CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 366153
SOCIETE BANCEL
M. Frédéric Dieu
Rapporteur
M. Gilles Pellissier
Rapporteur public
Séance du 14 novembre 2014
Lecture du 3 décembre 2014
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 février et 17 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la société Bancel, dont le siège est 36-38 chemin de Cornillon à La Plaine Saint-Denis (93214) ; la société Bancel demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 11NC00416 du 17 décembre 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement n° 0901925 du 13 janvier 2011 par lequel le tribunal administratif de Besançon a condamné l’Etablissement public d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) d’Audincourt à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts et a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation, ou à défaut, à la résiliation du marché (lot n° 2) relatif à la construction de la maison de retraite d’Audincourt conclu avec la société Demathieu et Bard, et, d’autre part, à la condamnation de l’EHPAD d’Audincourt à lui verser, à titre principal, la somme de 375 000 euros, assortie des intérêts moratoires, au titre de la perte de bénéfice et, à titre subsidiaire, la somme de 20 000 euros, assortie des intérêts moratoires, au titre des frais engagés pour la présentation de son offre ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel ;
3°) de mettre à la charge de l’EHPAD le versement de la somme de 6 000 euros et de la somme de 35 euros au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner à supporter les entiers dépens de l’instance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Frédéric Dieu, maître des requêtes,
les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Foussard, avocat de la société Bancel, et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société l’Etablissement public d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’Etablissement public d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) d’Audincourt a lancé le 29 avril 2009 une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de la passation d’un marché de construction d’une maison de retraite ; que la société Bancel a présenté, pour l’attribution d’un lot de ce marché, une offre qui n’a pas été retenue ; qu’elle a saisi le tribunal administratif de Besançon d’un recours contestant la validité du contrat conclu et tendant à la condamnation de l’EHPAD à l’indemniser du préjudice subi du fait de son éviction illégale ; que, par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé le jugement du 13 janvier 2011 par lequel le tribunal administratif de Besançon avait seulement condamné l’EHPAD d’Audincourt à l’indemnisation des frais que la société Bancel avait engagés pour la présentation de son offre ; que, par la voie du pourvoi incident, l’EHPAD conclut également à l’annulation de cet arrêt ;
Considérant que la cour administrative d’appel de Nancy a relevé dans la procédure de passation du contrat des vices tenant, d’une part, à l’absence de publicité des voies et délais de recours contre la procédure de passation dans l’avis d’appel public à la concurrence, d’autre part, au non-respect du délai d’attente entre la notification du rejet de leur offre aux entreprises évincées et la signature du contrat avec l’attributaire, enfin à l’absence d’analyse de la valeur technique des offres, retenue comme l’un des critères de choix annoncés dans les documents de la consultation ; qu’estimant l’ensemble de ces vices d’une gravité insuffisante pour justifier l’annulation ou la résiliation du contrat, eu égard en outre à la circonstance que sa date limite d’exécution était fixée au 31 août 2011 et à la nécessité, invoquée par l’EPHAD, que les travaux se poursuivent afin de permettre l’accueil de personnes âgées dépendantes dans le nouveau bâtiment, la cour a confirmé le rejet des conclusions que la société lui présentait en ce sens ; que la cour a cependant jugé que l’éviction de la société Bancel était illégale du fait de l’irrégularité relevée dans l’analyse des offres et, estimant que cette société n’était pas dépourvue de toute chance d’obtenir le marché, elle a condamné l’EHPAD à l’indemniser des frais qu’elle avait engagés pour la présentation de son offre ;
Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt en tant qu’il a statué sur les conclusions indemnitaires :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du courrier du 7 octobre 2009 adressé à la société Bancel et de l’annexe au rapport d’analyse des offres, que l’offre de la société a reçu, comme celles de ses concurrents, une note pour chacun des trois sous-critères du critère de la valeur technique, chacune de ces notes étant justifiée par le caractère plus ou moins complet et plus ou moins adapté aux spécificités du chantier des éléments du mémoire technique produit par les candidats à l’appui de leur offre ; qu’ainsi, en jugeant que l’EHPAD n’avait pas procédé à l’analyse de la valeur technique des offres mais s’était borné à apprécier le nombre de documents produits, la cour administrative d’appel a dénaturé les pièces du dossier ; que, par suite, l’EHPAD est fondé à demander, par la voie du pourvoi incident, l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il a statué sur la demande indemnitaire de la société Bancel ; qu’il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi principal ayant le même objet ;
Sur les conclusions du pourvoi de la société Bancel dirigées contre l’arrêt en tant qu’il a statué sur ses conclusions tendant à l’annulation ou à la résiliation du contrat :
Considérant, en premier lieu, que, l’obligation pour le pouvoir adjudicateur, d’une part, de mentionner les voies et délais de recours contre la procédure de passation dont disposent les candidats à l’attribution d’un marché et, d’autre part, de respecter un délai de suspension entre la notification du rejet de l’offre d’un candidat et la signature du marché, vise seulement à permettre aux candidats évincés de saisir utilement le juge du référé précontractuel ; que, par suite, les vices tenant tant à l’absence de mention de ces voies et délais de recours qu’au non-respect de ce délai de suspension n’affectent pas la validité du contrat et ne sauraient, en conséquence, justifier son annulation ou sa résiliation ; que ce motif, qui ne comporte aucune appréciation de fait, doit être substitué à celui, tiré de l’insuffisante gravité, de ces vices que la cour a retenu ;
Considérant, en deuxième lieu, que si la société Bancel soutient que la cour administrative d’appel a également commis une erreur de qualification juridique en jugeant, après avoir relevé que l’EHPAD n’avait pas procédé à l’analyse de la valeur technique des offres mais s’était borné à apprécier le nombre de documents produits, que l’exécution du contrat pouvait néanmoins se poursuivre, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que l’appréciation portée par la cour sur l’existence d’une telle irrégularité est entachée de dénaturation ; que le moyen de la société Bancel ne peut dès lors qu’être écarté ;
Considérant, en troisième lieu, que c’est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé sur ce point, a estimé que la nécessité de poursuivre les travaux objet du marché litigieux, afin de permettre l’accueil des personnes âgées dépendantes dans un nouveau bâtiment, justifiait la poursuite de l’exécution du contrat ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’arrêt attaqué qui, contrairement à ce qui est soutenu, est revêtu de la signature du président, du rapporteur et du greffier, doit être annulé en tant seulement qu’il a statué sur la demande indemnitaire de la société Bancel ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’EHPAD d’Audincourt qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d’une somme au titre des frais exposés par la société Bancel et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu de mettre à sa charge une somme de 3 000 euros à verser à l’EHPAD d’Audincourt, en application de ces mêmes dispositions, et de laisser à sa charge le montant de la contribution à l’aide juridique ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 17 décembre 2012 est annulé en tant qu’il a statué sur la demande indemnitaire présentée par la société Bancel.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Nancy.
Article 3 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de la société Bancel tendant à l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 17 décembre 2012 en tant qu’il a statué sur sa demande indemnitaire.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Bancel est rejeté.
Article 5 : La société Bancel versera une somme de 3 000 euros à l’Etablissement public d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes d’Audincourt en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Bancel et à l’Etablissement public d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes d’Audincourt.