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Conseil d’Etat, 29 juillet 2002, n° 200886, Société Cegedim

Si l’Etat peut percevoir des droits privatifs à l’occasion de la communication de données publiques en vue de leur commercialisation, lorsque cette communication peut être regardée, au sens des lois sur la propriété littéraire et artistique, comme une ouvre de l’esprit, ces droits ne peuvent faire obstacle, par leur caractère excessif, à l’activité concurrentielle d’autres opérateurs économiques lorsque ces données constituent pour ces derniers une ressource essentielle pour élaborer un produit ou assurer une prestation qui diffèrent de ceux fournis par l’Etat. Dans un tel cas, la perception de droits privatifs excessifs constitue un abus de position dominante méconnaissant les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 200886

SOCIETE CEGEDIM

M. Herondart, Rapporteur
Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement

Séance du 10 juillet 2002
Lecture du 29 juillet 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la décision du 15 mars 2000 par laquelle le Conseil d’Etat statuant au contentieux, avant de statuer sur les conclusions de la requête de la SOCIETE CEGEDIM tendant à l’annulation de l’arrêté du 11 août 1998 du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, a invité le Conseil de la concurrence à lui fournir tous éléments d’appréciation susceptibles de lui permettre de déterminer si les tarifs que l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) est autorisé à pratiquer pour la cession d’éléments du fichier SIRENE constituent des pratiques anticoncurrentielles au sens de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la communauté européenne, et notamment ses articles 86 et 90 ;

Vu l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;

Vu le code de commerce ;

Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ;

Vu le décret n° 73-314 du 14 mars 1973 portant création d’un système national d’identification et d’un répertoire des entreprises et de leurs établissements ;

Vu le décret n° 95-171 du 17 février 1995 relatif à la rémunération de certains services rendus par l’Institut national de la statistique et des études économiques ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Herondart, Auditeur,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) gère le répertoire national d’identification des entreprises et de leur établissement, dénommé répertoire SIRENE, qui comprend des informations relatives aux entreprises ; que ce fichier est commercialisé par l’INSEE sous la forme de licences d’usage final interdisant de communiquer ses données aux tiers et sous la forme de licences de rediffusion permettant la commercialisation des données du répertoire auprès de tiers ; que la société CEGEDIM demande l’annulation de l’arrêté du 11 août 1998 du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie relatif aux conditions de tarification s’appliquant à l’accès au service public d’information sur les entreprises, organismes publics et leurs établissements, qui fixe les conditions de commercialisation du répertoire SIRENE ;

Considérant que l’arrêté attaqué a été pris en application de l’article 1er du décret du 17 février 1995 relatif à la rémunération de certains services rendus par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) qui prévoit que peut donner lieu à rémunération la fourniture par l’INSEE à des particuliers ou à des organismes publics ou privés autres que l’Etat de certaines prestations ; que cet arrêté fixe un tarif dégressif en fonction du nombre d’unités documentaires, c’est-à-dire d’adresses d’entreprises pour la mise à disposition de l’ensemble du répertoire SIRENE à l’usage des titulaires d’une licence d’usage final ; qu’il prévoit en revanche que les titulaires d’une licence de rediffusion, les rediffuseurs, doivent acquitter un abonnement obligatoire aux mises à jour du répertoire et leur impose une redevance de 8 centimes par unité documentaire en cas de cession à un utilisateur final pour un usage unique et de 20 centimes par unité documentaire en cas de cession pour un usage multiple

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’en vertu de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l’article L. 420-2 du code de commerce, est prohibée "l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci" ;

Considérant que si l’Etat peut percevoir des droits privatifs à l’occasion de la communication de données publiques en vue de leur commercialisation, lorsque cette communication peut être regardée, au sens des lois sur la propriété littéraire et artistique, comme une ouvre de l’esprit, ces droits ne peuvent faire obstacle, par leur caractère excessif, à l’activité concurrentielle d’autres opérateurs économiques lorsque ces données constituent pour ces derniers une ressource essentielle pour élaborer un produit ou assurer une prestation qui diffèrent de ceux fournis par l’Etat ; que, dans un tel cas, la perception de droits privatifs excessifs constitue un abus de position dominante méconnaissant les dispositions législatives précitées ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’avis en date du 28 décembre 2001 du Conseil de la concurrence demandé par une décision avant dire droit du Conseil d’Etat en date du 15 mars 2000, qu’il existe un marché des fichiers de prospection de grande taille vendus à des entreprises afin d’effectuer des opérations de démarchage direct de leurs clients ; que l’INSEE intervient directement sur ce marché en commercialisant le répertoire SIRENE ; que des concurrents de l’INSEE, comme la SOCIETE CEGEDIM, interviennent également sur ce marché en commercialisant des fichiers élaborés à partir du répertoire SIRENE mais qui se distinguent de celui-ci par les opérations d’enrichissement qu’ils effectuent sur le fichier originel et constituent donc un produit différent du répertoire SIRENE vendu par l’INSEE ; que le répertoire SIRENE constitue une ressource essentielle pour les sociétés qui élaborent de tels fichiers de prospection, dès lors notamment que, contrairement à ce que soutient le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, le registre national du commerce et des sociétés ne contient pas toutes les informations figurant au répertoire SIRENE et ne peut ainsi lui être substitué ;

Considérant que l’application d’une redevance proportionnelle de 20 centimes par adresse rediffusée prévue par l’arrêté du 11 août 1998, qui provient principalement de l’existence de droits privatifs de l’INSEE sur le répertoire SIRENE et non de coûts liés à la reproduction de cette base de données, a pour effet d’empêcher les rediffuseurs de dégager une marge pour la cession des fichiers de grande taille élaborés par eux au regard du prix de cession d’extraits pratiqué par l’INSEE ; qu’ainsi, les rediffuseurs ne peuvent proposer leurs produits sur le marché des fichiers de grande taille ;

Considérant que si le ministre soutient que le contrat de commissionnaire, qui est un contrat d’un an renouvelable par tacite reconduction, permettrait aux rediffuseurs de dégager un bénéfice et de réaliser, le cas échéant, une prestation d’enrichissement du répertoire SIRENE pour le compte de leurs clients, ce contrat ne permet pas en principe de procéder à des modifications sur le produit livré et ne peut donc être regardé comme équivalent à une licence de rediffusion ;

Considérant que la circonstance que les licences de rediffusion accordées sur le fondement de l’arrêté attaqué ont plafonné le montant de la redevance exigée par l’INSEE pour la commercialisation des fichiers est sans incidence sur la légalité de cet arrêté qui ne prévoit pas un tel plafonnement ;

Considérant, par suite, que l’arrêté attaqué en établissant à la fois un tarif unitaire dégressif pour les clients finaux de l’INSEE et une redevance proportionnelle de 20 centimes pour les rediffuseurs est de nature à placer l’INSEE en situation d’abuser automatiquement de sa position dominante sur le marché pertinent des fichiers de prospection commerciale de grande taille et méconnaît les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance du le décembre 1986 : que, compte-tenu des modalités de calcul ainsi fixées, l’arrêté attaqué présente un caractère indivisible et ne peut qu’être annulé dans son intégralité ;

DECIDE :

Article 1er : L’arrêté du 11 août 1998 du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie est annulé.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CEGEDIM et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

 


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