CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 227357,227729,228948,228949,230435
M. L. et autres
M. Ménéménis
Rapporteur
M. Vallée
Commissaire du gouvernement
Séance du 12 février 2003
Lecture du 10 mars 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux
Vu 1°), sous le n° 227357, la requête, enregistrée le 22 novembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Christian L. et pour la société ICD VIE, dont le siège est 44, rue Paul Valéry à Paris (75116) ; les requérants demandent au Conseil d’Etat
1°) d’annuler la décision en date du 21 août 2000 par laquelle la commission de contrôle des assurances a décidé d’une part de mettre en oeuvre la procédure de recours au fonds de garantie prévue par l’article L. 423-2 du code des assurances, d’autre part, de lancer un appel d’offres en vue du transfert de portefeuille de contrats d’ICD VIE ;
2°) subsidiairement, d’ordonner une expertise relative aux comptes d’ICD VIE ;
3°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 20 000 F en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°), sous le n° 227729, la requête, enregistrée le 4 décembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Christian L. et pour la SOCIETE ICD, dont le siège social est 44, rue Paul Valéry BP 223 Etoile à Paris cedex 16 (75770) ; les requérants demandent au Conseil d’Etat
1°) d’annuler la décision du 6 octobre 2000, par laquelle la commission d contrôle des assurances a décidé de lancer la procédure de transfert du portefeuille de contrat d’ICD ;
2°) subsidiairement, d’ordonner une expertise des comptes d’ICD ;
3°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 20 000 F en application de : dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 3°), sous le n° 228948, la requête, enregistrée le 8 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Christian L., la SOCIETE ICD et la SOCIETE ITEA, dont le siège social est 44, rue Paul Valéry BP 223 Etoile à Paris cedex 16 (75770) ; les requérants demandent au Conseil d’Etat
1°) d’annuler la décision en date du 7 novembre 2000, par laquelle la commission de contrôle des assurances a procédé au retrait des agréments de la SOCIETE ICD ;
2°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 20 000 F en application de dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 4°), sous le n° 228949, la requête, enregistrée le 8 janvier 2001 ai secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Christian L. et pour les sociétés ICD et ITEA, dont le siège social est 44, rue Paul Valéry BP 223 Etoile à Paris cedex lE (75770) ; les requérants demandent au Conseil d’Etat
1°) d’annuler la décision en date du 7 novembre 2000, par laquelle la commission de contrôle des assurances a décidé le transfert d’un contrat du portefeuille d’ICD ;
2°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 20 000 F en application de : dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 5°), sous le n° 230435, la requête, enregistrée le 19 février 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Christian L. et pour les sociétés ITEA et ICD VIE, dont le siège social est 44, rue Paul Valéry BP 223 Etoile à Paris cedex 16 (75770) ; les requérants demandent au Conseil d’Etat
1°) d’annuler la décision en date du 19 décembre 2000, par laquelle la commission de contrôle des assurances a procédé au retrait des agréments d’ICD VIE ;
2°) subsidiairement, d’ordonner une expertise relative aux comptes d’ICD VIE ;
3°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 20 000 F en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment son article 6-1 ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Ménéménis, Conseiller d’Etat,
les observations de la SCP Gatineau, avocat de M. L. et autres,
les conclusions de M. Vallée, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées concernent des décisions prises, à raison de leur situation financière, à l’encontre de la société d’assurances ICD, filiale de la société ITEA SA, et de sa filiale ICD VIE ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 310-18 du code des assurances dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions attaquées : "Si une entreprise mentionnée aux 1°, 3° ou 4° de l’article L. 310-2 a enfreint une disposition législative ou réglementaire afférente à son activité, la commission peut prononcer à son encontre, ou à celle de ses dirigeants, l’une ou plusieurs des sanctions disciplinaires suivantes, en fonction de la gravité du manquement : 1 °L’avertissement ; 2° Le blâme ; 3° L’interdiction d’effectuer certaines opérations et toutes autres limitations dans l’exercice de l’activité ; 4° La suspension temporaire d’un ou plusieurs dirigeants de l’entreprise ; 5° Le retrait total ou partiel d’agrément ; 6° Le transfert d’office de tout ou partie du portefeuille des contrats./ Il en va de même si elle n’a pas déféré à l’injonction de l’article L. 310-17. En outre, la commission peut prononcer, soit à la place, soit en sus de ces sanctions, une sanction pécuniaire. (...)/ Dans tous les cas visés au présent article, la commission de contrôle des assurances statue après une procédure contradictoire. Les responsables de l’entreprise sont obligatoirement mis à même d’être entendus avant que la commission de contrôle n’arrête sa décision. Ils peuvent se faire représenter ou assister./ Les personnes sanctionnées peuvent, dans le délai de deux mois qui suit la notification de la décision, former un recours de pleine juridiction devant le Conseil d’Etat" ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 423-2 du même code : "I. - Lorsque à l’occasion de la procédure prévue à l’article L. 310-18, la commission de contrôle des assurances estime qu’une des entreprises mentionnées à l’article L. 423-1 n’est plus en mesure de faire face à ses engagements envers les personnes mentionnées au même article, elle décide de recourir au fonds de garantie après avoir consulté par écrit le président du directoire de celui-ci (...)/ La décision de la commission de recourir au fonds de garantie est immédiatement notifiée à l’entreprise concernée. (...) II. - Dès cette notification, la commission de contrôle des assurance : lance un appel d’offres en vue du transfert du portefeuille de contrats de cette entreprise dans le : conditions prévues à l’article L. 310-18. Cet appel d’offres est communiqué au fonds de garantie, III. - La commission retient la ou les offres qui lui paraissent le mieux préserver l’intérêt des assurés, souscripteurs de contrats, adhérents et bénéficiaires de prestations, eu égard notamment à la solvabilité des entreprises candidates et aux taux de réduction des engagements qu’elles proposent. La décision de la commission qui prononce le transfert du portefeuille de contrats au profit de la ou des entreprises qu’elle a désignées et qui mentionne, le cas échéant, le taux de réduction pour chaque type de contrats transférés est publiée au Journal officiel. Cette décision libère l’entreprise cédante de tout engagement envers les assurés, souscripteurs de contrats adhérents et bénéficiaires de prestations, dont les contrats ont été transférés en venu des dispositions du présent article./ Lorsque la procédure de transfert du portefeuille n’a pas abouti la commission de contrôle des assurances en informe le fonds de garantie. (...) V. - Le transfert de tout ou partie du portefeuille ou le constat de l’échec de la procédure de transfert emport( retrait, par la commission de contrôle des assurances, de tous les agréments administratifs de l’entreprise défaillante. Le fonds de garantie accomplit, jusqu’à la nomination du liquidateur, les actes nécessaires à la gestion de la partie du portefeuille de contrats qui n’a pas été transférée L’administrateur provisoire nommé le cas échéant par la commission de contrôle des assurances peut accomplir ces actes de gestion pour le compte du fonds de garantie" ;
Considérant que, par deux décisions en date des 21 août et 6 octobre 2000, la commission de contrôle des assurances a décidé d’une part, de recourir au fonds de garanti mentionné à l’article L. 423-2 du code et de lancer un appel d’offres en vue du transfert de portefeuille de contrats de la SOCIETE ICD VIE, d’autre part, de lancer la procédure de transfert du portefeuille de contrats de la SOCIETE ICD ; que la commission a ensuite, par une décision en date du 7 novembre 2000, procédé au transfert d’un des contrats du portefeuille de la société ICD ; qu’enfin, par deux décisions en date des 7 novembre et 19 décembre 2000, la commission a prononcé le retrait des agréments des sociétés ICD et ICD VIE ;
Considérant que ces décisions constituent des sanctions que la commission prononcées en faisant usage des pouvoirs que lui donne l’article L.310-18 du code de assurances, à l’encontre desquelles est recevable le recours de pleine juridiction prévu par ce article ;
Sur les interventions de la SOCIETE ITEA à l’appui des requêtes n°s 227357 et 227729 dirigées contre les décisions du 21 août 2000 et du 6 octobre 2000 :
Considérant que la SOCIETE ITEA ne se prévaut pas d’un droit distinct auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier ; qu’ainsi, ses interventions ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des requêtes :
Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales susvisée : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle" ;
Considérant que, quand elle prononce une sanction dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l’article L. 310-18 du code des assurances, la commission de contrôle des assurances doit être regardée comme un tribunal au sens des stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, auquel s’impose l’exigence d’impartialité, laquelle s’apprécie objectivement ;
Considérant qu’après que des rapports de contrôle des sociétés ICD et ICD VIE eurent été établis et communiqués à ces entreprises, conformément aux prévisions de l’article L. 310-16 du code des assurances, M. L., président des deux entreprises, a formulé des observations, auxquelles la commission a répondu par des courriers signés de son président ; que celui-ci a fait état, notamment par des courriers en date des 3 décembre 1999 et 24 mars 2000 adressés au président d’ICD et d’ICD VIE, de griefs précis, relatifs en particulier à d’importantes irrégularités dans l’enregistrement des sinistres et le calcul des provisions nécessaires, et mis en doute la solvabilité des deux entreprises ; qu’à l’occasion de l’injonction faite par la commission à M. L., en application de l’article L. 310-17 du code, de prendre différentes mesures propres à restaurer la situation financière d’ICD, le président de la commission a précisé que l’absence de provisionnement de certains sinistres et le calcul non conforme à la réglementation en vigueur de certaines provisions, constituaient à ses yeux des irrégularités masquant une situation financière dégradée, encore aggravée par une importante distribution de bénéfices, elle-même irrégulière, et a constaté que l’incertitude précédemment relevée par la commission sur la capacité de l’entreprise à satisfaire aux exigences de couverture et de solvabilité n’était pas levée par les réponses de M. L. ; que le président de la commission de contrôle des assurances a ainsi pris nettement position sur le non-respect, par les entreprises en cause, des obligations légales de solvabilité et sur d’autres comportements fautifs de M. L., avant que la commission ne délibère, sous sa présidence, et ne prononce les sanctions susmentionnées ; que, dans ces conditions, l’exigence d’impartialité doit être regardée comme ayant été méconnue par la commission ; que ses décisions des 21 août, 6 octobre, 7 novembre et 19 décembre 2000 doivent donc être annulées ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à verser à M. L. et aux sociétés ITEA, ICD et ICD VIE la somme globale de 1 500 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : Les interventions de la SOCIETE ITEA au soutien des requêtes n°s 227357 et 227729 ne sont pas admises.
Article 2 : Les décisions de la commission de contrôle des assurances des 21 août, 6 octobre ; 7 novembre et 19 décembre 2000 sont annulées.
Article 3 : L’Etat versera à M. L., aux sociétés ITEA, ICD et ICD VIE une sommE globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Christian L., aux sociétés ITEA, ICD et ICD VIE, à la commission de contrôle des assurances et au ministre de l’économie, de : finances et de l’industrie.