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Conseil d’Etat, Avis, 26 novembre 2008, n° 315441, M. S.

L’insuffisance des ressources peut être opposée par le préfet pour prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un ressortissant communautaire qui séjourne en France depuis plus de trois mois, alors même que l’intéressé n’est pas encore effectivement pris en charge par le système d’aide sociale.

CONSEIL D’ETAT

N° 315441

M. S.

Mme Delphine Hedary
Rapporteur

M. Mattias Guyomar
Commissaire du gouvernement

Séance du 19 septembre 2008
Lecture du 26 novembre 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

Le Conseil d’Etat,

(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux

Vu le jugement du 15 avril 2008, enregistré le 21 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, avant de statuer sur la demande de M. Alin S. tendant à l’annulation de l’arrêté du 19 septembre 2007 par lequel le préfet du Val d’Oise a refusé de maintenir son droit au séjour sur le fondement de l’article L. 121-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, a décidé, par application de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) Lorsque l’autorité préfectorale constate qu’un ressortissant communautaire ne justifie plus d’un droit au séjour, au motif qu’il séjourne depuis plus de trois mois sur le territoire national sans répondre aux conditions fixées par l’article L. 121-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, alors même que ce ressortissant n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour, les dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 trouvent-elles à s’appliquer ?

2°) Lorsqu’une telle mesure a été prise avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007, pour pouvoir apprécier la durée du séjour, inférieure ou supérieure à trois mois, par quelle partie et selon quelles modalités la date d’entrée sur le territoire français doit-elle être établie ?

3°) La condition posée par le 2° de l’article L. 121-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et par l’article R. 121-4 du même code, relative au caractère suffisant des ressources pour que le ressortissant communautaire ne devienne pas une charge pour le système d’assistance sociale, peut-elle être opposée à un ressortissant communautaire inactif et sans ressources, mais non pris en charge par le système d’assistance sociale français ?

Vu les observations, enregistrées le 11 juin 2008, présentées par le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire ;

Vu les observations, enregistrées le 30 juin 2008, présentées par M. S. ;

Vu le mémoire, enregistré le 1er juillet 2008, présenté par le groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) ;

Vu le mémoire, enregistré le 7 juillet 2008, présenté par l’association CIMADE ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

Vu le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;

Après avoir entendu en séance publique : le rapport de Mme Delphine Hedary, Maître des Requêtes, les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

REND L’AVIS SUIVANT :

1. Sur la première question :

L’article L. 121-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) définit les conditions dans lesquelles un citoyen de l’Union européenne a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois. L’article L. 121-4 du même code dispose que : " Tout citoyen de l’Union européenne, tout ressortissant d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse ou les membres de sa famille qui ne peuvent justifier d’un droit au séjour en application de l’article L. 121-1 ou de l’article L. 121-3 ou dont la présence constitue une menace à l’ordre public peut faire l’objet, selon le cas, d’une décision de refus de séjour, d’un refus de délivrance ou de renouvellement d’une carte de séjour ou d’un retrait de celle-ci ainsi que d’une mesure d’éloignement prévue au livre V ".

L’article L. 511-1 du CESEDA dispose que : " I. L’autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour à un étranger ou qui lui retire son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour, pour un motif autre que l’existence d’une menace à l’ordre public, peut assortir sa décision d’une obligation de quitter le territoire français, laquelle fixe le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé s’il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu au troisième alinéa (.) / La même autorité peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse à quitter le territoire français lorsqu’elle constate qu’il ne justifie plus d’aucun droit au séjour tel que prévu par l’article L. 121-1. / L’étranger dispose, pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d’un délai d’un mois à compter de sa notification. Passé ce délai, cette obligation peut être exécutée d’office par l’administration (.) ".

L’article L. 512-1 du CESEDA prévoit que : " L’étranger qui fait l’objet d’un refus de séjour, d’un refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour ou d’un retrait de titre de séjour, de récépissé de demande de carte de séjour ou d’autorisation provisoire de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français mentionnant le pays de destination peut, dans le délai d’un mois suivant la notification, demander l’annulation de ces décisions au tribunal administratif (.) Son recours suspend l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français sans pour autant faire obstacle au placement en rétention administrative dans les conditions prévues au titre V du présent livre. / Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Toutefois, en cas de placement en rétention de l’étranger avant qu’il ait rendu sa décision, il statue, selon la procédure prévue à l’article L. 512-2, sur la légalité de l’obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi, au plus tard soixante-douze heures à compter de la notification par l’administration au tribunal de ce placement. / Si l’obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au titre V du présent livre et l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

Il ressort de l’ensemble des dispositions du livre V du CESEDA, et notamment de son article L. 512-1, que le législateur a entendu déterminer l’ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l’intervention et l’exécution des décisions par lesquelles l’autorité administrative signifie à l’étranger l’obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français.

Dès lors, l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 qui fixe les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979, en prévoyant que ces décisions " n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (.) ", ne saurait être utilement invoqué à l’encontre d’une décision portant obligation de quitter le territoire français prise sur le fondement du I de l’article L. 511-1 du CESEDA, y compris à l’encontre d’un ressortissant communautaire, et même si celui-ci n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour.

Toutefois, si le préfet prend sur le fondement de l’article L. 121-4 du CESEDA une décision de refus de séjour, de refus de délivrance ou de renouvellement d’une carte de séjour ou de retrait, sans l’assortir d’une mesure d’éloignement à laquelle sont attachées les procédures spécifiques du livre V du CESEDA, une telle décision doit être assortie de la procédure prévue par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, dont les exigences, notamment de délai, dépendent des circonstances de l’espèce.

2. Sur la deuxième question :

Il incombe à l’administration, en cas de contestation sur la durée du séjour d’un citoyen de l’Union européenne dont elle a décidé l’éloignement, de faire valoir les éléments sur lesquels elle se fonde pour considérer qu’il ne remplit plus les conditions pour séjourner en France. Il appartient à l’étranger qui demande l’annulation de cette décision d’apporter tout élément de nature à en contester le bien-fondé, selon les modalités habituelles de l’administration de la preuve.

L’administration peut notamment s’appuyer sur des données émanant des organismes pourvoyeurs d’aide lorsqu’elle invoque la charge que constitue le ressortissant communautaire pour le système d’aide sociale, ou sur les déclarations préalablement faites par l’intéressé.

L’article L. 121-2 du CESEDA dispose que : " Les ressortissants visés à l’article L. 121-1 qui souhaitent établir en France leur résidence habituelle se font enregistrer auprès du maire de leur commune de résidence dans les trois mois suivant leur arrivée (.) ". La loi du 20 novembre 2007, en ajoutant à cet article que : " Les ressortissants qui n’ont pas respecté cette obligation d’enregistrement sont réputés résider en France depuis moins de trois mois ", crée une présomption, non irréfragable, sur la durée du séjour. L’article R. 121-5 précise que : " Une attestation, conforme au modèle fixé par arrêté du ministre chargé de l’immigration, est remise immédiatement par le maire aux ressortissants qui se soumettent à l’obligation d’enregistrement prévue à l’article L. 121-2 (.) ". Toutefois, l’article 6 du décret du 21 mars 2007 indique que les dispositions de l’article L. 121-2 relatives à l’obligation d’enregistrement s’appliqueront aux ressortissants entrés en France postérieurement à l’entrée en vigueur de l’arrêté prévu à l’article R. 121-5, lequel n’est pas encore paru. Ces dispositions ne sont pas encore en vigueur pour contribuer à établir la date d’entrée et la durée du séjour d’un ressortissant communautaire.

3. Sur la troisième question :

L’article L. 121-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, tout citoyen de l’Union européenne, tout ressortissant d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s’il satisfait à l’une des conditions suivantes : (.) / 2° S’il dispose pour lui et pour les membres de sa famille (.) de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale, ainsi que d’une assurance maladie (.) " . L’article R. 121-4 précise que " le caractère suffisant des ressources est apprécié en tenant compte de la situation personnelle de l’intéressé. En aucun cas, le montant exigé ne peut excéder le montant du revenu minimum d’insertion mentionné à l’article L. 262-2 du code de l’action sociale et des familles (.) ".

Il résulte de ces dispositions que l’insuffisance des ressources peut être opposée par le préfet pour prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un ressortissant communautaire qui séjourne en France depuis plus de trois mois, alors même que l’intéressé n’est pas encore effectivement pris en charge par le système d’aide sociale.

Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à M. S. et au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.

 


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