 2002 :
le rapporte de M. JARDIN, premier conseiller ,
les observations de Me NZALOUSSOU, avocat, pour M. R. ,
et les conclusions de M. DEMOUVEAUX , commissaire du Gouvernement ;
Sur les conclusions présentées pour la première fois en appel par M. R. :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les moyens de la requête :
Considérant que M. R. qui devant le tribunal administratif n’a demandé que l’annulation de la décision en date du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy ( Yvelines) le plaçant à l’isolement , demande en outre à la cour, d’une part, d’annuler la décision prononçant son transfèrement à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy (Yvelines) et la décision en date du 3 septembre 1998 du directeur régional des services pénitentiaires de Paris autorisant la prolongation de son placement à l’isolement pour une durée de trois mois, d’autre part, de condamner l’Etat à lui verser une indemnité de 7.622,45 euros en réparation du préjudice résultant pour lui de l’illégalité de ces deux décisions et de celle déjà mentionnée en date du 18 juin 1998 ; que ces conclusions à fin d’annulation et d’indemnisation, qui sont nouvelles en appel, ne peuvent qu’être rejetées comme irrecevables ;
Sur les conclusions dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Versailles du 15 décembre 2000 :
Considérant que l’article D. 283-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue du décret n° 96-287 du 2 avril 1996 applicable en l’espèce, dispose : "Tout détenu se trouvant dans un établissement ou un quartier en commun peut soit sur sa demande, soit par mesure de précaution ou de sécurité, être placé à l’isolement./ La mise à l’isolement est ordonnée par le chef de l’établissement qui rend compte à bref délai au directeur régional et au juge de l’application des peines. Le chef de l’établissement fait en outre rapport à la commission de l’application des peines dès la première réunion suivant la mise à l’isolement ou le refus opposé à la demande d’isolement du détenu./ Le détenu peut faire parvenir au juge de l’application des peines soit directement, soit par l’intermédiaire de son conseil, toutes observations utiles en ce qui concerne la décision prise à son égard. / Les détenus placés à l’isolement sont signalés au médecin qui les visite dans les conditions prévues à l’article D 375 . Le médecin émet, chaque fois qu’il l’estime utile, un avis sur l’opportunité de prolonger l’isolement ou d’y mettre fin./ La durée de l’isolement ne peut être prolongée au delà de trois mois sans qu’un nouveau rapport ait été fait devant la commission de l’application des peines et sans une décision du directeur régional, prononcée après avis du médecin" ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions, en premier lieu , que le pouvoir dévolu au chef d’établissement de placer un détenu à l’isolement contre son gré ne peut légalement s’exercer que dans le but de prévenir ou de faire cesser les désordres ou atteintes à la sécurité des personnes et des biens que provoquerait le maintien du détenu dans l’établissement ou le quartier en commun ; en deuxième lieu que la décision de placer un détenu à l’isolement et les motifs sur lesquels elle repose doivent être immédiatement portés à la connaissance d’autorités qui, comme le directeur régional, appartiennent à l’administration pénitentiaire mais sont extérieures à l’établissement ou qui, comme le juge de l’application des peines ou le procureur de la République pris en sa qualité de membre de la commission d’application des peines, loin d’appartenir à l’administration pénitentiaire, sont au contraire chargés d’en contrôler l’action ; qu’au surplus, seul le directeur régional peut prolonger la mise à l’isolement ; en troisième lieu que par nature le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré rend difficile, voire impossible, pour une durée qui peut atteindre trois mois et être prolongée, tant l’attribution ou la conservation d’un travail rémunéré que la participation à des activités collectives organisées dans l’établissement au titre de l’action socio-culturelle, de l’enseignement et de la formation professionnelle ; qu’ ainsi une telle mesure aggrave les conditions matérielles de la détention, quand bien même l’article D 283-2 du code de procédure pénale postule que le "régime ordinaire de détention" demeure celui qui s’applique aux détenus placés à l’isolement ;
Considérant que, dans ces conditions, le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré constitue non une mesure d’ordre intérieur mais une décision faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; que M. R. est dès lors fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Versailles, par le jugement attaqué, a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l’annulation de la décision du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines) le plaçant à l’isolement ;
Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. R. devant le tribunal administratif de Versailles ;
Considérant que l’article 1er de la loi susvisée du 11 juillet 1979 dispose : ’Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : -(...) imposent des sujétions’ ; qu’aux termes de l’article 3 de la même loi :’La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision° ;
Considérant qu’en guise de motivation, le directeur de la maison d’arrêt s’est borné à souligner sur un formulaire préimprimé l’un des motifs de placement à l’isolement énumérés par ce document, à savoir ’troubles à l’ordre ou à la discipline dans l’établissement’ ; qu’en s’abstenant de préciser les éléments de fait caractérisant ces troubles, alors que la décision litigieuse a été prise le jour du transfert de M. R. à la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, le directeur n’a pas satisfait aux exigences de motivation prescrites par les dispositions précitées de la loi du 11 juillet 1979 ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. R. est fondé à demander l’annulation de la décision du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 15 décembre 2000 du tribunal de Versailles, ensemble la décision en date du 18 juin 1998 du directeur de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy (Yvelines) plaçant M. R. à l’isolement, sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête d’appel présentée par M. R. est rejeté.