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Observations sous Conseil d’Etat, 25 juillet 2001, Fédération des Syndicats généraux de l’éducation nationale et de la recherche publique

Par Rémy FONTIER
Conseiller juridique à la fédération Sgen-CFDT

Le dépôt d’une plainte par le ministre, hormis le cas de l’atteinte à l’honneur, ne peut être subordonné au dépôt d’une plainte par le fonctionnaire concerné.

Observations :

L’article 11 du Statut général des fonctionnaires (loi du 13 juillet 1983, valable pour toutes les fonctions publiques), précise que "la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté".

Une note de service du ministère de la fonction publique est intervenue et comme cela semblait sans doute insuffisant une note propre au ministère de l’éducation nationale a été achevée le 19 septembre 1983. Cette note superfétatoire indiquait que "s’agissant d’une atteinte à son honneur, le fonctionnaire peut préférer le silence à la nouvelle publicité qu’occasionnerait un nouveau procès". Le fonctionnaire en cause aurait pu le cas échéant le signifier à son administration. Celle-ci conserve le pouvoir de juger, sous le contrôle des juges administratifs, si l’action judiciaire est opportune.

Pourtant la note en tirait la conséquence suivante : pour que les poursuites soient engagées le fonctionnaire doit porter plainte lui même. Ni la loi ni la note de service du ministre de la fonction publique ne précisaient une telle obligation. Cette "règle" instituée par un acte non réglementaire déplaisait à plusieurs titres au syndicat requérant. Elle était en effet étendue à d’autres situations que l’atteinte à l’honneur et, quoi qu’il en soit, il est des quartiers difficiles ou des situations où des représailles étaient susceptibles d’intervenir après un dépôt de plainte de l’agent. Il est alors préférable que l’administration affiche sa détermination à engager des actions en justice sans même que l’agent porte plainte.

La décision du Conseil d’État ne suivra pas l’argumentation du ministre qui consistait à relever que le passage contesté relevait le seul cas du fonctionnaire victime d’une infraction réprimée par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Selon l’article 48 de cette loi la poursuite ne peut être engagée que sur plainte de la victime ou, d’office, par le ministre. Le juge relève que les dispositions de cette loi "ne subordonnent pas le dépôt par le ministre d’une plainte au dépôt d’une plainte par le fonctionnaire concerné" et qu’on ne pouvait ajouter par note de service aux dispositions législatives.

Par ailleurs, la recevabilité de la requête n’allait pas de soi. La fédération requérante avait demandé une abrogation plusieurs années auparavant. Le ministre y avait répondu favorablement : il annonçait la rédaction d’une nouvelle note qui ne comporterait plus la disposition litigieuse dont il était convenu qu’elle était illégale.

Voyant que la nouvelle rédaction n’intervenait pas, une nouvelle demande d’abrogation était adressée. La décision implicite de rejet de la seconde demande pouvait apparaître comme confirmative puisque la première lettre d’attente devait être considérée juridiquement comme refusant d’accéder à la première demande.

Sauf que le syndicat ne pouvait, en opportunité, attaquer alors que le ministre déclarait être d’accord et mettre en oeuvre la rédaction d’une nouvelle note. La jurisprudence Alitalia (Assemblée, 3 février 1989, Rec. p. 44) devait, selon le commissaire du gouvernement, conduire le Conseil d’État à ne "plus opposer une tardiveté liée au caractère confirmatif de la décision rejetant une seconde demande d’abrogation de dispositions réglementaires présentée par une même personne".

Dans ses conclusions, la Commissaire du gouvernement, Mme Roul, proposait la ligne de partage suivante : d’un côté le recours pour excès de pouvoir dirigé directement contre le règlement, de l’autre, la demande d’abrogation et l’exception d’illégalité. D’un côté le délai de recours est impératif, de l’autre le délai de recours ne jouerait pas en raison de la non rétroactivité. A aussi été entendu l’argument de la fédération requérante selon lequel il serait paradoxal qu’un syndicat qui a demandé une fois l’abrogation d’un règlement sans attaquer le refus d’abrogation, devienne le seul à ne plus jamais pouvoir contester directement la légalité de ce règlement.

Rémy FONTIER

Décision :

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 210797

FEDERATION DES SYNDICATS GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE PUBLIQUE

M. Struillou
Rapporteur

Mme Roul
Commissaire du gouvernement

Séance du 2 juillet 2001
Lecture du 25 juillet 2001

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 6ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 22 juillet 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la FEDERATION DES SYNDICATS GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE PUBLIQUE (SGEN-CFDT), dont le siège est 47-49, avenue Simon Bolivar à Paris 19 (75950 cedex) ; la FEDERATION DES SYNDICATS GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE PUBLIQUE (SGEN-CFDT) demande que le Conseil d’Etat annule la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de l’éducation nationale sur sa demande du 22 janvier 1999 tendant à l’abrogation de certaines des dispositions de sa note de service n° 83-346 du 19 septembre 1983 relative à l’application des dispositions du troisième alinéa de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Struillou, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de la FEDERATION DES SYNDICATS GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : "Les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales ( ...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ..." ; qu’aux termes du 3° de l’article 48 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui doit être regardée comme une loi spéciale au sens des dispositions précitées : "Dans le cas d’injure ou de diffamation envers les fonctionnaires publics, les dépositaires ou agents de l’autorité publique autres que les ministres ( ...), la poursuite aura lieu, soit sur leur plainte, soit d’office sur la plainte du ministre dont ils relèvent" ;

Considérant que le 19 septembre 1983 le ministre de l’éducation nationale a adressé aux recteurs une note de service n° 83-346 relative à la protection juridique des fonctionnaires aux termes de laquelle : "En ce qui concerne les infractions réprimées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (diffamation et injure commises par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication : livres, affiches, feuilles de propagande, émissions radiodiffusées ...), ( ...) la poursuite ne peut être engagée que sur la plainte de la victime ou, d’office, sur la plainte du ministre, en application des dispositions de l’article 48 (3°) de la loi du 29 juillet 1881. En vertu de ce texte, votre plainte ne pourrait pas permettre au parquet de mettre en mouvement l’action publique. En revanche, la mienne, qui n’est pas obligatoire, la déclencherait d’office. Or, s’agissant d’une atteinte à son honneur, le fonctionnaire peut préférer le silence à la nouvelle publicité qu’occasionnerait un procès. S’il désire, au contraire, que des poursuites soient engagées, il doit donc porter plainte lui-même, dans le délai de prescription de l’action publique qui est réduit à trois mois, en vertu des dispositions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881" ; que, par une décision implicite résultant du silence gardé pendant quatre mois, le ministre de l’éducation nationale a rejeté la demande présentée le 22 janvier 1999 par la FEDERATION DES SYNDICATS GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE PUBLIQUE (SGEN-CFDT) tendant à l’abrogation de la disposition précitée qui subordonne dans ce cas le dépôt par le ministre d’une plainte à la circonstance que le fonctionnaire ait lui-même porté plainte ; que la fédération requérante demande l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision implicite de rejet ;

Considérant que les dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des fonctionnaires lorsqu’ils ont été victimes d’attaques à l’occasion de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d’intérêt général ; que s’il est loisible au ministre, dans le cas où le dépôt d’une plainte par celui-ci constituerait le moyen approprié d’assurer la protection du fonctionnaire, de recueillir préalablement l’avis de l’intéressé, les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 rappelées ci-dessus ne subordonnent pas le dépôt par le ministre d’une plainte au dépôt d’une plainte par le fonctionnaire concerné ; qu’ainsi en édictant une telle règle, en cas d’infractions réprimées par la loi du 29 juillet 1881, le ministre de l’éducation nationale a ajouté aux dispositions législatives relatives à l’obligation de protection de l’Etat ; que, par suite, la fédération requérante était fondée à demander l’abrogation des dispositions contestées de la note de service du 19 septembre 1983 comme prises par une autorité incompétente ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la FEDERATION DES SYNDICATS GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE PUBLIQUE (SGEN-CFDT) est fondée à demander l’annulation de la décision implicite de rejet de cette demande ;

Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à la FEDERATION DES SYNDICATS GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE PUBLIQUE (SGEN-CFDT) la somme de 10 000 F qu’elle demande au titre des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision par laquelle le ministre de l’éducation nationale a refusé d’abroger la disposition de la note de service n° 83-346 du 19 septembre 1983 imposant au fonctionnaire de déposer plainte pour que le ministre porte plainte en cas d’infractions réprimées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est annulée.

Article 2 : L’Etat versera à la FEDERATION DES SYNDICATS GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE PUBLIQUE (SGEN-CFDT) une somme de 10 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la FEDERATION DES SYNDICATS GENERAUX DE L’EDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE PUBLIQUE (SGEN-CFDT) et au ministre de l’éducation nationale.

© - Tous droits réservés - Rémy FONTIER - 20 décembre 2002

 


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