CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 233467, 233940
UNION DES METIERS ET DES INDUSTRIES DE L’HOTELLERIE et autre
CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL et autres
M. Bereyziat
Rapporteur
M. Bachelier
Commissaire du gouvernement
Séance du 9 octobre 2002
Lecture du 6 novembre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu 1°), sous le n° 233467, la requête, enregistrée le 9 mai 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par l’UNION DES METIERS ET DES INDUSTRIES DE L’HOTELLERIE (LTMIH), dont le siège est 22, rue d’Anjou à Paris (75008) et par le SYNDICAT NATIONAL DE LA RESTAURATION PUBLIQUE ORGANISEE (SNRPO), dont le siège est Immeuble Péricentre, rue Van Gogh à Villeneuve d’Ascq (59650) ; les organisations requérantes demandent au Conseil d’Etat
1°) d’annuler le décret n° 2001-237 du 20 mars 2001 relatif aux conditions d’application du taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée aux recettes provenant de la fourniture de repas dans les cantines d’entreprises ;
2°) d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de ce décret ;
3°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 23 900 F au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2°) sous le n° 233940, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 21 mai 2001 et 21 septembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL (CGT), dont le siège est 263, rue de Paris à Montreuil (93516 cedex), par le COMITE CENTRAL D’ENTREPRISE DE LA SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER, dont le siège est 68, avenue Gambetta, B.P. 199 à Bagnolet (93172 cedex) et par la CAISSE CENTRALE D’ACTIVITE SOCIALE, dont le siège est 8, rue de Rosny, B.P. 499 à Montreuil (93104 cedex) ; elles demandent au Conseil d’Etat d’annuler le décret du 20 mars 2001 susmentionné ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977, modifiée notamment par la directive 92/77/CEE du 19 octobre 1992, complétant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
Vu la loi n° 68-687 du 30 juillet 1968 portant loi de finances rectificative ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Bereyziat, Auditeur,
les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL et autres,
les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n°s 233467 et 233940 sont dirigées contre le même décret n° 2001-237 du 20 mars 2001 ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie :
Sur la requête n° 233940 :
Considérant que la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL et autres font valoir que les dispositions du décret attaqué sont incompatibles avec les objectifs de la sixième directive du 17 mai 1977 susvisée, en tant qu’elles ne prévoient pas l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée des prestations de restauration fournies dans les cantines d’entreprises, dès lors que ces cantines sont gérées par des comités d’entreprise ; qu’ils en demandent, dans cette mesure, l’annulation ;
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 261-7-1° b du code général des impôts, sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée : "Les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l’autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient" ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que les organismes qui poursuivent un objet social sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée dès lors, d’une part, que leur gestion présente un caractère désintéressé, et, d’autre part, que les services qu’ils rendent ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d’attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique ; que, toutefois, même dans le cas où l’organisme intervient dans un domaine d’activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée lui est acquise s’il exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s’adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et à tout le moins des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l’information du public sur les services qu’il offre ;
Considérant que la seule circonstance que des cantines d’entreprises soient gérées par ou sous le contrôle d’un comité d’entreprise ne fait pas entrer dans les prévisions des dispositions législatives susanalysées et n’exonère pas, par elle-même, de taxe sur la valeur ajoutée les prestations de restauration qui y sont fournies ;
Considérant, en second lieu, que les prestations de restauration fournies par les organismes gestionnaires de cantines d’entreprises ne sont pas, en tout état de cause, au nombre des prestations rendues à leurs membres par certains groupements autonomes et organismes sans but lucratif qui sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée en venu des paragraphes f) et I) du 1 du A de l’article 13 de la directive du 17 mai 1977 susvisée ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, le COMITE CENTRAL D’ENTREPRISE DE LA SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER et la CAISSE CENTRALE D’ACTIVITE SOCIALE ne sont, en tout état de cause, pas fondés à demander l’annulation du décret attaqué ;
Sur la requête n° 233467 :
Sur l’intervention du Syndicat national de la restauration collective (SNRC) :
Considérant que ce syndicat a intérêt au maintien du décret attaqué ; qu’ainsi son intervention est recevable ;
Sur la légalité du décret attaqué :
Considérant, en premier lieu, qu’en vertu de l’article 279 a bis du code général des impôts, dont les dispositions sont issues de l’article 5 de la loi du 30 juillet 1968 susvisée, la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit en ce qui concerne les recettes provenant de la fourniture des repas dans les cantines d’entreprises et répondant aux conditions qui sont fixées par décret ; qu’il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu appliquer le taux susmentionné, sous réserve du respect des conditions prévues par voie réglementaire, à l’ensemble des recettes afférentes à la fourniture de repas servis dans les cantines d’entreprises, que cette fourniture soit effectivement réalisée par des entreprises tierces ou par l’organisme gestionnaire desdites cantines ; que, par suite, l’UNION DES METIERS ET DES INDUSTRIES DE L’HOTELLERIE et le SYNDICAT NATIONAL DE LA RESTAURATION PUBLIQUE ORGANISEE ne sont pas fondés à soutenir qu’en complétant, par l’article 1er du décret attaqué, l’article 85 bis de l’annexe III au même code, en vue de préciser les conditions dans lesquelles la fourniture directe de repas par l’organisme gestionnaire d’une cantine d’entreprise peut être soumise au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée au taux réduit, le gouvernement a méconnu l’étendue de ses compétences en modifiant le champ d’application de ce taux réduit ; qu’il suit également de là que les organisations requérantes ne peuvent utilement soutenir qu’en assujettissant les recettes en cause au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée, le décret attaqué aurait pour effet de rompre l’égalité des contribuables devant les charges publiques ;
Considérant, en second lieu, qu’aux termes du d) du 2 de l’article 28 de la directive du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 susvisée : "Les Etats membres qui, au 1er janvier 1991, appliquaient un taux réduit à la restauration (...) peuvent continuer d’appliquer un tel taux à la livraison de ces biens ou à la prestation de ces services" ; qu’eu égard aux objectifs poursuivis par ladite directive, ces dispositions font seulement obstacle à ce qu’un Etat membre modifie en l’étendant, postérieurement au 1er janvier 1991, la liste des biens et des prestations de service auxquels s’applique le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée en application de la seule réglementation nationale ; que, pour l’interprétation de ces dispositions relatives au champ d’application du taux réduit de cette taxe, il n’y a pas lieu d’examiner le champ d’application des opérations exonérées, en droit ou en fait, de cette même taxe ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les recettes provenant de la fourniture directe de repas par les organismes gestionnaires de cantines d’entreprises entraient, à la date du 1er janvier 1991, dans le champ d’application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée prévu par les dispositions de l’article 279 a bis du code général des impôts ; qu’à cette même date, la loi fiscale confiait au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les conditions d’application de ce taux ; que, dès lors, en se bornant à fixer, par les dispositions du décret attaqué, de telles conditions, qui n’ont pas par elles-mêmes pour effet d’étendre la liste des prestations de restauration soumises au taux réduit, le gouvernement n’a pas méconnu les objectifs poursuivis par les dispositions de l’article 28-2-d) de la directive précitée ; que la circonstance qu’au 1er janvier 1991, les recettes dont s’agit fussent, en fait, exonérées du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, par application de deux décisions ministérielles des 23 mars 1942 et 19 mars 1943 que le Conseil d’Etat a ultérieurement jugées incompatibles avec les objectifs poursuivis par la directive du 17 mai 1977 susmentionnée, est sans incidence sur ce point ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’UNION DES METIERS ET DES INDUSTRIES DE L’HOTELLERIE et le SYNDICAT NATIONAL DE LA RESTAURATION PUBLIQUE ORGANISEE ne sont, en tout état de cause, pas fondés à demander l’annulation du décret attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans l’instance n° 233467, soit condamné à payer à (UNION DES METIERS ET DES INDUSTRIES DE L’HOTELLERIE et au SYNDICAT NATIONAL DE LA RESTAURATION PUBLIQUE ORGANISES la somme que ceux-ci demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’intervention du Syndicat national de la restauration collective tendant au rejet de la requête n° 233467 est admise.
Article 2 : La requête n° 233467 de L’UNION DES METIERS ET DES INDUSTRIES DE L’HÔTELLERIE et du SYNDICAT NATIONAL DE LA RESTAURATION PUBLIQUE ORGANISES. ainsi que la requête n° 233940 de la CGT et autres, sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL, au COMITE CENTRAL D’ENTREPRISE DE LA SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER, à la CAISSE CENTRALE D’ACTIVITE SOCIALE, à L’UNION DES METIERS ET DES INDUSTRIES DE L’HOTELLERIE, au SYNDICAT NATIONAL DE LA RESTAURATION PUBLIQUE ORGANISEE, au Syndicat national de la restauration collective, au Premier ministre et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.